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Jérôme VACHER (FMI) : Faute d’avancement rapide des réformes, les 1,2 milliard de dollars restent en suspens

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Quand la Tunisie a emprunté auprès du FMI en 2016, elle s'est engagée à mener des politiques destinées à surmonter des problèmes économiques et structurels. Cet engagement est axé sur des réformes structurelles qui s'attaquent aux faiblesses institutionnelles et économiques, en plus des politiques propres à préserver la stabilité macroéconomique. Au regard du contexte politique global que connaît la Tunisie, le FMI pourrait très bien couper le robinet et ne pas aller aux termes du programme. Une inquiétude certaine que vient confirmer M. Jérôme VACHER, Représentant Résident du FMI en Tunisie. Interview.

Le FMI a intégré depuis longtemps l'hypothèse d'une instabilité politique due aux élections présidentielle et législatives, sans que cela ne remette en question, jusqu'à présent, son programme de mécanisme élargi de crédit à la Tunisie. Cette hypothèse est-elle toujours d'actualité ?

Jérôme VACHER : A l'heure actuelle, en ce qui concerne la Tunisie, nous avons un accord au titre du mécanisme élargi de crédit (MEDC) qui a été approuvé en 2016 et qui court jusqu'au printemps 2020. Comme chaque programme, nous avons des revues régulières dont chacune fait le point sur les développements récents à travers le suivi d'un certain nombre d'indicateurs et de ce qui a pu être fait, et ce qui pourra être fait, par les autorités en termes de politiques et réformes économiques. Nous avons conclu la cinquième revue en juin 2019 portant le montant déboursé jusque-là à 1,6 milliard de dollars. C'est un engagement substantiel du FMI, d'autant qu'il permet aussi de débloquer d'autres financements de la communauté internationale. Cela étant, par rapport à l'enveloppe qui a été allouée initialement, ceci veut dire aussi que 1,2 milliard de dollars n'ont pu être déboursés, faute d'avancement suffisamment rapide du programme et des réformes économiques à certains moments.

Depuis cette 5ème revue, nous avons effectué des visites, de nature technique et informelle, en juillet et en octobre, pour continuer à faire le point sur la situation économique. Mais, pour l'instant des arrangements pour préparer une éventuelle 6ème revue n'ont pas été engagés. Lorsqu'une nouvelle équipe gouvernementale sera en place, nous serons a même d'aborder les différentes politiques qui pourraient être soutenues par une revue, car notre dialogue ne se fonde jamais sur un jugement des orientations générales de telle ou telle composante politique, mais uniquement sur une analyse économique et des actions concrètes de politique économique.

 

Le FMI est-il satisfait des réalisations du Gouvernement Chahed en matière de réformes ?

Jérôme VACHER : Il ne s'agit pas de porter un jugement sur une équipe ou une autre. Ce que nous regardons c'est l'évolution de la politique économique sur les dernières années. Ce qu'on constate c'est qu'il y a eu un effort pour améliorer la situation budgétaire avec une réduction du déficit, et notamment au niveau des recettes fiscales qui se sont sensiblement améliorées en 2018 et 2019. On remarque aussi une poursuite de l'ajustement au niveau des dépenses même si, à notre sens, il y a toujours un problème important en matière de composition, avec un poids qui reste trop important de la masse salariale de la fonction publique et un niveau de subventions énergétiques qui reste encore trop élevé (ce dernier représentant la moitié du déficit budgétaire). Ces deux facteurs introduisent beaucoup de rigidité au niveau des dépenses publiques ne permettant pas à la Tunisie d'avoir des " dépenses d'avenir " : investissements publics, dépenses sociales et notamment dans l'éducation et la sante.

Du côté de la politique monétaire de la banque centrale, qui est toujours un interlocuteur privilégié pour nous, on a observé des améliorations dans la gestion à la fois de la politique de change, avec un peu plus de flexibilité, et de la politique monétaire qui est devenue beaucoup plus proactive par rapport à l'évolution de l'inflation, qui doit être l'objectif principal d'une banque centrale.

Sur ces volets, je pense qu'on a vu une avancée dans la voie d'une plus grande stabilisation macro-économique, après des années particulièrement difficiles, et cela même si la croissance reste trop faible et les déséquilibres macro-économiques (finances publiques, comptes extérieurs) trop importants. Il faut maintenir le cap dans cette stabilisation de façon à ce qu'on puisse avancer rapidement sur d'autres sujets, et vers une croissance plus forte, plus soutenable et plus inclusive.

 

Au regard du contexte politique actuel, faut-il remettre en question le programme de mécanisme élargi de crédit ?

Jérôme VACHER : Ce qui est toujours important pour nous c'est que nous puissions soutenir les autorités tunisiennes dans un programme de politique et de réformes économiques qui fassent sens c'est-à-dire qui permettent d'avoir plus de stabilité macro-économique et financière et, à terme, d'atteindre une croissance plus soutenable et inclusive. Sur ce dernier point, des progrès ont été réalisés notamment avec la mise en place de la base de données sociales Amen qui permet un meilleur ciblage des politiques sociales vers les ménages les plus vulnérables.  

Notre soutien financier est toujours en rapport avec ces objectifs et il est évident que ça restera toujours la préoccupation principale. A cet égard, le mécanisme élargi de crédit est un bon outil, ou chaque revue a un aspect rétrospectif et prospectif. Et donc cela fait partie des discussions que nous avons avec les autorités en termes de performances passées mais aussi en termes d'engagements et de programmes pour les mois qui viennent. Bien évidemment, la capacité et la détermination d'un gouvernement à prendre des engagements est un aspect important pour nous.

De fait, il n'y a pas de calendrier strict en matière de revues. Nous avons toujours un calendrier indicatif à chaque revue où est indiqué un déroulement potentiel sur une base trimestrielle. Néanmoins, chaque revue est conditionnée par cet examen des politiques économiques à la fois passées et futures. C'est pour cela qu'il n'est pas toujours possible de s'engager très à l'avance sur une date précise. Les circonstances économiques et, notamment, l'environnement économique international, peuvent également changer rapidement et nous le prenons aussi en compte dans nos prévisions et recommandations pour la Tunisie.

Ainsi, au fur et à mesure de l'avancement des discussions avec les autorités d'un pays, du progrès enregistré on peut avoir une idée un peu plus précise à la fois sur l'évaluation faite au niveau des services du FMI et, éventuellement par la suite au niveau du Conseil d'administration.

 

Pouvez-vous nous fournir une idée sur la nature des discussions avec les autorités tunisiennes lors de la visite à Tunis des services du FMI en octobre dernier ?

Jérôme VACHER : La visite d'octobre a été une visite assez courte, d'ordre technique, et portant l'essentiel de son attention sur les aspects budgétaires. Il s'agissait pour nos services de mieux comprendre les évolutions récentes en matière d'exécution budgétaire, mais, également, de mieux comprendre le projet de la loi de finances pour 2020 tel qu'il était préparé initialement.

Ce sont ainsi des discussions techniques régulières puisque le budget de l'Etat et la préparation de la loi de finances sont toujours des moments importants dans la vie économique d'un pays, qu'il soit sous surveillance macroéconomique comme tous nos pays membres ou avec un programme soutenu par le FMI. Ce genre de visites techniques ne donne traditionnellement lieu ni à un rapport public ni à une décision du Conseil d'administration du FMI, mais permet d'enrichir considérablement notre dialogue avec les autorités.

 

En ce qui concerne le dossier de la masse salariale de la fonction publique, la poursuite de l'augmentation de celle-ci pourrait-elle avoir un impact sur vos discussions avec les autorités tunisiennes ?  

Jérôme VACHER : L'évolution de la masse salariale représente toujours une préoccupation pour nous. Elle constitue une part trop importante des dépenses de l'Etat avec un niveau élevé en pourcentage du PIB (plus de 15% du PIB) comparativement à d'autres pays qui ont un niveau de développement économique comparable à la Tunisie. Et c'est devenu un facteur de rigidité très important au niveau des finances publiques qui, encore une fois, limite la capacité de l'Etat tunisien à faire plus en matière de dépenses d'avenir (investissement, éducation, sante). Et c'est le même problème que l'on voit avec les subventions énergétiques.

Le fait que la masse salariale en pourcentage du PIB continue à augmenter représente un facteur de préoccupation. Nous encourageons toujours le gouvernement à essayer d'explorer le maximum possible de solutions, qui ne sont certes pas faciles et restent limitées à court terme, pour contenir cette croissance. Et c'est une préoccupation aussi de moyen terme pour faire en sorte que l'évolution des finances publiques soit soutenable, compte tenu du poids important et croissant de la dette publique.

Même chose pour les subventions énergétiques. Là, en réalité, il y a plus de marge de manœuvre pour l'Etat qui s'est déjà engagé à les réduire progressivement. Ces subventions, très inégalitaires, financent de la consommation plutôt que de l'investissement, et de surcroît, de produits importés. Ceci dans une économie avec des déficits des paiements courants élevés (près de 10% du PIB), et sans compter les effets négatifs en matière de changement climatique. En bref, il y a toute une série de raisons pour lesquelles ces subventions doivent être réduites le plus rapidement possible. Bien évidemment, nous insistons toujours pour que cela soit fait non seulement avec une communication et préparation appropriée, mais avec une compensation adéquate des ménages les plus vulnérables. Ce dernier point a été une constante de nos recommandations au niveau global, et avec la Tunisie depuis plusieurs années.

Néanmoins, dans le cadre du programme que nous soutenons, les autorités ont tardé à appliquer la réduction des subventions énergétiques, et d'ores et déjà par rapport à ce qui a été inscrit dans la loi de finances pour 2019. Il est important que le gouvernement prenne de véritables mesures en la matière.

C'est vrai qu'une réduction des subventions énergétiques est inscrite dans la loi de finances pour 2020 mais il est important que cela se traduise dans une démarche concrète et dans une véritable mise en œuvre, bien préparée. Car, résoudre ce problème permettra de passer à des discussions plus porteuses et orientées vers une croissance soutenable et vers des dépenses publiques d'avenir.       

 

Ce constat concerne-t-il aussi bien les entreprises publiques ?

Jérôme VACHER : C'est un problème que l'on sait important pour la Tunisie. Comme pour d'autres réformes structurelles, nous pensons qu'il y a une belle fenêtre d'opportunité qui s'ouvre en 2020 pour aborder ce problème de manière un peu plus décisive et concertée avec, idéalement, une vraie réforme des entreprises publiques. Cela passe évidemment par une meilleure connaissance de la situation des entreprises publiques. Là on voit qu'il y a déjà beaucoup à faire en matière de transparence financière et de gouvernance pour connaitre la vraie situation de ces entreprises. Il manque beaucoup trop d'informations à la fois pour le public et pour tous les observateurs sur la situation financière réelle des entreprises publiques.

La réforme des entreprises publiques en Tunisie n'est pas seulement un problème de finances publiques mais qui touche toute l'économie. Car il affecte la compétitivité de l'économie tunisienne dans son ensemble puisque cela concerne des secteurs qui ont un impact sur l'activité important comme celui des transports ou de l'énergie.

Bien évidemment, c'est également un problème pour le développement de l'initiative privée et est à relier à la nécessité de réduction des rigidités et d'augmentation de la concurrence dans l'économie tunisienne. Tout ceci aussi, afin que la Tunisie devienne une destination attractive pour les investissements étrangers créateurs d'emplois.

 

Pour conclure, quel message voulez-vous faire passer à la prochaine équipe gouvernementale ?

Jérôme VACHER : Il faut maintenir le cap sur la stabilisation macroéconomique et continuer à bâtir sur les gains qui ont déjà été enregistrés. C'est un processus délicat puisque la Tunisie a été confrontée à des chocs économiques assez difficiles pour la population, mais c'est important de donner une perspective pour les Tunisiens que les choses vont changer et que l'économie tunisienne, destinée à être ouverte sur le monde, sera plus compétitive, plus agile, créatrice d'emplois pour les jeunes, et avec un filet de sécurité suffisant pour les plus vulnérables.

Je pense qu'il est particulièrement important que tout le monde comprenne qu'il y a une belle fenêtre d'opportunité qui s'ouvre pour faire des réformes et pour engager, avec détermination, la Tunisie dans une croissance plus soutenable, plus durable et plus inclusive.

Propos recueillis par Omar El Oudi

Publié le 18/12/19 13:10

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