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Farouk Zouhir : Fidélité à l’ADN et vision renouvelée pour un avenir prometteur pour Sancella

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L'année 2020 a marqué un tournant critique pour les entreprises du monde entier avec l'avènement de la pandémie de COVID-19 qui a précipité des défis sans précédent, affectant profondément tous les secteurs de l'économie mondiale.

Parmi les entreprises qui ont dû faire preuve de résilience et d'adaptabilité, le Groupe Sancella, pionnier des fabricants  de produits d'hygiène en Tunisie, a également été touché par cette période turbulente. Il a dû naviguer dans un environnement incertain tout en continuant à servir ses clients et à s'adapter aux nouvelles réalités.

 

Farouk Zouhir, successeur de feu Aziz Zouhir a repris les rênes du groupe à un moment difficile et a su mettre en place une vision nouvelle, qui permet aujourd'hui à Sancella d'appréhender son avenir avec un nouvel optimise. Interview.

 

Revenons à l'année 2019, lorsque vous avez racheté les parts de votre partenaire suédois. Pouvez-vous nous expliquer ce qui s'est passé pendant cette période ?

Nous avons tout d'abord reçu une proposition de vente, mais cela ne faisait pas partie de nos plans. Sancella est un fleuron de l'industrie nationale et nous n'avions pas comme idée de le céder. Nous avons finalement décidé de racheter leurs parts, ce qui constituait un investissement important pour l'entreprise et notre famille.

Les discussions ont commencé en 2018, et nous avons conclu l'accord en 2019, juste avant l'arrivée de la pandémie de COVID-19. Cette période a énormément perturbé l'activité. Malgré une hausse très brève de la consommation au tout début de l'apparition du virus, les répercussions de la pandémie ont été brutales.

Les problèmes ont commencé à se manifester vers la fin de l'année 2020, lorsque des restrictions ont commencé à être imposées sur les importations de produits dans certains pays du continent, entrainant un frein considérable pour nos exportations, sachant qu'elles représentent près de 60% de notre chiffre d'affaires.  

À partir de 2021 jusqu'à fin 2022, nous avons assisté à une augmentation sans précédent du coût des matières premières, notamment celui relatif aux intrants de base qui entrent dans la composition de nos produits d'hygiène dont le prix a doublé en moins de 12 mois. Cette hausse rapide et soudaine a été accompagnée de pénuries, ce qui a fortement perturbé nos cycles de production.

Une explication réside dans la forte demande de cartons en Chine due à l'essor du commerce électronique. Cette hausse soudaine de la demande en carton a réduit la disponibilité de la pâte de bois pour l'hygiène, créant une pénurie sur le marché.  S'est ensuite ajoutée la crise de disponibilité des conteneurs, qui a d'ailleurs perturbé de nombreux secteurs industriels.

Entre 2021 et 2022, les coûts de production des produits d'hygiène ont flambés. Enfin, nous avons connu en interne le décès soudain de mon père Aziz ZOUHIR, en juillet 2022. Ces événements successifs ont engendré un stress considérable sur notre activité et notre exploitation, engendrant des pertes au cours de ces deux années. C'est dans ce contexte que j'ai pris la direction de l'entreprise en août 2022.

 

Pendant cette période, comment fonctionnait l'entreprise ?

A la suite du décès de mon père, nous devions gérer une crise à la fois personnelle et professionnelle. Notre famille, mais également nos collaborateurs, devaient commencer un deuil douloureux auquel personne ne s'était préparée. Ensuite, les banques et nos partenaires avaient ralenti leur soutien à l'entreprise puisqu'ils voulaient comprendre comment nous allions gérer la succession et si la personne prenant la relève serait en mesure de redresser la situation.

Même si j'étais dans le groupe depuis près de 14 ans à ce moment-là, mon père était la figure de proue et le leader du groupe, donc il y avait légitimement des inquiétudes. En quelques mois, il a fallu rassurer tout le monde, partenaires et collaborateurs.

J'ai rassemblé l'ensemble du staff pour leur exprimer notre volonté de continuer notre mission puis j'ai rencontré nos partenaires pour leur expliquer que nous allions maintenir nos activités et mettre en place un plan pour redresser la situation. C'est ce qui a occupé nos premiers mois : rassembler et mettre en œuvre un plan d'actions pour redresser la barre rapidement.

Nous avons travaillé sur ce plan au cours du dernier trimestre de 2022, et nous avons commencé à le mettre en œuvre au début de l'année suivante. Fondamentalement, le plan visait à repenser notre stratégie, à l'adapter aux défis qui se dressaient devant nous.

 

En quoi ce nouveau plan de restructuration consiste-t-il ?

Pendant de nombreuses années, nous avions axé notre travail sur la croissance, la conquête de nouveaux marchés, et nous avions mis en place une organisation et des moyens pour soutenir cette croissance. Malheureusement, la crise de la COVID-19 est survenue, les marchés ont changé, et l'importance de la consommation locale est devenue très marquée.

Nous avons donc décidé de revoir notre vision, d'optimiser les ressources que nous avions, de réduire nos structures et de travailler sur une organisation beaucoup plus efficiente, plus agile,  tout en continuant à améliorer notre rentabilité en optimisant nos produits, en cherchant de nouveaux fournisseurs et en fluidifiant notre chaîne d'approvisionnement.

Le but était de revenir rapidement à la rentabilité tout en maintenant notre identité, qui est de proposer des produits performants et désirables pour les consommateurs. Cela a pris du temps, car chaque matière première devait être examinée et optimisée gramme par gramme, centimètre par centimètre.

Nous avons également revu notre organisation, réduisant le personnel sans recourir à des plans sociaux brutaux car ce n'est pas dans notre culture. Nous avons trouvé des solutions, y compris un plan de retraite anticipée, en collaboration avec les syndicats.

Au total, nous avons réduit notre personnel d'environ 20% sans perturber le climat social ni l'activité. Nous avons également trouvé de nouveaux fournisseurs de matières premières et nous avons lancés les procédures de qualifications nécessaires. Nous avons ainsi revu l'ensemble de notre organisation pour la rendre aussi efficace que possible.

Aujourd'hui, Le mot d'ordre dans nos discussions avec les équipes est de faire mieux avec moins, c'est à dire de maintenir voire améliorer nos performances, tout en optimisant nos ressources. Ce n'est pas une mince affaire, mais avec l'expérience et l'engagement des équipes, nous y arrivons. Il en va de la pérennité de l'entreprise.

 

Ce nouveau plan de restructuration aura-t-il un impact sur les réalisations de 2023 ?

Nous avons mis en œuvre ce plan au cours des six premiers mois de 2023, et aujourd'hui, les résultats commencent à se concrétiser. Pour vous donner une idée générale, notre chiffre d'affaires devrait dépasser les 200 millions de dinars cette année, contre 160 millions l'année dernière ce qui représente une croissance de plus de 20%.

L'année dernière, notre EBITDA était négatif, ce qui constituait une situation dangereuse pour notre entreprise et sa continuité. Cette année, on aspire clôturer avec un EBITDA de plus de 11 millions de dinars. En six mois, nous avons donc mis en place un plan qui a donné des résultats, nous permettant de revenir à un rythme soutenu en termes d'activité et, surtout, de garantir la rentabilité, ce qui était notre priorité pour la survie du groupe.

Aujourd'hui, nous sommes en mesure de présenter à nos partenaires financiers une situation en nette amélioration et nous espérons qu'ils reconnaîtront ce redressement et continueront à croire en notre entreprise en finançant notre BFR (Besoin en Fonds de Roulement) car il s'agit désormais de notre défi principal.

Avec d'un côté le risque pays qui entraine des réduction des délais de paiement octroyés par nos fournisseurs et de l'autre la diminution des liquidités sur le marché qui poussent nos clients à demander encore plus de délais de paiement, la pression sur notre trésorerie est devenue considérable. Nous avons réussi à stabiliser nos opérations, mais du point de vue de la trésorerie, notre situation demeure encore fragile. Nous espérons que nos partenaires continueront à nous soutenir financièrement pour faire face à ces défis.

 

Quels sont vos projets futurs ?

Pour l'année 2023, nous avons pratiquement finalisé l'opération d'investissement de BluePeak Private Capital, annoncée en juillet 2021. A travers cette opération, nous espérons collecter les fonds nécessaires pour financer nos opérations mais également notre plan d'investissements.  

Quant à nos projets pour l'année 2024, nous avons l'intention de relancer nos investissements tout en restant fidèles à notre vision. Ces investissements seront soigneusement étudiés et viseront à améliorer notre gamme actuelle de produits, ainsi qu'à étendre notre offre vers de nouveaux produits. L'objectif principal demeurera la rentabilité rapide de ces investissements, et nous nous appuierons sur des analyses approfondies pour les concrétiser.

 

Et au niveau export ?

Fort est de constater qu'actuellement, il y a très peu de marchés encore inexploités sur le continent. Dans les années 2010, il y avait des marchés vierges, mais aujourd'hui, la plupart de ces marchés sont saturés, avec deux voire trois producteurs locaux dans différentes régions d'Afrique du Nord et de l'Ouest. Dans ce contexte, notre stratégie se tourne davantage vers la préservation de nos parts de marché existantes et l'introduction progressive de nouvelles gammes de produits dans les pays où nous sommes déjà implantés.

Par exemple, si nous sommes présents sur le marché des produits d'hygiène pour bébés, nous envisageons d'introduire des produits d'hygiène féminine et peut-être de cibler un ou deux autres marchés où nous pouvons nous positionner en tant qu'acteur premium. Ainsi, notre objectif est de développer notre part de marché de manière progressive. Nous ne cherchons plus à pénétrer un marché et à y capturer immédiatement 20 à 30 % de parts. Ce n'est plus réaliste vu la réalité des marchés africains.

Aujourd'hui, il y a une forte concurrence. Les acteurs turcs, chinois, marocains et tunisiens sont présents sur la plupart des marchés africains. Donc nous ne sommes plus dans une situation où nous pouvons simplement conquérir les marchés en envoyant de la marchandise. Il s'agit plutôt d'essayer d'y entrer intelligemment en identifiant les gammes de produits susceptibles de créer de la valeur ajoutée, en soignant notre approche marketing et en établissant progressivement nos marques. L'époque ou l'objectif était d'envoyer une dizaine de conteneurs et d'attendre patiemment une nouvelle commande est révolue.

Nous sommes également en train de nous structurer pour fabriquer des marques de distributeurs (MDD) notamment pour les pays du Moyen-Orient et de l'Europe. Nous avons d'ailleurs pendant des années produit la marque leader d'hygiène féminine italienne de notre partenaire Essity. Dès que nous atteindrons une solide situation financière et que nous pourrons disposer d'un BFR (Besoin en Fonds de Roulement) adéquat, nous nous attaquerons à ce segment.

Sur le marché local, notre stratégie est d'améliorer progressivement nos parts de marchés en continuant à travailler l'image et la notoriété de nos marques et en optimisant notre distribution.

Nous souhaitons également produire des compléments de gamme que nous avons jusque-là importés. Nous voulons capitaliser sur le savoir faire et la compétence des équipes industrielles de notre site de Ksibet el Mediouni. Nous avons un site industriel qui a aujourd'hui des performances techniques, environnementales et sécuritaires comparables aux sites d'Essity Europe.

En ce qui concerne le reste de la gamme, il s'agira plutôt de monter en qualité pour offrir des produits encore plus performants et attractifs, en investissant dans la technologie nécessaire.

 

Mot de la fin ?

J‘aimerai d'abord rendre hommage à la mémoire de mon père dont la plus grande réussite est d'avoir construit une entreprise sur les valeurs qui sont les siennes, comme la quête de l'excellence, le respect et la probité dans l'action. Ces valeurs sont encore aujourd'hui la pierre angulaire du groupe.  C'est notre plus grand héritage, notre plus grande fierté et ce qui nous motive à continuer son œuvre et à faire vivre son souvenir. Notre mission est de nous inscrire dans la continuité, tout en adaptant l'entreprise à la réalité économique et à son environnement.

Enfin, j'aimerai lancer un appel pour soutenir l'industrie de ce pays. Nous avons un savoir-faire indéniable, ancré et reconnu depuis des décennies. Cette industrie a connu et continue de connaître des difficultés en raison de facteurs externes et de conditions difficiles. Mais elle reste un véritable atout, qu'il faut soutenir et financer.

J'espère que les partenaires financiers, les bailleurs de fonds, et tous ceux qui ont actuellement les moyens de soutenir ce secteur le feront, car il y a des emplois et un savoir-faire à préserver et une image très positive de la Tunisie en tant qu'industrie sur le continent, sur laquelle nous pouvons bâtir l'avenir économique du pays.

Nous devons coute que coute éviter de suivre le modèle des pays qui se sont progressivement désindustrialisés, pour se rendre compte par la suite, notamment lors de la pandémie, de l'échec de cette politique.   

Propos recueillis par Omar El Oudi

Publié le 10/10/23 12:28

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