Inflation : La BCT devrait-elle augmenter son taux directeur ?

Cette analyse essaye de justifier l'alignement du taux d'intérêt sur l'inflation et les arguments qui plaident pour l'augmentation des taux.

Le taux d'intérêt est généralement indexé sur l'inflation pour assurer un taux d'intérêt réel positif qui rémunère les épargnants en termes de pouvoir d'achat. Mais, comme l'intérêt est un revenu futur obtenu à la fin de la période du placement, il faut déduire du taux d'intérêt l'inflation anticipée en fin de période pour obtenir le taux d'intérêt réel.

Actuellement, aux USA et dans la zone euro, le taux directeur est de 3,25% et 1,75% respectivement par rapport à un taux d'inflation de 8% et 9%. Mais le taux d'inflation anticipé pour 2023 est nettement plus faible, les banques centrales annoncent un objectif de 2%, ce qui conduit à un taux d'intérêt réel positif ou légèrement négatif.

De toutes les façons, le fait d'avoir un taux réel négatif décourage l'épargne, et c'est ce que les autorités monétaires veulent réaliser car il y a un excès d'épargne (saving glut) en Occident par suite du confinement lié à la pandémie COVID, d'où l'encouragement de la consommation pour relancer la croissance du PIB.

A l'échelle nationale, le taux de l'inflation a atteint 8,6% en août par rapport au même mois de l'année dernière. Pour le reste de l'année, ce taux continuerait sa hausse vers 9,1% en décembre compte tenu des pressions sur le taux de change liées au renforcement du $ et de l'inflation importée liée à l'augmentation des prix internationaux. Dans ce cas, le taux moyen de l'inflation de 2022 serait de 8,1%, taux nettement supérieur à celui de 5,7% enregistré en 2021.

Inflation 2022 estimée

Avec une inflation moyenne de 8,1% et 9,1% en fin d'année, faut-il augmenter le taux directeur (7% actuellement) ?

Quatre arguments sont présentés pour justifier l'alignement du taux d'intérêt sur l'inflation et plaident pour l'augmentation :

1- La justification du couple taux d'intérêt-inflation par l'épargne. En Tunisie, il n'y a pas d'excès d'épargne, bien au contraire les statistiques publiées montrent une baisse du taux d'épargne (Rapport BCT indique un taux de 9% du RNDB en 2021 couvrant 60% des besoins du financement, contre 11% en 2019) et les autorités monétaires ne visent pas à relancer la consommation car elle se traduit par une aggravation du déficit commercial à cause du contenu élevé en importations.

Au contraire, la BCT cherche à limiter la demande, pour limiter les importations et donc le déficit courant, par un resserrement monétaire dont les instruments sont la limitation de crédits et l'augmentation du taux d'intérêt.

L'évolution du taux d'épargne est inquiétante en Tunisie car ce taux était de 22% du revenu national disponible, couvrant 90% des besoins de financement avant 2011 et a baissé à 9% du RNDB après 2015. Certes, la disparition de l'épargne publique, suite aux dépenses élevées de l'Etat, explique une partie de cette baisse mais l'essentiel de l'épargne nationale provient de l'épargne privée qui a régressé.

Cette constatation justifie une augmentation du taux directeur (7% début Octobre) pour suivre l'inflation si les anticipations sont pour un maintien du taux moyen de 8% observé en 2022 (et qui en augmentation actuellement).

2- Une deuxième justification provient de l'effet du taux d'intérêt sur les comptes des non-résidents. Les dépôts des non-résidents auprès des banques sont de 12,1 milliards de dinars en mai 2022. En contrepartie, les banques déposent à la BCT 7,1 milliards de dinars en comptes devises. La variation du TMM n'affecte que les comptes des non-résidents en dinars convertibles, qui peuvent bénéficier d'une augmentation du taux directeur et du TMM mais subissent la dépréciation éventuelle du dinar.

Mais il semble que les comptes en dinars convertibles sont actuellement de faible montant, cet avantage est alors un moyen d'incitation pour les développer.

3- Un troisième avantage découle de l'amélioration de la situation financière des banques suite à l'augmentation des taux d'intérêt puisqu'une partie de leurs ressources sont peu ou pas rémunérées (les dépôts à vue, non rémunérés, sont de 28,3 milliards de dinars alors que les dépôts à terme, rémunérés, sont de 50,3 milliards D).

Cette augmentation de la marge bancaire entre coûts des ressources et des emplois (crédits) explique l'augmentation récente des bénéfices qui sont générateurs d'impôt pour l'Etat et qui permettent d'améliorer la situation de la Bourse des valeurs mobilières observée malgré la crise économique.

4- Un quatrième avantage est lié aux négociations en cours avec le FMI qui serait satisfait de voir le taux d'intérêt suivre l'inflation.

Trois arguments contre l'augmentation du taux directeur

1- Effet négatif sur le budget de l'Etat : Le fait d'augmenter le taux d'intérêt aggrave le coût de la partie de la dette passée qui est indexée sur le TMM. Si les entreprises parviennent à répercuter le surcoût d'intérêt sur les prix, l'effet sur le budget de l'Etat n'est pas négligeable :

Les données du Ministère des finances (rapport 2022) montre que la dette à taux variable est de 24% de la dette intérieure de 2020 (31754 MD qui est passée à 40655 en juin 2022 dont 16330 BTA). Donc la dette interne à taux variable serait actuellement de l'ordre de 10 milliards D, toute augmentation de 100 points du TMM conduit à un surcoût de 100 MD (le total des intérêts intérieurs est de 2712 millions de dinars en 2022).

2- L'augmentation du taux d'intérêt est aussi coûteuse pour les ménages, les crédits pour logement et aménagement de logement ont été de 22,6 en milliards D sur un total de 27,3 de crédits non professionnels accordés aux particuliers par les banques. L'estimation de l'effet de 100 points de plus du TMM affecte les ménages de 137 MD si la part des crédits à taux variable constitue la moitié de l'ensemble des crédits aux particuliers.

3- Enfin, l'effet du taux d'intérêt sur les investissements locaux nouveaux est limité car l'inflation sur les prix de vente doit normalement compenser le surcoût payé, sauf pour les projets dont ls prix de vente sont réglementés (certains produits alimentaires par exemple ou les services de transport).

En conclusion, la décision finale dépend du poids accordé à chaque argument présenté. Cependant, devant l'écart entre taux directeur et taux d'inflation, qui s'élargit de plus en plus, il est prudent de corriger le taux directeur en l'augmentant de 0,5 après la correction de 0,75 dans le même sens effectuée en Mai dernier, surtout que des anticipations de milieux financiers se développent dans ce sens.

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Publié le 05/10/22 09:11