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Passage aux normes IFRS : Quels enjeux pour les compagnies d’assurance ?

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Dans le cadre de notre série d'entretiens avec des experts IFRS du cabinet " Les commissaires aux comptes associés ", membre du réseau international PwC, consacrés au sujet de l'adoption des normes internationales d'information financière (IFRS), Ahmed Sahnoun, PwC | Partner, et Mariem Romdhani Messi, Sénior Manager chez PwC, nous parleront des enjeux du passage aux normes IFRS pour les compagnies d'assurance.

 

Par Ahmed Sahnoun, PwC | Partner, et Mariem Romdhani Messi, Sénior Manager chez PwC

Le passage aux normes IFRS du secteur assurantiel a été décidé dans le sillage de la décision de l'assemblée générale du conseil national de la comptabilité du 6 septembre 2018 qui requiert les entités à intérêt public d'établir des états financiers consolidés conformément aux normes internationales d'information financière (" IFRS ") pour l'exercice qui sera clôturé le 31 décembre 2021 (Pour plus de détails voir notre article Quels sont les principaux enjeux du projet d'implémentation des Normes IFRS en Tunisie ? " paru le 15 septembre 2020).

Les compagnies d'assurance et de réassurance sont ainsi concernées par l'obligation d'établissement des états financiers conformément aux normes IFRS. Dans ce cadre, le Comité Général des Assurances (CGA) a émis une décision en date du 19 juin 2020 qui fournit un cadre général de démarche à adopter par les compagnies d'assurance pour la préparation du passage vers les normes IFRS et qui requiert des compagnies la préparation une feuille de route pour le projet d'adoption des normes IFRS.

Etant donnée la date prévue d'implémentation des normes IFRS à l'horizon 2021, les compagnies d'assurance auront à gérer ce projet en deux étapes. Une première étape qui consiste à adopter les normes IFRS en vigueur au 1er janvier 2021, c'est-à-dire en tenant compte de la norme IFRS 4, Contrats d'assurance, et implémenter en deuxième étape la norme IFRS 17, Contrats d'assurance, qui remplacera la norme IFRS 4 à compter du 1er janvier 2023.

Quant aux instruments financiers, qui constituent un élément important des actifs des compagnies d'assurance, les compagnies auront le choix entre une application de la norme IFRS 9, Instruments financiers, d'une façon concomitante avec la norme IFRS 4 ou différer l'application de la norme IFRS 9 avec l'entrée en application de la norme IFRS 17 en 2023. Pour les compagnies qui optent pour la deuxième option, ils vont appliquer l'ancienne norme IAS 39, Instruments financier : Comptabilisation et Evaluation.

Cette option n'est pas normalement valable pour les compagnies d'assurance qui font partie d'un groupe bancaire qui auront l'obligation de s'aligner à la politique de la société mère qui se doit d'appliquer la norme IFRS 9 en 2021. Par ailleurs, dans un souci d'harmonisation des pratiques comptables, on s'attend à ce que l'ensemble du secteur opte pour un choix unique qui serait logiquement l'application de la norme IFRS 9 dès 2021.

Cette approche de transition en deux phases est susceptible d'aider les compagnies dans ce projet étant donné la complexité de la mise en place norme IFRS 17.

Quelles sont les majeures différences entre les normes IFRS 4 et IFRS 17 ?

IFRS 4, une norme de transition

La norme IFRS 4 a été publiée en 2004, elle reste applicable jusqu'au 1er janvier 2023 date d'entrée en vigueur de la norme IFRS 17, qui consacre l'aboutissement de la refonte comptable internationale de la normalisation de la comptabilisation des contrats d'assurance.

La spécificité de la norme IFRS 4 est qu'elle permet à un assureur de maintenir les pratiques comptables existantes avant sa transition aux IFRS pour la comptabilisation des contrats d'assurance et de réassurance. Cette latitude est assortie de certaines contraintes :

  • Un assureur ne doit pas comptabiliser en tant que passif des provisions au titre de demandes d'indemnisation éventuelles futures si ces demandes ne sont pas générées par des contrats d'assurance qui ne sont pas encore souscrits à la date de reporting. Par exemple, les provisions pour risque d'égalisation et d'équilibrage.
  • Nécessité d'effectuer le test de suffisance du passif.

En gros avec la norme IFRS 4, les compagnies d'assurance en Tunisie vont maintenir les politiques comptables actuelles en matière d'estimation et de comptabilisation des provisions techniques moyennant notamment la réalisation d'un test de suffisance des passifs.

IFRS 17, une transformation fondamentale du traitement comptable des contrats d'assurance.

Le projet de la norme IFRS 17 a été lancé en 2004 en même temps que l'adoption de la norme IFRS 4. La version finale de la norme IFRS 17 a été émise en 2017 avec une date d'entrée en vigueur prévue initialement pour 2021. Toutefois, faisant suite aux demandes reçues des différents stakeholders qui ont exprimé leur inquiétude quant aux difficultés de la mise en place de cette norme complexe, L'International Accounting Standard Board (" IASB ") a accepté de reporter la date d'entrée en vigueur de la nouvelle norme pour 2023.

L'IFRS 17 remédie à de nombreuses insuffisances du large éventail des pratiques comptables existantes et permises sous l'égide de la norme IFRS 4 pour permettre l'harmonisation de ces pratiques. Elle fournit également une amélioration des informations sur la rentabilité actuelle et future des assureurs.

Elle devrait entrainer une amélioration significative de la comparabilité des états financiers entre les différentes compagnies. Les états financiers conformes à cette norme stimuleront les marchés de capitaux dans la mesure où ils faciliteront la compréhension par les investisseurs de la rentabilité future attendue, des risques encourus et l'évolution des passifs d'assurance.

IFRS 17, une révolution… à laquelle il faut se préparer !

La norme IFRS 17 devrait avoir des retombées significatives pour toutes les entités qui émettent des contrats d'assurance ou réassurance, que ce soit au niveau de l'évaluation des passifs (ou des actifs), de la reconnaissance des produits ainsi que de leur présentation dans l'état de résultat.

Les principaux changements apportés par IFRS 17 par rapport à IFRS 4 peuvent être résumés comme suit :

  • Evaluation des passifs à la valeur de marché : estimation de la valeur actuelle des cash-flows futurs attendus 
  • Les revenus d'assurance ne sont reconnus dans l'état de résultat qu'au fur et à mesure que le service assurantiel est réalisé : ce mécanisme est reflété grâce à la nouvelle notion de marge de service contractuelle (" Contractual Service Margin-CSM "). La CSM représente le profit futur actualisé, non acquis, du portefeuille de contrats et elle est présentée parmi les passifs des contrats d'assurance. Par conséquent, la nouvelle norme conduit à neutraliser tout profit à l'origine. 
  • La notion de cohorte de contrat ou de groupes de contrats est une nouvelle notion et qui revêt une importance capitale dans le nouveau mode de gestion opérationnel du risque d'assurance en application de la norme IFRS 17. En effet, l'agrégation des contrats par profil de risque sera déterminante pour le modèle de constatation des revenus de la cohorte sur la durée de vie des contrats et par conséquent sur la perception des investisseurs de la profitabilité de la compagnie. Cependant, cette analyse des contrats par groupe ne modifie pas le bénéfice total reconnu sur la durée des contrats ou des flux de trésorerie d'exécution des contrats d'assurance.

Il parait ainsi que cette nouvelle norme va changer fondamentalement le traitement des contrats d'assurance par rapport au référentiel tunisien et aussi par rapport à la norme IFRS 4. Quels sont les prérequis pour l'implémentation de cette norme et comment les compagnies d'assurance doivent se préparer ?

Effectivement, au-delà de l'impact financier de cette nouvelle norme et au-delà de la refonte nécessaire de l'exercice d'analyse et décryptage des nouveaux chiffres qui seront publiés, les compagnies d'assurance doivent faire face à un challenge de taille, celui de la mise à niveau de leur système d'information afin d'être apte à produire les informations dans la qualité et le degré de détail/ de regroupement requis par la nouvelle norme.

La mise à niveau est un euphémisme dans la mesure où IFRS 17 requiert un chamboulement total des règles de gestion du système d'information et ce à plusieurs titres :

  • La comptabilisation se fait par groupe de contrats homogènes, qui partagent un profil de risque similaire, sont gérés ensembles, font partie de la même génération de contrats et ayant un modèle de profitabilité commun. L'information disponible doit permettre de faire cette analyse de la granularité du portefeuille de la manière la plus fiable possible ;
  • Pour chaque cohorte de contrat, il y a lieu d'identifier, voire estimer les flux de trésorerie entrant et les flux de trésorerie sortant . Cet exercice à lui seul requiert en amont une implication sans précédent du service actuariat de la compagnie pour donner l'estimation la plus fiable possible de ces flux. Cet exercice va se baser sur l'historique existant dans les bases de données de la compagnie et le degré de sa réussite dépend de la qualité de l'information de cet historique.
  • Modification des schémas comptables et financiers de traitement de l'information : calcul et amortissement de la CSM, prise en compte de l'actualisation, etc…
  • Reeingenering de la composition du passif financier d'assurance : il ne s'agit plus des provisions techniques réglementaires mais ce passif devra refléter les obligations de la compagnie non seulement envers les assurés (" Present value of futur cash flows ") mais également le profit futur des investisseurs non encore réalisé.

Ainsi il ressort de ce qui précède que :

  • L'implémentation de la norme IFRS 17 nécessite une granularité importante des données, ainsi que la conservation des hypothèses utilisées à la date du début de chaque contrat d'assurance.
  • Le processus de préparation des états financiers doit être entièrement revu d'un point de vue système d'information pour prendre en compte cette augmentation importante de données à manipuler et à conserver. Les outils actuels peuvent ne pas être suffisants pour l'augmentation du flux de données.

Les prérequis et les préalables et le coût de l'implémentation

La mise en place de la nouvelle norme nécessite pour les compagnies de recueillir de nouvelles informations et données, de recruter ou développer les compétences internes notamment en actuariat et en gestion des risques. C'est un projet assez coûteux pour les sociétés. Il nécessite la conduite de projets importants impliquant de nombreuses personnes et le recours parfois important à des ressources externes à l'entreprise. L'essentiel du coût du projet est en grande partie dû au besoin d'améliorer les systèmes informatiques, en particulier pour les entreprises dotées de très anciens systèmes, et le nombre de personnes mobilisées.

 Des programmes d'une telle ampleur en termes de ressources soulèvent plusieurs difficultés :

  • Le manque de compétences en interne, ce qui nécessite un recours important à des prestataires externes en attendant la formation de compétences en interne ;
  • Des impacts potentiels sur les autres activités et projets des entreprises du fait du nombre de personnes impliquées sur le programme IFRS 17 ;
  • Des problèmes de communication pour diffuser les informations aux personnes travaillant sur ces projets. Cette difficulté est exacerbée par le fait que le projet IFRS 17 est un projet de moyen voire long terme qui nécessite la mise en place d'organisations ponctuelles, évoluant avec l'avancée du projet et la rotation potentielle des personnes impliquées.

Les difficultés rencontrées peuvent également être différentes en fonction des zones ou des pays. Les assureurs européens ont mis en place la directive européenne Solvabilité II à partir de 2016. Cette réglementation avait déjà nécessité des coûts importants, par conséquent les compagnies européennes font en sorte de s'appuyer au maximum sur les infrastructures et processus en place pour solvabilité II.

Pour le cas de la Tunisie, à contrario, les assureurs doivent de leur côté " commencer de zéro ", avec comme point de départ les NCT qui, depuis un moment, sont devenues complétement obsolètes par rapport aux IFRS et à fortiori la norme IFRS 17. Par ailleurs, le projet en cours lancé récemment par le CGA relatif à l'établissement d'une nouvelle règle de solvabilité basée sur les risques (" SBR ") pourrait aider les compagnies dans les prérequis d'implémentation de la norme IFRS 17 mais risque en même temps de compliquer la tâche des assureurs qui doivent mener de front les deux projets qui sont complexes et coûteux.

Au-delà des normes IFRS 4 et IFRS 17, quels sont les autres enjeux du projet d'implémentation des normes IFRS pour le secteur des assurances ?

Les compagnies d'assurance seront soumises aux mêmes difficultés et challenges que les autres sociétés soumises à l'obligation des normes IFRS (formation de personnel, coût du projet, gestion du projet, prérequis en système d'information, gouvernance du projet, gestion de la communication, etc). Mais, et étant donnée l'importance du portefeuille des instruments financiers détenus par les compagnies d'assurance, la mise en place de la norme IFRS 9 présentera de son côté des challenges lors de sa première application, pour deux axes principalement :

  • Mesure à la juste valeur : La norme IFRS 9 requiert la mesure des instruments financiers à leur juste valeur contrairement aux NCT qui utilisent largement le coût historique.
  • Le calcul des provisions pour dépréciation au titre instruments à revenus fixes (obligations et bons de trésors) et sur les créances résultant des contrats d'assurance et de réassurance : La norme IFRS 9 requiert la mise en place d'un nouveau modèle de dépréciation des Pertes de Crédit Attendues (" Excpected Credit Losses-ECL ") qui intègre notamment l'inclusion de l'information prospective sur l'appréciation du risque de crédit de contrepartie (Pour plus de détails sur ce modèle, voir l'article " L'enjeu et les prérequis de l'implémentation de la norme IFRS 9 pour le secteur financier tunisien " paru le 22 septembre 2020).

La mise en place de la norme IFRS 9 requiert des nouvelles compétences en évaluation des instruments financiers et de gestion du risque de crédit et nécessite des informations financières importantes en quantité et qualité (Etats financiers, prévisions financières, données comparatives des marchés financiers, historique de recouvrement, notation des contreparties, etc.)

Comment les compagnies d'assurance doivent se préparer pour ce projet ?

A l'instar des autres sociétés concernées par le projet d'implémentation des normes IFRS, les compagnies d'assurance doivent gérer ce projet comme un projet de transformation d'entreprises. Ce projet devrait être sponsorisé par le Top management avec une forte implication de tous les départements de la compagnie. Même si la norme IFRS 17 entrera en vigueur en 2023, il faut commencer de préparer le terrain dès aujourd'hui en identifiant les différents chantiers à mettre en place (notamment en termes de système d'information) pour pouvoir respecter la date de 2023.

Nous invitons les compagnies d'assurance à se concerter entre elles afin de mettre en place un espace de discussion des enjeux de mise en place de ce projet avec un retour d'expérience des difficultés rencontrées. Des solutions liées à l'optimisation des coûts de mise en place pourraient aussi s'avérer nécessaires pour certaines compagnies n'ayant pas la taille critique pour investir dans des nouveaux systèmes d'information coûteux. 

On termine sur une note positive en indiquant que nous à un impact positif des normes IFRS sur les capitaux propres de la majorité des compagnies d'assurance en Tunisie notamment celles disposant d'un important portefeuille de placements financiers et immobiliers qui devrait générer une plus-value latente significative lors du premier passage IFRS en 2021.

Les informations fournies dans la présente publication ont un caractère exclusivement général, et ne peuvent en aucun cas être assimilées à une prestation de conseil. Aussi, elles ne peuvent être utilisées comme un substitut à une consultation rendue par un professionnel compétent pour vous fournir un conseil adapté à votre situation. Nous ne fournissons aucune garantie (expresse ou implicite) en ce qui concerne l'exactitude et l'exhaustivité des informations contenues dans cette publication. En tout état de cause, la responsabilité des entités membres du réseau PwC ou de leur personnel ne pourra en aucun cas être engagée du fait ou à la suite d'une décision prise sur la base des informations contenues dans cette publication.

Publié le 29/01/21 20:04

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