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Energie Hydraulique : Le pari risqué de Platinum Power

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Créée en 2012 par Omar Belmamoun en partenariat avec des investisseurs américains, l'entreprise se présente comme le premier développeur privé de barrages destinés à la production électrique. Un positionnement nouveau mais périlleux.

Tillouguit, dans la région de Beni Mellal, à 25 km au nord de Bin El Ouidane. Cette petite bourgade se transformera bientôt en un chantier à ciel ouvert. Trois nouveaux barrages, couplés à des complexes hydroélectriques -  Tillouguit Amont (8 MW), Tillouguit Aval (26 MW) et Boutferda (18 MW) -  y verront le jour. Leur particularité ? Ils sont conçus, développés et seront gérés par le secteur privé. Une première au Maroc, et ce depuis la mise en place de la politique des barrages lancée par Hassan II. Ces projets sont portés par la société Platinum Power. Fondée en 2012 par Omar Belmamoun et Brookstone Partners (fonds américain de Private Equity dédié à l'industrie), elle a pour vocation d'être un développeur et concepteur de projets dans les énergies renouvelables.

10 projets pour commencer

Platinum Power a tout pour attiser la curiosité et susciter les interrogations du monde des affaires. Un nom anglophone clinquant, un fonds de Private Equity américain comme actionnaire de référence et un associé dirigeant qui n'a pas encore bouclé la quarantaine. L'entreprise a surtout mis la main sur les premières concessions et autorisations provisoires pour le développement des premières centrales hydroélectriques privées, moins de deux ans après son lancement. “La genèse de Platinum Power remonte à 2009”, nuance Omar Belmamoun, qui nous reçoit dans ses locaux rbatis, à Hay Riad, un étage au-dessus du siège du groupe Label'Vie.

Comment les a-t-il convaincus ? L'homme a travaillé son argumentaire : “Plus de 600 millions d'Africains n'ont pas accès à l'électricité. Le potentiel éolien, hydraulique ou solaire est inépuisable. Seuls 5 % du potentiel hydroélectrique sont exploités en Afrique, alors qu'en Europe, il n'y a pas un seul MW qui ne soit pas utilisé”. “Tout le rationnel de l'investissement est là”, insiste-t-il. Ses associés acquis à sa cause, l'heure est à la stratégie d'investissement. “Nous avons opté pour une logique de portefeuille, d'une dizaine de projets. Ainsi, même avec un taux d'échec de 70%, on pourra malgré tout récupérer notre capital et avoir un retour décent”, confie-t-il.

Premier arrivé, premier servi

Leurs dix projets initiaux, ils les ont dépassés, à en croire leur site Web. L'entreprise, qui a également obtenu  un statut CFC en 2013, affiche six projets en cours de développement au Maroc, cinq au Congo, deux en Côte d'Ivoire et un au Cameroun. “Certains projets sont à des stades de développement très précoces”, relativise Belmamoun. Au Maroc, il ne communique que sur les trois qui sont à des stades avancés. Ce qui est certain, c'est que Platinum Power veut sécuriser un marché où la barrière n'a jamais été franchie auparavant.

Arrivé sur un terrain vierge en 2012, le jeune patron frappe à toutes les portes : départements ministériels, établissements publics et autorités locales. “Nous avons en effet été contactés par la société, qui voulait investir dans l'énergie hydraulique dans le cadre de la loi 13-09, qui consacre le principe du premier arrivé, premier servi”, nous explique une source gouvernementale.

Ne nécessitant ni appel d'offres, ni mise en concurrence, Platinum Power réussit à convaincre les différents départements concernés de lui accorder les autorisations nécessaires, et sécurise les sites qu'elle estime être les plus porteurs. “Lorsque j'ai exposé nos projets au directeur de l'Agence du bassin hydraulique de Oum Rbia, il m'a répondu : “C'est mon rêve””, se remémore-t-il. Depuis, ce ne sont pas moins de 25 millions de dollars (environ 250 millions de dirhams) qui ont été investis, dont une grande partie réservée aux études et aux investigations géotechniques. Une partie de ce montant a été financée grâce à de nouvelles levées de fonds auprès des actionnaires historiques, mais aussi en ouvrant le capital à TGCC, le leader de la construction et du BTP, et au fonds PME-croissance, géré par Africinvest. Les deux ont pris des participations minoritaires ne dépassant pas 3% chacun.

Des montants qui ne représentent pas grand-chose, rapportés aux ambitions globales de la société. Au Maroc, en Côte d'Ivoire et au Cameroun, Platinum Power envisage d'investir près de 3 milliards de dollars (environ 30 milliards de dirhams). Si ces investissements colossaux peuvent être justifiés en Afrique subsaharienne, plusieurs analystes ne comprennent pas l'intérêt de miser autant au Maroc, qui est doté de centaines de barrages encore inexploités. “100 % des barrages de l'État ont d'abord pour vocation d'assurer l'eau potable et l'irrigation. La production électrique est un sous-produit qui intervient au second plan”, justifie Belmamoun. Et d'ajouter : “Certains opérateurs ont adossé leur projet à des barrages existants et ont eu l'autorisation du ministère de l'Énergie. Mais ils n'ont pas eu la concession, car il y était exigé que les lâchers d'eau soient décidés par l'Agence du bassin hydraulique”, qui privilégiera toujours l'eau potable et l'agriculture. Or, dans ce business, la rentabilité du projet repose justement sur le programme et la maîtrise des lâchers d'eau. “Si on ne turbine pas en heure de pointe, notre investissement n'est pas rentable”, explique Belmamoun. Or, le tarif de cette heure est trois fois plus cher que celui de l'heure creuse. “Même en heure pleine, on perd de l'argent, il faut qu'on place notre électricité en heure de pointe”, insiste-t-il. D'où la construction de nouveaux barrages dans des zones montagneuses qui n'ont pas forcément une vocation agricole.

Cherche clients désespérément

Le pari est donc un peu risqué pour Omar Belmamoun. Car en misant sur la production d'énergie en heure de pointe, il limite l'horizon de sa clientèle. La majorité des industriels, potentiels clients de Platinum Power, réduit son activité en heures de pointe. “Les profils de nos clients sont limités. Ce sont les industries qui tournent 24 heures sur 24, comme les chemins de fer et l'OCP”, explique Belmamoun. Mais les exemples s'arrêtent à ces deux-là. Et c'est là où le bât blesse. Si on exclut l'ONEE qui, conformément à la loi 13-09 relative aux énergies renouvelables, ne peut acheter que 20% maximum de l'excédent de l'énergie produite par les opérateurs privés, Platinum Power est à court de clients. “Il y en a d'autres. Nous cherchons des clients ‘bancables', c'est notre premier critère”, rétorque Belmamoun. En d'autres termes, il cherche à signer des contrats du type “Take or Pay” pour sécuriser les milliards de dirhams d'investissements. “L'État est en train de comprendre que nous avons une électricité stratégique”, assure malgré tout le patron de Platinum. Mais l'étroitesse de son spectre commercial n'est pas la seule contrainte à laquelle fait face l'entreprise. “Les projets accusent des retards”, nous confie une source proche du dossier.

Selon nos informations, une récente réunion a été tenue au sein du secrétariat d'État chargé de l'Eau durant laquelle Charafat Afailal leur a “demandé d'accélérer la cadence et de commencer les constructions”, estimant que les “chantiers avancent lentement”. Pour sa défense, Belmamoun brandit justement la carte de “la garantie d'achat”, annonçant des négociations en cours avec MASEN.

Les actionnaires s'impatientent aussi. Certains d'entre eux estiment que “les projets n'avancent pas assez rapidement et que l'entreprise tarde à faire fructifier ses investissements”. Belmamoun ne nie pas, mais a une explication : “Nous avons eu des concessions, des licences, mais nous avons encore besoin de plusieurs autres autorisations, notamment au niveau local. Nous attendons aussi la validation par le ministère de l'Eau des avant-projets détaillés, et devons gérer des déplacements de populations, ce qui prend du temps”. En tout cas, Belmamoun a bon espoir.“Nous sommes des marathoniens, nous développons nos projets depuis six ans déjà. La rentabilité sera au rendez-vous à partir de 2019”, promet le patron de Platinum.

Par Hayat Gharbaoui

Publié sur Telquel N°775 du 28 juillet au 3 aout 2017

Publié le 08/08/17 09:54

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