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Larbi Belrhiti, de l'occas' au neuf

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L'homme qui a fait décoller Avito, site de petites annonces pour vendre ses biens d'occasion, va prendre les rênes du géant Jumia, premier site de e-commerce au Maroc. Portrait d'un serial entrepreneur.

Un billard, des playstations à tous les étages, du faux gazon, des fauteuils moelleux, des tables en bois et des jus de fruits frais à disposition. Non, ces locaux ne se trouvent pas dans la Silicon Valley californienne, mais à l'angle du boulevard d'Anfa et Moulay Youssef, dans le quartier Gauthier, à Casablanca. Ils abritent l'équipe du site de petites annonces Avito.

Au milieu de l'open space et de la centaine de salariés se trouve Larbi Alaoui Belrhiti, directeur général d'Avito depuis cinq ans, qui a annoncé son départ le mois dernier. Vendredi 14 juillet au soir, le jeune homme de 36 ans fera ses adieux à l'équipe pour rejoindre dès le lundi suivant Jumia Maroc, leader du e-commerce au royaume, dont il prendra la direction à la place de Bastien Moreau. “Avito restera toujours mon bébé. Je suis fier d'avoir développé le premier fleuron de l'industrie digitale marocaine”, clame-t-il. Entre les deux jobs, pas de pause prévue pour ce féru de travail, habitué à charbonner. “Même pendant la pause déjeuner, il ne s'arrête pas et fait du vélo. Il traverse le bureau en tenue de cycliste, comme s'il allait faire le tour de France”, s'amuse Zakaria Ghassouli, chef d'exploitation d'Avito.

Un geek devenu entrepreneur

Crâne rasé et de petite taille, le jeune patron, qui se présente comme un “serial entrepreneur”, ne s'arrête jamais. Diplômé en génie informatique de l'Université McGill au Canada, il débute comme ingénieur de logiciel chez Oracle. En 2004, il s'installe en France où il travaille comme consultant auprès du cabinet de conseil Accenture. “Pendant que j'attendais mon permis de travail, j'ai développé un jeu de rôle, The Mafia Boss. Puis c'est devenu un hobby pour occuper mon temps libre”, se rappelle Larbi Belrhiti. Pourtant, le temps libre, un consultant n'en a pas beaucoup. Au bout de quelques mois, le jeu atteint tout de même entre 20 000 et 30 000 utilisateurs. “Je ne m'y attendais pas”, confie l'apprenti geek.

Le jeune homme, 24 ans à l'époque, décide de prendre le risque de quitter le salariat pour créer sa société de jeu qui emploiera entre 50 et 60 salariés. “The Mafia Boss a drainé jusqu'à 2millions de joueurs en 2009, avant son déclin”, estime fièrement Larbi Belrhiti, le sourire aux lèvres. Le jeu entre même dans le top 500 des sites les plus visités au monde en 2007.

Grisé par le succès, ce fils de pharmacienne originaire de Fès décide alors de continuer l'aventure et crée un deuxième jeu. Mais cette fois, le succès n'est pas au rendez-vous, le jeu ne prend pas. “Pour The Mafia Boss, je faisais tout moi-même et j'étais en contact permanent avec les utilisateurs. Quand j'ai développé le deuxième jeu, je travaillais dans mon coin, convaincu que j'étais un expert du jeu. Sauf que les vrais experts, ce sont les joueurs, pas moi”, reconnaît Larbi Belrhiti avec du recul. Une leçon que l'homme d'affaires a bien retenue et qu'il mettra à l'œuvre dès sa prise de poste en 2012 à la tête de Bikhir, le site de petites annonces marocain qu'il intègre après avoir décroché un MBA à HEC Paris (axé sur l'entrepreneuriat). “Le premier jour à Bikhir, j'ai repris l'intégralité des requêtes du service client depuis douze mois pour relever les suggestions des utilisateurs et modérer moi-même les annonces”, se souvient-il.

Les mains dans le cambouis

Ingénieur et développeur, Larbi Belrhiti n'a pas peur de mettre les mains dans le cambouis pour faire décoller Bikhir, qui avait alors pour concurrents Avito et Maroc Annonces. “A l'époque, Larbi faisait tous les jobs en même temps, des ressources humaines au commercial en passant par les petites courses, comme descendre chercher de l'eau”, témoigne un développeur qui l'a accompagné depuis le début. Avant de poursuivre : “Il nous donnait même des conseils techniques.” Larbi Belrhiti rédige d'ailleurs lui-même le premier livre de modération pour uniformiser les rejets ou approbations des annonces. “J'ai même fait le client mystère qui essaye de vendre des choses illégales”, se souvient-il avec humour.

S'assurer d'une qualité sans faille était une étape essentielle pour lancer, en 2012, la première publicité pour un site Internet à la télévision. Quitte à faire des nuits blanches. “On travaillait jusque tard dans la nuit avec l'objectif de battre Avito, notre principal concurrent”, souligne Nadia Bouimama, recrutée en juin 2013 comme éditrice en chef du site, et désormais responsable des ressources humaines. Pari réussi : Bikhir a racheté Avito en 2014. Le nom Bikhir disparaît au profit d'Avito, plus connu auprès des Marocains.

Pendant quatre mois, Larbi Belrhiti travaille à fusionner les deux market places, le contenu, les plateformes, la marque... Ce qui permet à Avito de grappiller rapidement des parts de marché : en 2015, l'entreprise connaît une croissance de 400%. Mais le plus dur a été la fusion des équipes, ramenées à 45 personnes en 2014, et qui comptent plus de 100 éléments aujourd'hui. “Je pensais que cela se ferait facilement car les deux équipes avaient le même background, des jeunes passionnés du Web et des technologies”, concède-t-il. Mais l'équipe de Bikhir travaillait depuis deux ans avec une “culture d'entreprise” à l'américaine, à la hiérarchie souple. Une approche qu'il a voulu insuffler à l'équipe venue d'Avito, détenue au départ par des Russes et un peu “ma  rocanisée” au fil du temps. “Nous n'avions pas anticipé cette étape”, avoue Larbi Belrhiti. Une difficulté dont il a néanmoins pu venir à bout en réunissant autour d'une table les deux équipes, qui ont écrit noir sur blanc leurs valeurs communes comme la responsabilisation de chacun et la transparence.

“Larbi est très à l'écoute, il met les feedbacks et la communication au cœur de notre travail. Il était facile de faire des ajustements, notamment au moment de la fusion”, souligne Zakaria Ghassouli, qui était chez Avito depuis 2012 et qui a dû rejoindre les équipes de Bikhir deux ans plus tard. 

Connu pour être un bon vivant en dehors des heures de travail, Larbi Belrhiti est aujourd'hui adulé par ses équipes pour avoir réussi à inculquer cette “culture d'entreprise”, encore peu répandue au Maroc et qui pousse chacun à travailler plus et à “se fondre dans le moule de la boîte”. Reste à savoir si le patron, avide d'autonomie, arrivera à inculquer ces valeurs aux équipes de Jumia. 

Backé par des géants

Plus qu'un entrepreneur, Larbi Belrhiti est un “intrapreneur” du digital, qui développe des sites à l'intérieur de grands groupes. “Quand on m'a appelé pour me proposer le poste de directeur général de Bikhir.ma en 2012, j'ai cru que c'était une blague, comme si on me proposait de travailler pour le site voituresoujda.com. Puis j'ai vu le nom de Schibsted (actionnaire de référence de Bikhir, ndlr), grande société internationale du digital”, se rappelle-t-il. Il avoue être “animé par le risque” mais trouve qu'il est confortable de ne pas “avoir à stresser avec les levées de fonds”, explique le salarié de ce groupe multinational qui pèse 1,5 milliard d'euros de revenu d'exploitation en 2015 et qui rayonne dans près de vingt pays différents. Schibsted est, entre autres, aux manettes du site de petites annonces Le Bon Coin en France.

L'ingénieur en informatique n'a plus qu'à se servir dans les archives des réussites du groupe Schibsted au Brésil, en France ou au Mexique et de les adapter au marché marocain. Une situation confortable qui l'a aidé à faire décoller Avito et qu'il va retrouver chez Jumia, grand groupe créé en 2012 au Nigeria et présent dans quarante pays en Afrique. Avec 350 employés et une dernière levée de fonds de 425 millions d'euros auprès de Goldman Sachs, Orange, Axa et la CDC, Jumia est valorisée en Bourse à 1 milliard d'euros, devenant ainsi la première “licorne” africaine.

Le challenge est de taille. “Nous avons rencontré plus de 200 candidats. Larbi Alaoui Belrhiti a été choisi parce qu'il a un profil high-tech avec des connaissances de développeur sur lesquelles nous comptons beaucoup”, témoigne Bastien Moreau, qui lui cède sa place à la tête de Jumia Maroc. Sa mission : avancer sur le processus en amont de la commande d'un bien vendu en ligne, avec une automatisation du processus. “Nous avons un modèle plus complexe qu'Avito, qui va demander à Larbi de s'adapter à des enjeux qu'il ne connaît pas, comme l'aspect financier et logistique avec gestion des livreurs et des entrepôts”.

Mais Larbi Belrhiti, dont le modèle est Jeff Bezos, fondateur d'Amazon, est surtout un fin connaisseur du marché du digital au Maroc, qu'il connaît sur le bout des doigts et dont il peut parler des heures avec passion. Il est notamment président et cofondateur de l'association Maroc Digital, devenue la voix des acteurs du secteur auprès des autorités. Son nouveau cheval de bataille : “Demander d'exonérer ou d'alléger la TVA sur le e-commerce dans la prochaine Loi de Finances”, avance-t-il. Et faire payer davantage les Marocains par carte bancaire, notamment sur Internet.  

Par Théa Ollivier

Publié sur Telquel N°772 du 7 au 13 juillet 2017

Publié le 16/08/17 12:25

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