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Lamjed BOUKHRIS : « La CTAMA a renoué en 2020 avec les bénéfices après 10 ans consécutifs de pertes »

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Ancrée depuis 110 ans dans le tissu mutualiste tunisien, la Caisse Tunisienne d'Assurances Mutuelles Agricoles (CTAMA) n'a cessé de perpétuer sa vocation en servant les intérêts de l'agriculture à travers la transmission de l'héritage de la mutuelle. Force méconnue au cours de la dernière décennie, en raison de l'instabilité persistante du pays, la CTAMA a pu renaitre de ses cendres.

Donnée pour morte au cours de la dernière décennie, la CTAMA a réussi à voir la lumière au bout du tunnel. En 2020, la mutuelle s'est débarrassée de plusieurs années de déficit pour afficher son premier bénéfice net sous la direction de M. Lamjed BOUKHRIS. A la tête de la compagnie depuis 2018, le Directeur Général de la CTAMA nous fera découvrir les clés de cette réussite. Interview.

M. Lamjed BOUKHRIS, Directeur Général de la CTAMA

 

Si vous nous parlez de l'histoire des mutuelles agricoles et de leurs racines en Tunisie

La jeunesse de l'assurance tunisienne a débuté avec la Caisse Tunisienne d'Assurances Mutuelles Agricoles (CTAMA) en 1912 alors appelée Assurances Tunisie. Il s'agissait de la continuité de la mutuelle agricole mise en place en Algérie française, dupliquée en Tunisie avant d'être mise en œuvre au Maroc.

Il était question d'une mutuelle coopérative pour les exploitants agricoles pour se prémunir des risques et des accidents qui pouvaient affecter les cheptels ainsi que les grandes cultures. Les activités de la compagnie Assurances Tunisie ont débuté à Makthar avant d'être dupliquées à Tunis.

En 1961, une tunisisation a eu lieu pour les mutuelles agricoles à travers la création de la CTAMA. Outre sa spécialisation dans les assurances agricoles, la Caisse a fondé une autre mutuelle d'assurances, à savoir la Mutuelle Générale d'Assurances (MGA), qui assure les autres activités hors agriculture.

Cependant, malgré l'existence d'une caisse spécialisée pour l'assurance agricole, le secteur reste limité. Le taux de pénétration de l'assurance dans l'agriculture reste faible. Il représente actuellement le trentième du taux de pénétration global de l'assurance dans l'économie nationale, lui-même, frêle en se situant entre 2% et 3%, contre une moyenne mondiale de 7%.

Même si la CTAMA œuvre depuis des décennies à l'expansion du taux de pénétration de l'assurance dans l'agriculture avec l'aide de certains organismes comme l'Union Tunisienne de l'Agriculture et de la Pêche (UTAP), le taux de pénétration reste bas. D'ailleurs, nous avons mené une étude sur les raisons de cette faiblesse de l'assurance dans le secteur agricole et comment remédier à ce problème.

A partir de 2011, la situation financière de la CTAMA s'est nettement dégradée. Quelles en sont les causes ?

La CTAMA est passée par une période difficile en 2011 en raison de la conjoncture tendue marquée par des difficultés internes et sociales. Cette instabilité a affecté son image, engendrant les premiers déficits à partir de cette année-là.

La situation a été encore plus affaiblie en 2014 suite à l'absorption de la MGA, qui n'a pas atteint les résultats escomptés. L'opération, menée à terme en 2018, était nécessaire au vu des déficits de la MGA en raison d'une spécialisation dans une unique branche d'activité.

Il est clair donc que la CTAMA a vécu plusieurs déconvenues de 2011 à 2017 en raison des écorchages subis au niveau de son image, de ses résultats financiers et de ses fonds propres. Une grande insuffisance en matière des rendements financiers de la CTAMA est visible mais elle détient un grand patrimoine immobilier. Les mutuelles du monde entier ambitionnent de détenir un patrimoine immobilier important en renforçant le nombre d'acquisition pour générer sur le long terme des plus-values.

Nous assurons ainsi des risques que nous ne devrions pas couvrir car ils creusent notre déficit en nous faisant perdre des millions de dinars. A cette situation fragile, s'est ajoutée l'absorption de la MGA. De plus, la surcharge du social est un autre aspect des coups assénés au secteur après la révolution de 2011.

Fin 2017, la CTAMA réalisait un faible chiffre d'affaires de 79 millions de dinars avec un effectif se chiffrant à plus de 400, ce qui représente le double de la norme du secteur des assurances. Des problèmes au niveau du système d'information de la CTAMA sont également à énumérer.

De plus, la compagnie affichait un découvert bancaire de plusieurs millions de dinars qui se creusait continuellement, ce qui l'a poussé à verser des intérêts alors qu'en temps normal, la mutuelle devait en recevoir selon ses placements. Les finances étaient tellement à la peine que les autorités allaient désigner un administrateur judiciaire en 2017 pour la CTAMA.

Au vu de tous ces problèmes, comment avez-vous géré la situation à votre arrivée à la tête de la compagnie ?

Le noyau essentiel de l'entreprise est son système d'information. La CTAMA avait deux choix. Soit elle développe son propre système, soit elle en achète un. Au cas où le système d'information serait acheté, cela induirait des coûts élevés. En même temps, l'acquisition d'un système d'information présentait des risques d'inadéquation pour le personnel car les changements ne sont pas facilement assimilés, ce qui donnerait lieu à la conduite de formations pour l'utilisation des logiciels.

Vu que la CTAMA dispose d'une équipe excellente constituée d'ingénieurs informatiques, nous nous sommes adressés à un consultant externe pour nous aider à mener à bien ce projet en interne. Le nouveau système d'information développé couvrant toutes les activités d'assurance a été mis en place rapidement, soit en l'espace d'un an. La CTAMA voit en ce système une possibilité de vente dans les années à venir pour des entreprises africaines.

Par conséquent, ce système d'information a facilité les opérations de souscription et nous a permis d'avoir un œil sur les contrats et les règlements. L'ancien système était désuet et n'était pas facile à gérer au vu de sa complexité. Avec le nouveau système d'information tout est répertorié en instantané. 

La gestion du personnel est un autre grand axe du plan de restructuration. En effet, les licenciements étaient écartés étant donné que la situation sociale de la Tunisie est tendue, en plus de la culture d'entreprise présente dans les mutuelles du monde entier qui prône la solidarité. La proposition d'assainissement social n'était pas une option.

Ainsi, nous avons proposé au personnel appartenant à notre réseau de devenir agent pour son propre compte, faisant d'une pierre deux coups. Le but escompté est de réduire le nombre d'employés et de booster la production et la productivité à travers leur motivation. Une vingtaine de personnes ont donc décidé de travailler pour la CTAMA en tant qu'agent, ce qui a fait progresser notre chiffre d'affaires.

En outre, nous avons décidé de céder une partie de notre patrimoine immobilier pour faire face à nos engagements financiers. Le conseil d'administration a été courageux d'initier cette manœuvre puisqu'il est difficile pour une mutuelle de se défaire de son patrimoine. Aussi, le Comité Général des Assurances (CGA) nous a aidés selon les manœuvres qui lui étaient possibles pour conduire des réformes que nous avons proposées.

A partir de quelle année la situation avait-elle commencé à s'améliorer ?

Ce n'est qu'en 2019 que la situation a commencé à s'améliorer. Cette année-là, le découvert a été résorbé en plus d'une réelle stabilité au niveau social, ce qui est une réussite. Néanmoins, nos commissaires aux comptes étaient septiques lorsque nous avons fait état de la bonne santé financière de l'entreprise et soulignaient toujours la nécessité de faire un effort supplémentaire de provisionnement.

L'année 2020 s'est achevée avec une réussite pour la CTAMA. Cette année charnière a permis à la compagnie de réaliser son premier bénéfice net depuis une décennie. Nos profits ont été de 5,7 millions de dinars. Toujours est-il que l'entreprise devait encore une fois réfléchir et travailler conjointement avec l'autorité de tutelle, le CGA, sur la situation de ses fonds propres.

Pour l'exercice 2021, notre chiffre d'affaires s'est situé à près de 150 millions de dinars. La CTAMA a pu doubler son chiffre d'affaires en quatre ans. Il se situait à 78 millions de dinars en 2017. Il est clair que l'assainissement financier de la compagnie passe par l'amélioration du niveau de son activité. En effet, des revenus en hausse permettent d'assurer la rémunération du personnel ainsi que le remboursement des bénéficiaires de la CTAMA.

Quelles sont les perspectives futures de la CTAMA ?

Même si la mutuelle a réalisé des bénéfices en 2020, il fallait trouver d'autres mesures pour cristalliser sa santé financière. Les solutions que peuvent être adoptées par les mutuelles sont restreintes étant donné l'absence d'un ou deux actionnaires de référence dans son capital, contrairement aux autres compagnies d'assurance.

Ainsi, nous avons engagé une banque d'affaires tunisienne, la CAP Bank, pour nous proposer les stratégies adéquates pour garantir une bonne restructuration financière de la compagnie. Cela fait près d'un mois et demi que nous avançons sur la partie du diagnostic et nous sommes impatients pour ce qui serait le début d'une nouvelle ère pour la CTAMA. Même le personnel est ouvert à ces propositions puisque l'objectif reste la pérennité de l'entreprise.

Nous nous attendons à ce que les prochaines années soient excédentaires pour la CTAMA à l'image de 2020. La tendance haussière se poursuivra. Je souhaite que l'étude débouchera sur un partenariat financier ou technique, c'est-à-dire, avec une banque tunisienne ou avec un opérateur proche du secteur agricole. Ces solutions peuvent assurer l'avenir de la mutuelle et pourraient même hisser la CTAMA parmi les meilleures sociétés d'assurance du pays.

Propos recueillis par Omar El Oudi

Publié le 21/02/22 11:00

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