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Mourad Ben Chaabane : '' Il est temps de se pencher sur la vrai restructuration du marché financier ''

Par La rédaction, le 11/10/2017

tunis bourse

Elu en mai dernier à la tête du Conseil d'Administration de la Bourse de Tunis, Mourad Ben Chaâbane, 48 ans, a la lourde tâche de donner une nouvelle dynamique au marché financier, de promouvoir la culture boursière et d'inciter un plus grand nombre d’entreprises à se faire introduire en Bourse. Mais aussi et surtout de concrétiser les réformes qu’il prône au sein de la Bourse de Tunis. Interview. 

Connaissant parfaitement les rouages de la bourse sur le bout des doigts, la restructuration du marché financier serait-elle une priorité pour le nouveau Conseil d'administration que vous présidez ?  

Au niveau de la Bourse de Tunis, le nouveau Conseil d'administration, que je préside, va se pencher sur une restructuration en profondeur qui s'articule autour de plusieurs axes. Mais avant de parler de ladite restructuration, je tiens à préciser que dire que l'Etat doit passer à la privatisation des sociétés confisquées à travers la Bourse, ce n'est ni automatique ni évident. Il y a bel et bien des sociétés confisquées qui ne sont pas les bienvenues à la Bourse de Tunis.

Je cite l'exemple des opérateurs télécoms dont la période florissante du secteur est derrière eux. Ces opérateurs sont actuellement en baisse de régime. Evidement, On ne peut pas introduire une société dont ses bénéfices sont en train de baisser. En Bourse, l'action vaut ses promesses, un business plan et une croissance.

Etant donné que sa mission est de financer l'économie tunisienne, le Conseil d'administration de la Bourse de Tunis va travailler sur la résolution des problèmes que connaît depuis des années le compartiment Alternatif. Je tiens à rappeler ici qu'Il ne faut pas faire l'amalgame entre une introduction en Bourse d'une société (Marché Principal) et une inscription à la Cote (Marché Alternatif).

A cet effet, on va travailler en étroite concertation avec les autorités compétentes pour alléger les contraintes administratives et règlementaires pesant sur les entreprises introduites ou qui envisagent de s'introduire sur le Marché Alternatif.          

L'idée est donc de distinguer entre les deux compartiments, de revoir la règlementation en vigueur, mais aussi de n'accepter dorénavant sur le Marché Alternatif que les introductions qui se font sous forme d'une augmentation de capital et non pas à travers une cession de la part du promoteur ou d'un fonds d'investissement.

Par ailleurs, contrairement au marché boursier marocain par exemple, nos institutionnels n'interviennent pas sur le marché et se contentent d'une position stratégique. Suite à ce constat, il faut penser à créer des fonds dédiés au Marché Alternatif. Pour ce faire, il faut donner à ces véhicules, qui seront des éventuelles souscripteurs, une panoplie d'avantages pour pouvoir collecter les fonds nécessaires.

On peut par exemple augmenter la limite du plafond des Comptes d'Epargne en Actions (CEA) de 50 à 100 mille dinars à condition que les 50 mille dinars supplémentaires doivent être investis dans des fonds dédiés au Marché Alternatif. Et pourquoi ne pas donner aux entreprises la possibilité d'avoir un CEA Entreprise plafonné par exemple à 1 million de dinars dont 50% seront investis sur cinq ans sur le Marché Alternatif.

Résultat ? On peut ramener plus de 200 entreprises sur le compartiment Alternatif parmi lesquelles 40 ou 50 sociétés passeront au Marché Principal de la Cote au bout de trois ou quatre ans. Et ça sera une réussite pour l'économie tunisienne.

Mais ce n'est pas tout. Après avoir participé dans la création de nouveaux fonds dédiés au Marché Principal, la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) doit également intervenir pour développer le compartiment Alternatif. La présence de la CDC est de nature à rassurer les investisseurs importants et à garantir la mobilisation des ressources. Dans ce cas, on va résoudre le problème de financement des PME en travaillant en toute synergie avec les banques de la place dont leurs portefeuilles clients contiennent des centaines d'entreprises qui ont besoin de l'injection de fonds propres.

La démutualisation de la Bourse de Tunis est-elle envisageable ?

Durant son mandat, le Conseil d'administration de la Bourse va se pencher sur la vrai restructuration du marché financier tunisien et essaiera d'étudier une éventuelle démutualisation de la Bourse de Tunis. Il faut ainsi impliquer la CDC et les banques qui disposent des réseaux pour collecter les fonds, et être actionnaires dans la Bourse de Tunis.

Pour pouvoir être une place régionale, il est impératif d'engager les restructurations nécessaires pour que le Marché puisse atteindre une taille cruciale. Or, on ne peut pas parler actuellement d'une place financière régionale alors que notre Bourse est détenue exclusivement par des intermédiaires en Bourse et réalise un volume moyen quotidien de 3 millions de dinars.

C'est le moment aussi de se pencher sur le changement de la loi 94-117. Aujourd'hui, Il faut, par exemple, infliger et appliquer des sanctions financières aux sociétés qui ne publient pas leurs états financiers intermédiaires dans les délais réglementaires.

Indépendamment des facteurs conjoncturels, cette réglementation qu'on essaiera de changer, bénéficiera également aux investisseurs étrangers, qui sont toujours là au niveau des sociétés de la grande consommation, Délice Holding, SFBT, SAH, ... et des fonds émergents qui vont tôt ou tard revenir.

Pensez-vous que le métier de l'intermédiation doit être réorganisé ?

A mon sens, le courtage n'a plus sa place aujourd'hui dans l'activité des intermédiaires en Bourse. Mon idée pour le métier de l'intermédiation est qu'on doit se concentrer davantage sur l'Asset Management où on peut gagner plus d'argent. Aujourd'hui, les intermédiaires en Bourse qui gagnent de l'argent en Tunisie sont ceux qui disposent d'actifs sous gestion.

A l'échelle internationale, chaque deux ou trois ans, la Bourse fait un coup. Avec un rendement moyen de 15%, les commissions de succès seront de l'ordre de 7%. Avec des fonds gérés d'une centaine de milliards, imaginez le jackpot touché par chaque intermédiaire. Cela dit qu'en termes d'intervenants sur le marché, les choses doivent vraiment changer en Tunisie et voir dorénavant des spécialistes purs et durs du courtage.

Qu'en pensez-vous de la privatisation des banques publiques ?

D'une façon générale, si on prend le cas de Magasin Général, de la Banque du Sud (Attijari bank) ou de la STAR, la privatisation des sociétés en Tunisie a été une réussite. Ces entreprises payent de l'impôt, recrutent les gens et les payent plus même que le secteur public.

Mais attention il faut savoir privatiser. Il ne faut pas privatiser à un fonds d'investissement comme c'était le cas pour Tunisie Télécom mais plus tôt à un opérateur économique ou à un homme d'affaires. 

S'agissant des banques publiques, je suis convaincu qu'on ne peut privatiser ni la BNA ni la STB. Je me pose la question : si on va privatiser ces deux banques, qui financera les entreprises publiques ? A mon sens, l'Etat devrait d'abord restructurer ses entreprises avant de penser à privatiser ses banques.

En revanche, la Banque de l'Habitat s'avère la plus préparée pour s’engager dans une aventure de privatisation. J'aimerai bien voir même une banque tunisienne acquérir la part de l'Etat dans la BH pour en faire un champion national et régional.

Propos recueillis par Omar El Oudi

 



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