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Cinquième fortune mondiale, le fondateur d'Amazon est réputé pour ses projets ambitieux et son goût du risque. Mais pas au point de rester en mauvais termes avec la nouvelle administration américaine.
Mercredi 14 décembre 2016. Au 25e étage de la fameuse Trump Tower, les nouveaux “maîtres du monde” tiennent un sommet avec le nouveau “leader du monde libre”. Donald Trump, qui prendra ses quartiers à la Maison Blanche le 20 janvier, réunit les principaux patrons des firmes technologiques.
Au début de la réunion, le top management de Facebook, Microsoft, Google, Oracle, Uber et autres géants de la Silicon Valley sont priés de se présenter brièvement au nouveau président. Mais alors que les CEO autour de la table se contentent d'énoncer leurs noms et celui de leurs firmes, l'un d'entre eux joue au bon élève. “Jeff Bezos, Amazon. Super excité de toutes les opportunités à venir, ceci pourrait être l'administration de l'innovation”, a lancé le père fondateur du e-commerce. Sourires dans la salle, un ange passe, agitant un drapeau blanc…
Trump en orbite
Durant la campagne présidentielle, les rares fois où Donald Trump évoquait les entreprises numériques, c'était pour s'en prendre à Amazon. Dans une interview accordée à la chaîne Fox News, le (encore) candidat avait affirmé que Jeff Bezos, propriétaire du Washington Post, utilisait son journal comme un moyen d'influencer les politiciens à Washington afin qu'ils ne taxent pas comme ils le devraient le e-commerce, mais aussi comme un outil d'optimisation de la fiscalité d'Amazon.
Sur Twitter, Trump en remet une couche : “Si Amazon payait ses impôts dans les règles, ses stocks s'écrouleraient et l'entreprise s'effondrerait comme un château de cartes”. Jeff Bezos répond alors avec ironie : n'imaginant à aucun moment que cet ovni politique allait atterrir dans le bureau ovale, il propose de le réexpédier dans l'espace à bord du New Shepard, une fusée développée dans les années 2000 par l'entreprise fondée par Bezos : “Nous lui réservons toujours un siège sur une fusée Blue Origin”.
Quelques semaines plus tard, Donald Trump récidive sur Twitter : “Faites-moi confiance, si je deviens président, oh ils vont en avoir des problèmes”, faisant référence à Amazon et Jeff Bezos. Ce dernier riposte en désignant les propos de Donald Trump comme étant inappropriés pour un président qu'il désigne comme “une menace pour la démocratie”.
Cette passe d'armes qui avait tenu le Nasdaq (indice technologique de Wall Street) en haleine, les deux hommes semblent l'avoir laissée derrière eux. Le patron d'Amazon a bien été forcé de changer de ton quand le résultat de la présidentielle est tombé. Il a alors tweeté dans la foulée : “Mes félicitations à Donald Trump. Je lui souhaite du succès dans sa démarche de servir le pays”.
L'empire de Bezos a tellement grandi ces dernières années qu'il se retrouve étroitement lié aux politiques du gouvernement dans différents domaines, comme l'impôt sur les ventes, la neutralité du Web, l'immigration... sans parler du droit de travail où Amazon n'est pas toujours cité comme un élève exemplaire. “C'est l'une des raisons pour lesquelles Amazon a récemment considérablement augmenté ses dépenses dans le lobbying”, rapporte le site économique Insider.
“Perturbateur en chef”, l'homme au crâne dégarni et à l'œil illuminé a mérité ce sobriquet accordé par le magazine Fortune, depuis plusieurs années déjà. Au cours des deux dernières décennies, celui qui est devenu la 5e fortune mondiale, selon Forbes (45 milliards de dollars), a tout bousculé sur son passage.
Sa bibliothèque en ligne a révolutionné l'industrie des articles culturels et Amazon contrôle actuellement la majeure partie du e-commerce, en ouvrant ses activités à l'alimentation, le mobilier, l'électronique, les produits de beauté... Mais aussi la mode, une activité pour laquelle il nourrit de grandes ambitions, avec les tractations actuelles pour le rachat d'American Apparel.
Outre les perspectives de se renforcer sur un marché de l'habillement dans lequel Amazon vise une croissance de 30% du chiffre d'affaires (28 milliards de dollars) en 2017, ce rachat aurait, selon les observateurs, une dimension politique. “Ce serait l'occasion pour la firme de Seattle d'acquérir une entreprise qui a fait du Made in USA sa marque de fabrique. Or, on le sait bien, depuis l'accession de Donald Trump à la présidence, sauvegarder ou conserver les emplois aux États-Unis est devenu un levier politique des plus importants”, peut-on lire dans le site Commerce & Consommation.
Le goût du risque
Il faut dire que les projets audacieux sont dans l'ADN d'Amazon et de Jeff Bezos. En avril dernier, alors que le cours de l'action Amazon battait de l'aile au Nasdaq, Bezos s'est fendu d'une lettre aux investisseurs où il défend la culture d'entreprise de sa firme. “Nous voulons être une grande entreprise qui soit aussi une machine à invention. (…) Nous sommes le meilleur endroit du monde pour échouer (nous avons beaucoup de pratique)”, écrit l'homme qui, pourtant à plusieurs reprises, a démontré qu'il avait un coup d'avance sur le marché.
Depuis sa cotation en Bourse en 1997, les affluents de l'Amazon de Bezos s'élargissent à coups de deux, voire trois acquisitions par an.
Il est présent sur tous les fronts et chaque semaine apporte son lot d'actualités pour ce gigantesque empire. Rien que durant l'année 2016, par exemple, Amazon a fait sensation dans le milieu de la mode avec le lancement d'émissions sur le Web et le dépôt de marques : dans le domaine des droits télé avec sa candidature (ratée) au rachat des droits de diffusion sur Internet des matchs de football américain, dans le secteur de l'intelligence artificielle avec l'acquisition de la start-up spécialisée Orbeus, ou encore avec le lancement d'une liseuse Kindle équipée d'une recharge solaire.
Les acteurs des marchés regardent aussi de près les ambitions d'Amazon dans le cinéma, la télévision ou encore ses projets dans la logistique et le transport, particulièrement son programme de livraison par drones en phase de test en Inde. À cela s'ajoute le projet touristique dans l'espace de Jeff Bezos, baptisé Blue Origin, qui a réalisé avec succès, en octobre dernier, le lancement de sa fusée réutilisable.
Mais il y a aussi, et surtout, le Washington Post, quatrième quotidien national américain, une bible pour les politiciens américains éditée depuis plus d'un siècle et symbole du journalisme d'investigation depuis le scandale de Watergate.
Racheté en 2013 pour 250 millions de dollars, le journal en danger de faillite a retrouvé une santé financière. Ses dirigeants ont annoncé, fin décembre, que le Washington Post est redevenu profitable et se lancent dans un plan de recrutement de 60 journalistes en 2017. Tout ce que Bezos touche semble se transformer en or.
Au départ, Jeff Bezos voulait appeler son entreprise “Cadabra”, mais au téléphone, ce nom était trop proche de “Cadaver” (cadavre en anglais). Il choisit alors Amazon, comme le plus grand fleuve du monde, qui attire une foule d'affluents. Un peu comme son site, qui ambitionne d'offrir le plus grand choix dans tous les domaines possibles.
Najat Lasri
Publié le 24/08/17 19:28
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