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Dans un contexte marqué par des défis économiques, climatiques et technologiques, la réassurance est devenue un pilier essentiel pour anticiper les risques et protéger les acteurs économiques. À travers cette interview, nous allons explorer la vision, les stratégies et les priorités de la compagnie TUNIS RE ainsi que son rôle clé dans un secteur en constante évolution.
Madame Lamia Ben Mahmoud, Directrice Générale de TUNIS RE.
Aujourd'hui, nous avons l'immense plaisir d'accueillir Madame Lami BEN MAHMOUD, Directrice Générale de TUNIS RE, l'une des principales sociétés de réassurance en Afrique et dans le monde arabe. Forte de plusieurs années d'expertise, Mme Lamia nous parlera de la mutation de réassurance dans le monde, la résilience de TUNIS RE ainsi que la stratégie adoptée et les réalisations de 2024.
Le marché de la réassurance est de nature cyclique, alternant des phases de durcissement et de relâchement. Dans quelle phase positionnez-vous l'année 2024 ?
En fait, la nature cyclique de la réassurance n'est plus aussi évidente comme elle l'a été pendant des décennies. Le cycle s'est presque aplatie durant la dernière décennie jusqu'à 2018 pour se redresser après la crise pandémique et la survenance d'une série de catastrophes naturelles.
Aujourd'hui, le réchauffement climatique, la métamorphose de l'environnement global et le changement de la nature des risques avec l'émergence de nouvelles menaces rendent l'horizon du cycle classique de plus en plus volatil.
Néanmoins, le comportement du marché de la réassurance demeure dépendant de plusieurs facteurs susceptibles d'impacter la tendance oscillante entre hard et soft market à savoir : l'augmentation des sinistres climatiques, l'inflation et hausse des coûts de reconstruction, les tensions géopolitiques et économiques et enfin la rigidité des capitaux disponibles.
Pour l'année 2024, le marché de la réassurance est resté dans une phase de durcissement, caractérisée par une hausse des tarifs et une stricte sélectivité dans la prise de risques. Cette phase était alimentée par des catastrophes naturelles fréquentes, une incertitude économique et une pression croissante sur les bilans des réassureurs, qui de leur côté, cherchent à renforcer leur rentabilité tout en ajustant les prix pour compenser les risques accrus. Cependant, la durée exacte de cette phase dépendra de l'évolution des risques et des conditions économiques mondiales.
En 2025, le marché mondial de la réassurance est-il bien positionné pour absorber un niveau raisonnable de pertes tout en augmentant ses capacités ?
D'abord, il est à signaler que le marché de la réassurance a toujours fait preuve de résilience et d'abondance de capacité. Cette capacité a été aussi renforcée par une deuxième ligne de réassurance financière qui est venue renforcer encore plus la disponibilité des capitaux qui se répartissent à raison de 500 milliards de dollars en réassurance classique et 107 milliards de dollars en réassurance alternative ou financière, soit un capital de 607 milliards de dollars qui était à 568 milliards de dinars en 2023 enregistrant ainsi une évolution de 7%.
Pour l'année 2025, le marché mondial de la réassurance continue de se renforcer et de consolider sa position, soutenu par les bénéfices réalisés au cours des dernières années. Cette dynamique a contribué à maintenir une stabilité relative, bien que certaines branches aient connu des baisses de prix importantes, rendant le marché globalement flat.
Cependant, la compétitivité accrue et l'appétit grandissant des réassureurs pour le risque, en quête de croissance, ont conduit à un fléchissement des prix, particulièrement au niveau des branches non sinistrées.
Dans l'ensemble, la capacité était plutôt adéquate pour la majorité des branches et des régions, ce qui a permis d'améliorer la tarification et les conditions de réassurance pour la plupart des placements.
Lors des renouvellements du 1er janvier 2025, les prix dans le secteur de la réassurance dommages ont connu une baisse de 5% à 15% pour les comptes sans sinistre. En revanche, dans les régions à forte sinistralité, les prix ont augmenté de jusqu'à 20%, ce qui souligne les pressions croissantes sur ces zones spécifiques.
Par ailleurs, il est évident que le marché mondial de la réassurance a pleinement bénéficié du durcissement du marché observé ces quelques dernières années permettant aux réassureurs une meilleurs rentabilité à travers les augmentations des primes et une meilleure sélection des risques.
Si les tendances actuelles se maintiennent, il est évident à mon avis que le marché de la réassurance puisse soutenir un niveau raisonnable de pertes tout en augmentant ses capacités, mais cela nécessitera une vigilance constante et une gestion prudente des risques.
De plus, le recours à des technologies avancées, comme l'IA et l'analytique des données, permet de mieux évaluer et gérer les risques, contribuant ainsi à une gestion plus efficace des sinistres.
Toutefois, certains défis demeurent. Les incendies de forêt particulièrement graves dans la région de Los Angeles, qui ont engendré des pertes économiques pouvant varier entre 150 et 275 milliards de dollars, risquent de provoquer des pertes assurées dépassant les précédents records d'événements similaires. Ces pertes pourraient représenter une part importante des budgets des réassureurs pour le premier trimestre 2025.
L'impact de ces événements sur les prix lors des prochaines échéances de renouvellements (notamment celle de juillet 2025) dépendrait du niveau final des pertes assurées et de l'écart avec les estimations initiales.
L'utilisation des nouvelles technologies représente une opportunité de développement pour toutes les activités assurance et réassurance. Qu'en pensez-vous ?
Notre métier opère dans l'aléa et il est basé sur les données. Et il est évident qu'avec la complexité des risques et l'accélération du progrès technologique vers un monde toujours connecté, l'utilisation des nouvelles technologies constitue une véritable opportunité pour l'assurance et la réassurance, lui permettant ainsi d'améliorer l'efficacité de la gestion de ses données, de personnaliser les offres et de mieux prévenir les risques.
L'IA, le big data et la blockchain facilitent la gestion des sinistres et optimisent les processus de gestion. Ces technologies contribuent aussi à une meilleure détection des fraudes et à une expérience client améliorée. Cependant, malgré ces opportunités, l'adoption des nouvelles technologies exigent des investissements dans :
L'année dernière, face à un environnement impacté par la répercussion du changement climatique, Tunis Re a démontré une forte résilience en réalisant de solides performances techniques. Comment l'expliquez-vous ?
Oui effectivement, l'année 2023, a été bel et bien l'année la plus marquée par le changement climatique avec une augmentation des sinistres liés aux événements météorologiques extrêmes (hausses de la température, incendie, tremblements de terres, inondations, ...).
Tunis Re est très bien consciente des défis posés par le changement climatique et continue à avancer en mettant en œuvre son plan stratégique qui traduit une politique de souscription encore plus prudente, sélective, tenant compte des risques accrus associés et en mettant en place un mécanisme de surveillance constant pour maîtriser le risque de concentration et d'accumulation.
En plus, Tunis Re est dotée d'un programme de protection en rétrocession qui couvre largement les risques majeurs tout en veillant à la qualité de crédit des sécurités avec un coût maitrisé. Cette approche nous a permis de maintenir notre résilience face à l'incertitude et de protéger nos intérêts ainsi que ceux de nos partenaires.
Peut-on avoir une idée sur le niveau des bénéfices réalisés en 2024 et par conséquent sur la distribution des dividendes ?
Globalement, l'année 2024 a subi aussi les répercussions d'un environnement touché par les contraintes économiques et la multiplication des risques climatiques.
Cependant, Tunis Re est restée déterminée à poursuivre ses objectifs de croissance et de création de valeur en consolidant ses positions sur les marchés domestiques et régionaux, tout en explorant de nouvelles opportunités de croissance dans d'autres régions.
La détermination du résultat de l'activité globale demeure tributaire de l'arrêt définitif des comptes au mois de mars. Toutefois, nous sommes confiants que l'on atteindrait l'objectif fixé pour l'année.
Par ailleurs, la clôture de l'exercice 2024 prévoit la réalisation de bonnes performances avec une évolution probable de notre chiffre d'affaires dépassant les prévisions pour l'année de 5 points et un ratio de sinistralité maitrisé à 59%.
Propos recueillis par Omar El Oudi
Publié le 12/02/25 09:44
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