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Tunisie : Les principaux indicateurs révélateurs de la crise économique

Par La rédaction, le 11/09/2018

tunis bourse

Oui, la crise ! Marasme, économie à bout de souffle, finances de l’Etat exsangues, réserves en devises au plus bas, inflation galopante … Sans aborder le volet social et les critiques ininterrompues sur l’« improductivité » du travailleur tunisien, ce n’est pas notre propos aujourd’hui.

Le moindre rapport des différents organismes internationaux qui scrutent l’économie tunisienne décrivent en préambule une situation économique fragilisée et la nécessité de réformes lourdes et douloureuses. En gros, le discours est souvent le même : Bravo ! Vous avez réussi votre transition démocratique, mais maintenant vous allez manger des cailloux.

Citons les principaux signaux d’alarme constamment matraqués sur l’agonie de notre économie:

Croissance du PIB toujours en berne

Depuis fin 2010, le PIB a enregistré une croissance cumulée de +10,8% jusqu’à fin 2017 (+2,6% au premier semestre de 2018). Un taux de croissance que réalisent en une année des pays réellement émergents. On ne va pas remuer le couteau dans la plaie, mais il est vrai que la croissance moyenne réalisée sous l’ancien régime était de l’ordre de +5%/an et déjà à l’époque nous estimions que ce taux était insuffisant pour pouvoir résorber le chômage.

A titre de comparaison ( qui vaut, ce qu'elle vaut), l'évolution du PIB entre 2010 et 2017 a été de 27,7% au Maroc, de 24,8% en Algérie et de 25,3% en Egypte. 

La subdivision sectorielle de notre PIB révèle des évolutions disparates au sein de l’économie tunisienne sur la période :

Les activités non marchandes (quasi-exclusivement l’administration publique) ont enregistré la croissance la plus importante sur la période. La Valeur Ajoutée « VA » de l’administration publique représente 19.4% de la valeur ajoutée totale.

Mis à part le fait que cela illustre la forte pondération du secteur public dans l’économie nationale, il faut préciser que la comptabilité nationale évalue la production des activités non marchandes, et donc de l’administration publique par leur coût de production (étant essentiellement gratuits ils ne génèrent pas de revenus directs).

Etant donnée la productivité « discutable » de notre administration publique, la relativement bonne performance de ce segment du PIB, qui par ailleurs est valorisée à travers ses coûts de production ; ne paraît intuitivement pas comme une excellente nouvelle… Nous en reparlerons en abordant le déficit budgétaire.

Pour ce qui est des mauvais élèves de la contribution sectorielle au PIB ; le cancre est sans appel le secteur des Industries Non manufacturières. Lorsqu’on précise la composition de ce secteur on est moins surpris…

Un secteur dont la production a diminué de 23 points en 7 ans. Plombé par le segment des hydrocarbures (-47 pts) et des Mines (-24 pts).

Nous avons tous suivi le feuilleton des blocages à répétition du bassin minier, voici son illustration sur la richesse du pays. Compte tenu de son relativement faible poids dans l’économie, les effets de cette contestation sociale (sans juger de sa légitimité) sont beaucoup plus problématiques sur le volet réserves en devises dont nous avons tant besoin. Nous en reparlerons.

A noter toutefois que la production minière affiche une tendance positive après le choc de 2011 (effondrement puis récupération lente), contrairement aux hydrocarbures en baisse continue.

Le secteur de l’extraction fait également face à de nombreuses contestations sociales (sit-in, grèves) sur fond d’opacité et de polémique sur les rendements réels des gisements et de changement majeur dans le processus d’octroi des concessions qui passent désormais par l’ARP. Une dégradation de notre dépendance énergétique pesante dans un contexte de remontée des prix des hydrocarbures.

Dans cette « classe difficile », certains élèves s’en sortent bien. Et nous y sommes pour quelque chose, nous, usagers de la STEG et de la SONEDE…

Enfin, l’adage bien connu stipule que « quand le bâtiment va, tout va » ; pas faux apparemment. Bâtiment et génie civil sont au même niveau qu’en 2010, aucune croissance en 7 ans. Pour rester dans l’industrie, notons que les industries manufacturières n’affichent pas, non plus, de bonnes performances sur la période : +3,6 points gagnés en 7 ans.

Là encore nous pouvons évoquer la crise du bassin minier et son impact sur la filière industrielle du phosphate & dérivés : -25 points pour les industries chimiques en 7 ans. La filière textile est également en perte de vitesse. Un déclin qui a commencé au début des années 2000, qui s’est accentué en 2008 avec les accords multi fibres.

Les matériaux de construction et l’agro-alimentaire affichent une hausse légère, conforme à l’économie dans son ensemble… donc pas terrible. Pour ce qui est du raffinage de pétrole, son poids relatif est faible (0.2% de la VA) et son évolution est erratique. Les +67 points depuis 2010 ne reflètent pas la tendance : baisse continue depuis 2012 où l’indice se situait à 267 points. 

Le poids lourd du PIB est le secteur des services marchands : 47% de la Valeur Ajoutée (VA) 

Les services ont progressé de +14.7 points en 7 ans. Sans surprise, décroissance pour le « tourisme » sur la période (-18 points), secteur pourvoyeur d’emplois et de devises étrangères. Décroissance également pour les transports. Deux segments se distinguent et ils ont un poids non négligeable. Les télécoms : +78 points et dans une moindre mesure les services financiers : +37 points.

Synthèse Taux de Croissance

Taux de croissance atone sur les 7 dernières années, +10.7 points gagnés depuis 2010. De l’ordre de +25 points pour nos voisins.

L’industrie se traine, surtout celle non manufacturière.

Les services sauvent la face : +14.7 points, mais restent en retrait vs la croissance régionale.

L’agriculture, malgré une évolution en dents de scie (c’est le lot du métier), tire son épingle du jeu : +20 points sur 7 ans.

La croissance anémique de ces dernières années est bien entendu insuffisante pour résorber le chômage et/ou remplir les caisses de l’Etat. L’Etat qui aurait bien besoin de remplir des caisses vides.

Déficit budgétaire de l’ordre de 6.1% du PIB en 2017, soit près de 6 milliards de dinars

Plombé au niveau des charges, bien entendu, par la masse salariale qui serait « l’une des plus élevées au monde » rapportée au PIB. Les fonctionnaires consommeraient de l’ordre de 15% du PIB en 2017, on se situait à 10% en 2010. Des recrutements substantiels ont émaillé la période récente. Mesures de « facilité » pour un semblant de paix sociale ou un gain de popularité ; réintégrations massives d’anciens bannis ; bref, à l’arrivée nous compterions plus de 800 000 agents (chiffre avancé pour 2016) soit quasiment le même nombre que le Maroc pour une population 3 fois moindre.

Les dépenses budgétaires se répartissent en 3 catégories principales : Fonctionnement (principalement les salaires) ; Investissements ou équipements et enfin le service de la dette publique. L’évolution des dépenses depuis 2010 (gardons notre base de référence) a été la suivante :

Un regard critique (objectif) résumerait l’évolution des dépenses depuis 2010 par une hausse radicale des dépenses « peu productives » : +113% pour les dépenses de fonctionnement 2010-2017 à l’intérieur desquelles se trouvent la masse salariale (+111%) et les interventions autrement dit les subventions (+141%). Ces deux derniers paramètres focalisent l’attention des organismes internationaux. Toujours dans le « nonproductif » signalons également une hausse de +96% pour le service de la dette sur cette même période. Les deux derniers exercices ont enregistré des déficits supérieurs à 6% du PIB. Ce n’est pas le record de la période, en 2013 le déficit avait atteint 6.9%.

La structure des dépenses semble refléter une fuite en avant, l’Etat devant assumer ses frais de fonctionnement (61% des dépenses 2017 vs 56% en 2010) et le coût de ses engagements financiers (23% des dépenses 2017 vs 20% en 2010) ; les dépenses d’équipement font avec ce qu’il reste (16% des dépenses 2017 vs 24% en 2010).

Nous sommes désormais à un niveau de dette qui correspond à environ 73% de notre PIB à fin juin 2018. Depuis 2010, le poids de la dette publique a augmenté de 30 points.  En masse, cette dette publique est de l’ordre de 72 Milliards de dinars.

Un encours en augmentation de 22% en 2017 par rapport à 2016 notamment sur la dette extérieure (+28%). Nous sommes entrés dans la spirale infernale de devoir s’endetter pour assumer… notre endettement. Les échéances de remboursement de l’année 2017 ont dépassé les 7 milliards de dinars (vs 5.2Md en 2016).

L’encours actuel de notre dette extérieure coûte à l’Etat 56% moins cher que la dette intérieure; et ce pour des maturités moyennes plus longues. La dette intérieure de l’Etat est de plus en plus chère ! Les prêteurs y trouvent certes leur compte, nous y reviendrons…

L’évolution des ressources budgétaires d’emprunt levées chaque année depuis 2010 reflètent cette fuite en avant qui a principalement servi, rappelons-le, à couvrir la masse salariale, les transferts sociaux et le service de la dette. L’investissement étant resté le parent pauvre de la période.

Evolution du recours annuel à l’endettement budgétaire : de moins de 2 milliards de dinars en 2010 à près de 11 milliards en 2017…

2017 a été une année de recours particulièrement élevé à l’endettement : +2.7 milliards de dinars empruntés comparativement à 2016. Le calendrier de remboursement des dettes passées y est pour quelque chose avec notamment la fin des périodes de grâce de certains prêts provoquant une explosion du principal : +2.3 milliards de dinars par à rapport à 2016.

La LF 2018 prévoit un ralentissement du recours à l’endettement. L’Etat compte sur une augmentation de sa principale ressource budgétaire… la fiscalité, pour réduire son déficit budgétaire.

Les recettes fiscales sont la principale source de revenu de l’Etat, elles couvrent 68% des dépenses budgétaires en 2017. Depuis 2010 les recettes fiscales ont augmenté de +67%.

La LF 2018 prévoit un rétablissement de cette situation, avec des dépenses de fonctionnement en hausse légère (+3,7%) tandis que les recettes fiscales sont attendues en hausse de +10,5%. Nous sommes tous au courant (et impactés) de l’accroissement de la pression fiscale sur l’année en cours. Une pression qui plus est génératrice d’inflation (nous le verrons plus loin) puisqu’elle touche essentiellement les taxes indirectes.

Notons que l’accroissement de la pression fiscale en 2017 n’a pas abouti à une réduction drastique du déficit budgétaire qui a, rappelons-le, atteint un record à -6 milliards de dinars (6,1% du PIB).

Trop d'impôt tue l'impôt

Sans aller jusqu’à dire que nous avons atteint la zone d’imposition inefficace ; il faut tout de même signaler le sentiment d’injustice provoqué par la hausse de la pression fiscale qui semble toujours s’exercer sur les mêmes catégories : salariés, entreprises transparentes.

L’enjeu majeur de la fiscalité sera non pas d’accroître le taux d’imposition, mais d’élargir l’assiette fiscale en y incluant ceux qui échappent totalement ou excessivement à leur devoir fiscal.

La comparaison de l’évolution de la structure des recettes fiscales entre 2010 et 2017 montre deux évolutions principales :

  • IRPP; hausse de sa contribution aux recettes fiscales en proportion : de 21% en 2010 à 29% en 2017 ; +8 points.
  • IS; baisse de sa contribution aux recettes fiscales en proportion : de 19% à 12% en 2017 ; -7 points.

Ce sont les salariés et les classes moyennes qui sont de plus en plus mis à contribution pour financer l’Etat en 2017. La baisse de la contribution de l’IS traduit également les difficultés des entreprises. Pour payer l’IS il faut faire des bénéfices…

Synthèse déficit budgétaire 

Constat d’un déficit record (en volume) en 2017 à près de 6 Milliards de dinars ; 6.1% du PIB un rythme insoutenable.

Depuis 2010 (2011-2013 en particulier) les dépenses de fonctionnement ont explosé : +111% masse salariale ; +141% interventions de l’Etat (dont subventions)

Les dépenses d’équipement « structurante » sont restées le parent pauvre du budget : +37% en 7 ans.

Une hausse des dépenses principalement financée par endettement qui a atteint 70% du PIB (+30 points depuis 2010)

Dette majoritairement extérieure qui coûte moins cher que la dette domestique.

La principale ressource demeure la fiscalité, qui a évolué de +67% depuis 2010 (vs +113% pour les dépenses de fonctionnement).

Les personnes physiques sont de plus en plus sollicitées : 29% des recettes fiscales, +8 points vs 2010.

Des entreprises fragilisées ont plus de mal à contribuer aux recettes fiscales : -7 points depuis 2010 à 21% pour l’IRPP.

 

Une accélération de la hausse des prix a débuté en 2016 suite à une conjonction de plusieurs facteurs :

  • La hausse du baril impacte directement l’inflation via les mécanismes de répercussion (gaz en bouteille, essence à la pompe) et indirectement via le coût des intrants issue de la filière pétrole et dérivés. S’y ajoute l’effet « multiplicateur » du taux de change.
  • L’évolution du taux de change a bien évidemment un impact direct sur le coût de nos importations. 
  • L’inflation importée directe via notre déficit commercial qui a atteint 8 milliards de dinars à fin juillet 2018.

A noter que le glissement de la monnaie nationale n’a pas encore atteint son point d’équilibre selon les organismes internationaux. Le FMI estime en effet que le dinar est encore « mal aligné » par rapport à sa valeur réelle...

C’est, selon ces experts, le niveau nécessaire pour rendre notre économie plus attractive aux investisseurs et plus compétitive à l’international. Ce que l’on peut constater pour l’heure, c’est que la composante « compétitivité » à l’exportation générée par la dévaluation déjà fortement entamée ne saute pas encore aux yeux !

Pour l’heure, la dévaluation pèse sur notre solde commercial, le déficit commercial pèse sur les réserves en devises, l’amenuisement de nos réserves pèse sur la valeur de notre monnaie… Le serpent qui se mord la queue, comme souvent en économie… Comment passe-t-on d’un cercle vicieux à un cercle vertueux ?

Les réserves en devises sont effectivement à un niveau faible : 71 jours d’importations au 31/08/2018. Le niveau de « sécurité » des 3 mois d’importations est largement franchi.

Comme nous l’avons précédemment évoqué, le niveau des réserves en devises est désormais principalement influencé par l’endettement extérieur. Rythmé par les décaissements et les déblocages.

L’accélération de l’inflation en 2018 découle également de la pression fiscale. Nous avions vu que le contribuable et en particulier le consommateur allait être mis à contribution pour accroître les ressources fiscales de l’Etat et réduire la pression sur le déficit budgétaire.

Pour tenter de lutter contre l’inflation l’Etat dispose théoriquement d’autres leviers, notamment la politique monétaire.

Depuis début 2017 la BCT a augmenté à quatre reprises son taux directeur : une première fois en avril 2017 (+ 50 points de base), une seconde fois en mai (+ 25 points de base), une troisième fois en mars 2018 (+ 75 points de base), et une quatrième fois en juin 2018 (+100 points de base).

Une hausse destinée à renchérir l’accès au crédit à la consommation en particulier et d’orienter davantage les revenus vers l’épargne. Ralentir le rythme de la demande pour lutter contre l’inflation. Un mécanisme surtout efficace lorsque l’inflation est principalement monétaire (excès de demande) or nous ne semblons pas être dans ce cas de figure (inflation importée, inflation par les coûts).

Certes, les crédits aux particuliers ont enregistré une évolution rapide et constituent désormais une part significative de l’activité des banques.

L’encours de ce segment représente un peu moins de 30% des crédits à l’économie, niveau relativement stable depuis 2012.

Une catégorie de crédits qui a été privilégiée par les institutions en raison de son bon rapport Risque/Rentabilité.

La consommation a été le moteur de l’économie depuis 2010 ; une consommation largement à crédit et une consommation de produits importés en grande partie.

Mécaniquement, l’épargne a fondu comme neige au soleil depuis 2010. L’épargne nationale en absolu est revenue à ses niveaux de 2006.

Synthèse inflation 

 Inflation record en 2018. Une hausse des prix alimentée par des importations record dans un contexte de renchérissement du baril et de dévaluation du dinar.

Une dévaluation qui n’a pas encore influé sur la compétitivité de nos exportations. Le déficit commercial atteint des plus hauts également.

La dévaluation du dinar n’est semble-t-il pas arrivée à son terme. Certains experts internationaux avancent 10% à 20% de baisse supplémentaire pour atteindre une valorisation compétitive.

Dans l’attente de l’impact « compétitif » de la dévaluation sur une montée en puissance des exportations, nous sommes plutôt dans un cercle vicieux : la dévaluation pèse sur le déficit commercial via les importations, ce déficit grève les réserves en devises, la faiblesse des réserves fragilisent le taux de change.

Des réserves en devises qui ont franchi à la baisse le seuil des 3 mois d’importation.

Leur niveau est largement rythmé par la dette extérieure : Remboursements vs déblocages.

La politique monétaire de la BCT tente de lutter contre l’inflation par la hausse des taux directeurs et du taux de la rémunération de l‘épargne. Objectif de réduire la propension à consommer des ménages au plus haut pour rediriger les revenus vers l’épargne au plus bas.

 

Par Hédi Ben Chérif - FINEVA

Analyse publiée dans notre magazine - Edition 2018



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