Par Achraf Ayadi, le 22/05/2013
Personne, aujourd'hui, ne sait vraiment si la semaine du 2 mars 2009, où
toutes les grandes bourses du monde ont touché le fond, a réellement été le pire
moment de la crise financière. D'ailleurs, personne ne saura dire si la crise
est terminée. Après la Grèce, l'Espagne, l'Irlande ou le Portugal, c'est la
Chine qui montre des signes d'essoufflement...
Oui, nous sommes toujours
en crise !
Tout a commencé avec des crédits immobiliers, servis à des taux très bas à
des ménages normalement insolvables de la classe moyenne aux Etats-Unis. Les
banquiers américains, voraces, ont privilégiés les résultats commerciaux et non
la maîtrise des risques. De plus, les crédits accessibles qu'ils ont servis à
leur clientèle ont alimenté une bulle immobilière de plus en plus menaçante.
Résultat des courses : le prix de l'immobilier flambe et les taux
d'intérêts des crédits s'ajustent à la hausse progressivement.
Schéma 1 : Processus simplifié de genèse de la crise financière 2007-2008
Entre temps, les banques avaient besoin de liquidités immédiates. En effet,
le crédit accordé permet au client d'acheter une maison et de l'hypothéquer
auprès de la banque, de manière à pouvoir la vendre et se rémunérer en cas
d'insolvabilité du client. Mais ce n'est pas le cœur du métier d'une banque que
d'accumuler un patrimoine immobilier ! Des intermédiaires financiers rachètent
en gros les crédits immobiliers des banques contre des liquidités immédiates.
Lesquels (crédits) sont titrisés (donc transformés en titres de dettes librement
négociables) contre une rémunération indexée sur les échéances payées par les
ménages ayant contractés –à l'origine- les crédits immobiliers. C'est la
naissance des Subprimes, des produits financiers complexes à plus d'au titre !
Les banques qui ont prêté des sommes croissantes à des clients fragiles
s'adressent à des organes de garanties semi-publiques[1]
pour améliorer le niveau de risque pris. Ces organes de garanties sont
spécialement créés pour soutenir l'accès au logement aux familles les plus
modestes et leur action est destinée à les couvrir –en partie- en cas de
difficultés de remboursement.
Comme le monde de la finance est
particulièrement ingénieux, les banques se sont arrangées pour atteindre trois
objectifs.
Le premier est de se refinancer de manière à récupérer une
partie des fonds prêtés. Quoi de plus normal donc que de « vendre » ces
crédits ? C'est là le second objectif : « transférer le risque » pris dans ces
opérations de prêts douteuses à d'autres mains. Ces dernières vont récupérer les
crédits sous la forme de titres composés d'un droit de créance sur le prêteur,
d'un « morceau » de garantie publique et d'un « morceau » d'assurance privé voir
même d'autres produits financiers morcelés et dispersés[2].
C'est donc une opération de « titrisation des crédits » assorties d'une
diversification des risques et de garanties publiques et privées.
Le
dernier objectif, et non des moindres, est que cette titrisation permette de
sortir les crédits octroyés du bilan comptable des banques. Les crédits à long
terme étant régis par des seuils comptables surveillés par le régulateur, la
banque centrale, soit la Federal Reserve dans le cas d'espèce, les banques
pouvaient alors réalimenter d'une main le stock de crédits octroyés et les
ressortir du bilan[3] de l'autre main en les vendant à
d'autres opérateurs financiers indépendants ou même filiales de ces mêmes
banques sous forme de titres.
Pour résumer, la banque fait crédit, prend
des garanties, oblige le client à prendre une assurance puis, vend ce crédit en
petites tranches à des banques d'investissement de la place qui en proposent à
leurs clients, des épargnants, contre un rendement régulier versé par la
banque !
Le procédé est complexe, tout à fait légal, respecte les normes
comptables, et permet aux banques de n'avoir aucune limite contrôlée et
contrôlable des crédits dans son portefeuille !
Autant jouer au casino
avec des chèques en blanc alors que son compte en banque est déjà dans le
rouge...
Rassurer les épargnants est simple pour une banque d'investissement : il faut
leur démontrer qu'au vu de la nature des garanties et autres assurances apposées
sur les crédits « subprimes », le rendement de l'épargne sera élevé et le risque
maîtrisé. Bien entendu, ici, il s'agit d'anticiper le fait que les crédits des
quelques clients défaillants seront « noyés » dans la masse des crédits générant
des remboursements réguliers et à temps.
Vient alors le rôle, ô combien
important des agences de notation. En fait, pour les rendre « visibles » et
accessibles à toutes les banques d'investissement du monde, les titres
« subprimes » se font coter sur les bourses de valeurs. Les agences de notation,
et c'est leur travail, évaluent la rentabilité espérée à terme de chaque titre
admis à la cote. Par myopie, incompétence voir, connivence avec les banques
d'investissement[4], les titres « subprimes » étaient
constamment notés AAA soit la note la plus élevée et la plus sûre possible entre
2004 et la mi-2007 !
Les commerciaux des banques d'investissement et
leurs équipes de traders se frottent donc les mains : les titres « subprimes »
se vendent comme des petits pains aux grands comme aux petits épargnants...
Le vers était pourtant dans le fruit. Dès les premières défaillances des
emprunteurs, les réactions en chaînes se sont succédées poussant la contagion de
la sphère de la banque de détail de monsieur-tout-le-monde vers les marchés
financiers !
Au vu du montage réalisé par les banques d'investissement
américaines, notamment, le défaut de paiement d'un nombre significatif de
crédits sur une courte période conduit inéluctablement à arrêter le versement
des rendements élevés promis à l'épargnant. Lequel (épargnant) n'est autre que
le client final de ce procédé et qui a placé une partie de ses économies en
titres « subprimes ».
L'explosion de la bulle immobilière conduira donc les
agences de notation à dégrader rapidement les notes de ces titres jusqu'à ce que
leur niveau de risque estimé devienne tellement élevé qu'ils deviennent
invendables[5] : ils ne génèrent plus de revenus, soit le
rendement attendu, et perdent, jusqu'à la valeur nominale de leur acquisition.
Les banques n'arrivent plus ni à mobiliser des liquidités suffisantes pour
prêter encore moins à continuer le processus de titrisation des « subprimes ».
Celui qui a acheté des titres « subprimes » a très certainement perdu la
totalité, ou presque, de sa mise initiale...
Cet épargnant étant européen,
africain, asiatique, sud-américains, etc., et vu les relations financières
entretenues par les banques d'investissement sur les places financières
mondiale, un battement d'aile à la bourse de New York s'est transformé en
tornade meurtrière aux quatre coins du monde. La crise financière est née !
Encadré 1 : Chronologie et principaux évènements à retenir
– 20 juin
2007 : Faillite de deux fonds d'investissement de la banque américaine Bear
Stearns
– 10 décembre 2007: UBS (Suisse) annonce une recapitalisation
– 22
février 2008: Northern Rock (Royaume-Unis) est nationalisée pour être sauvée de
la faillite
– 15 mars 2008: Bear Stearns est rachetée par JP Morgan Chase
pour être sauvée de la faillite
– Septembre 2008:
• Le 5: Fannie Mac &
Freddie Mae, les 2 plus grands fonds de garanties américains sont sauvées de la
faillite par une injection de 200 Milliards de Dollars par l'Etat
• Le 15 («
lundi noir »): Lehman Brothers fait faillite et l'Etat américain refuse
d'intervenir, Merrill Lynch est rachetée par Bank of America
• Le 16:
Sauvetage d'AIG, plus grand assureur au monde, par le gouvernement américain par
un prêt de 85 Milliards de Dollars
• Le 19: Plan de sauvetage américain de
700 Milliards de Dollars
• Le 25: Les banques Washington Mutual &
Wachovia sont quasiment nationalisées
• Le 28: Sauvetage de la banque Fortis
par BNP Paribas
• Le 29: Les députés américains rejettent le plan de
sauvetage et Wall Street perd 7% en une seule journée
Beaucoup comparent la crise qui
s'est déclenchée en 2007 à celle de 1929 dans son impact voir dans certains de
ses mécanismes. De mon point de vue, la comparaison est difficile, sinon limitée
voir même incongrue.
Certes, le jeudi « noir » du 24 octobre 1929 est
caractérisé par un arrêt net de la spéculation sur les actions acquises à crédit
par les opérateurs de marché. L'absence d'acheteurs d'actions a conduit donc à
un effondrement des cours qui a atteint son point culminant au lundi « noir »,
lui aussi, du 28 octobre 1929. Au total, le Dow Jones a perdu plus de 40% de sa
valeur en moins de deux mois. Trois ans après, le 8 juillet 1932, le Dow Jones a
même atteint son niveau le plus faible depuis la création de son fameux indice.
Ainsi, le Krach de 1929 a continué à avoir un impact sur l'économie plusieurs
années après.
Je l'accorde, sur bien des aspects, la comparaison peut
avoir un sens. Mais là où 2007 a surpassé tout ce que les contemporains de 1929
aient pu connaître est la vitesse foudroyante avec laquelle la crise s'est
propagée de pays en pays.
Les cas concrets sont nombreux. Je citerais en
particulier le cas de la banque allemande IKB qui a continué à acheter des CDO
de chez Goldman Sachs jusqu'à début 2007. Au premier trimestre de cette même
année, les 150 Millions de Dollars investis par IKB dans les CDO seront perdus à
100% malgré les alertes de certains acteurs financiers impliqués dans cet achat.
La dégradation de la notation de ces CDO dans les marchés a causé la panique des
clients d'IKB qui ont actionné les mécanismes de vente massive, tous en même
temps. Le résultat est la faillite d'IKB, la plus grosse catastrophe financière
de l'histoire de l'Allemagne.
Au total, les banques internationales
américaines et européennes ont perdu des actifs d'une valeur avoisinant les 200
Milliards de Dollars entre le troisième trimestre 2007 et le premier trimestre
2008. Bien entendu, tous les chiffres me portent à douter de leur crédibilité.
Le rapport d'enquête du Congrès américain sur la crise financière indique, par
ailleurs, que le 9 août 2007, BNP Paribas a suspendu la cotation de trois fonds
spéculatifs sous sa responsabilité qui ont plongé de 20% en moins de deux
semaines. Quel argument a présenté la banque ? La difficulté de mesurer la
valeur exacte des titres cotés au vu d'une extrême volatilité et l'impossibilité
de les transformer en liquidités !
La crise de 2007-2008 n'est pas
qu'une crise boursière de quelques titres sur les marchés. Elle a de multiples
facettes.
C'est d'abord une crise de liquidité car les processus de
financement par la titrisation des prêts ne fonctionnaient plus. Les banques ne
prêtent plus et n'arrivent plus à emprunter, sur les marchés financiers, les
liquidités dont elles ont besoin.
Ce sont donc les clients de ces
banques qui ressentent la crise en souffrant du tarissement des crédits et de la
hausse des taux d'intérêts. Qui dit baisse des crédits disponibles à l'économie,
dit baisse de la consommation et de l'investissement et ralentissement de la
croissance. La crise a été aussi économique.
Enfin, la facette qui me
semble avoir le plus impacté tous les acteurs économiques est ce manque de
confiance qui régie dorénavant les relations sur les marchés entre les banques,
entre les opérateurs de marché, les agences de notation qui ont fait plonger les
titres et les Etats qui ont dû les sauver à coups de Milliards de Dollars.
N'oublions tout de même pas que des Etats entiers ont pratiquement déclaré
faillite à cause de la crise. Les Etats fragiles qui ont dû sauver leur secteur
bancaires ou qui se sont trop exposés aux produits du type CDO se sont retrouvés
en situation d'endettement. Je citerais l'Islande et la Grèce pour mémoire car
ils ne sont pas les seuls. En période de faible croissance et de tensions
persistantes sur les marchés, on ne peut que s'attendre à ce que cet endettement
devienne chronique.
Voilà comment qu'une crise financière se décline en
crise boursière, puis en crise de liquidité, puis en crise économique et enfin
en crise de l'endettement...
Une chronique signée par Achraf AYADI
Expert financier
A suivre prochainement :
- Carnets de la Crise (2) : De la crise financière à la crise de l'endettement :
Est-ce la fin du Capitalisme ?
- Carnets de la Crise (3) : La prochaine crise est déjà là...
[1] Aux Etats-Unis, il s'agit de « Fannie
Mac » et « Freddie Mae » qui seront sauvés in extremis le 5 septembre 2008 par
une injection de 200 Milliards de Dollars.
[2] Ces
montages ont donné lieu à de multiples produits complexes dont même les
financiers chevronnés auront du mal à les comprendre et à les évaluer. Nous en
citeront les abréviations les plus connues qui sont les ABS (Asset-Backed
Security ou valeurs mobilières adossées à des actifs) et les CDO (Collateralized
Debt Obligation ou obligations adossées à des actifs).
[3] Nous parlons dans ce cas d'engagements dits « hors bilan ».
[4] Quoique rien n'a été prouvé de ce point de vue, les
relations « incestueuses » entre les agences de notation, le régulateur
américain et les banques est un secret de polichinelle. Une enquête est
d'ailleurs lancée le 5 août 2011 par le département de la Justice américain à
l'encontre de Standard & Poor's sur les soupçons de manipulation des notations
des titres « subprimes » (voir le journal Les Echos du 19 et 20 août 2011 p.
21). Quelques jours plus tard, la même agence objet de l'enquête dégrade la note
des Etats-Unis. Coïncidence ?
[5] On parle de « Junk Bonds » ou d'obligations pourries, soient celles qui
obtiennent des notations faibles. Par exemple, pour Standard & Poor's et Fitch,
le seuil au dessous duquel l'investissement devient « spéculatif » et
n'apportant pas les garanties de sécurité minimales pour l'investisseur est
BBB-.