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Phosphates et pétrole : L'histoire d'une descente aux enfers !

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Crise, blocage, mouvements sociaux, perturbations, grèves, manque à gagner, mauvaise gestion, ce sont les termes pouvant résumer le bilan des dix premières années post-révolution pour ce qui est de la production nationale de pétrole et de phosphates. Alors que le pays s'enfonce dans une crise économique et sociale sans précédent, la gestion de ces deux secteurs illustre, bel et bien, la politique défaillante de l'Etat tunisien en matière de production nationale.

En Tunisie, pays qui connaît une transition démocratique inachevée, ce sont notamment les secteurs de la production pétrolière, énergétique et de phosphates qui ont été largement impactés par une décennie de mauvaise gestion et d'absence de visibilité. Tous les observateurs de la scène nationale s'accordent sur ce fait. En matière de production et d'exploitation des richesses naturelles, la Tunisie a reculé sur tous les niveaux durant cette première décennie post-révolution. Si le constat est sans appel, les causes d'une telle situation sont multiples, mais qui se résument en quelques mots : mauvaise gestion, absence de visibilité et de réformes et surtout impunité face à un épisode interminable de perturbation sociale. 

Ce sont notamment les deux secteurs de la production des phosphates et du pétrole qui en payent le prix cher d'une telle situation sans précédent. Les chiffres ne mentent pas. Que ce soit au niveau du volume de production, des revenus provenant des ventes ou encore des apports en devises, tous les indicateurs sont au rouge alors que personne n'est en mesure d'arrêter l'hémorragie. Une simple comparaison entre les chiffres réalisés en 2010 et ceux de l'année dernière confirme ce constat, devenu malheureusement une réalité. Encore faut-il rappeler que la Tunisie bénéficiait d'une stabilité politique et économique qui fait que ces secteurs soient à leur plus haut niveau de production avant la révolution. Sauf que cette question de stabilité politique et sociale, indispensable pour la production nationale, n'est pas la seule cause de ce triste bilan. Le manque de visibilité, l'absence de réformes et surtout le défaut d'une stratégie d'anticipation en sont également la cause.

Il est devenu indéniable que la production pétrolière et de phosphates, un des piliers de l'économie tunisienne, tombe à son plus bas niveau depuis dix ans. Alors que pour certains, la Tunisie est appelée à revoir tout son plan de développement pour remettre ces secteurs à niveau, d'autres postulent que la Tunisie doit s'ouvrir sur de nouveaux créneaux. N'empêche que, par exemple, pour le cas du domaine pétrolier, la Tunisie a été doublement sanctionnée par la baisse du volume de production mais aussi par l'absence ou la rareté de nouveaux projets de prospection. Mais à voir ce qui se passe et l'étendue des pertes occasionnées par les protestations sociales, les jours de grève, l'activité destructrice des lobbys, les moyens de transport incendiés, les routes coupées, les recrutements forcés et abusifs pour " acheter " la paix sociale et bien d'autres agissements, on s'aperçoit de la précarité de la situation.  

En effet, il faut se rendre à l'évidence que dans un souci de " paix sociale ", les différents gouvernements qui se sont succédé après la révolution privilégient les solutions de facilité : recrutements abusifs et augmentations salariales aux dépens des équilibres financiers des différentes compagnies. Sauf que "acheter la paix sociale" est une pratique ancienne et toujours répandue en Tunisie. Même avant la révolution, on tablait plus sur l'embauche des fils de notables de la région dans la CPG que de réfléchir à développer le bassin minier de Gafsa en contribuant à créer un écosystème capable d'attirer les investissements privés.

Chute drastique !

Une usine vide. Le silence. Des wagons à l'arrêt. Dans les différents sites de production, au bassin minier, c'est ce genre d'images auquel nous nous sommes malheureusement habitués tout au long de ces dernières années. Ce sont les trains de la Société nationale des chemins de fer tunisiens (SNCFT), fraîchement installés qui sont supposés acheminer ce minerai brun, utilisé principalement comme engrais dans le domaine agricole. Néanmoins, depuis plusieurs mois, ces chemins de fer sont quasiment abandonnés au profit du transport routier assurés par certaines sociétés privées. 

Ainsi, la vitesse par laquelle le transport de cette matière est transportée pose problème, d'autant plus que des actes de sabotages sont devenus récurrents dans le bassin minier, comme le révèle une source syndicale auprès de la CPG. Force est de constater que si les gisements de phosphates se concentrent principalement dans le bassin minier de Gafsa, les principales usines de transformation et d'exportation se trouvent sur le littoral, à Gabès, à Sfax et à Skhira, des terminaux qui disposent de zones portuaires capables de charger la marchandise destinée vers l'exportation.

A cause de cette situation d'instabilité, de perturbations sociales et d'implication de plusieurs acteurs dans la gestion de ses mines, la Tunisie devient, pour la première fois, un importateur des phosphates. Il suffit de rappeler qu'en quelques années, la Tunisie est passée du cinquième au douzième rang mondial des pays producteurs de phosphate, pour réaliser la dangerosité de la situation, alors que les concurrents de la Tunisie en tirent largement profit. 

En septembre 2020, le Groupe Chimique Tunisien (GCT) avait annoncé devoir importer d'Algérie près de 40.000 tonnes de phosphate, faute d'une production suffisante à l'échelle nationale. Le pays avait connu d'ailleurs une crise d'approvisionnement en engrais chimiques indispensables pour les activités agricoles. Une date qui marque la descente aux enfers de la production nationale de phosphates face à un blocage interminable de l'activité du bassin minier.

Selon des chiffres auxquels nous avons eu accès, en 2010 année de référence, la Tunisie a pu produire plus de 8 millions de tonnes de phosphates bruts générant des recettes de 825 Millions de dinars. La chute des chiffres à partir de l'année 2011 est drastique. Elle est notamment due aux perturbations sociales et aux politiques sociales adoptées dans les villes du bassin minier après la révolution. Cette situation tendue a influencé la continuité du travail à la CPG et a causé plusieurs interruptions, ce qui a généré un impact négatif sur tous les indicateurs financiers et techniques de la compagnie. En 2011, seulement 2,2 millions de tonnes ont été produites, marquant le niveau de production le plus faible dans l'histoire du pays. 

Plus récemment, en 2020, la production de phosphates de la Compagnie des Phosphates de Gafsa a chuté de 23% par rapport à 2019 atteignant un des niveaux les plus bas depuis 2011, avec seulement 3,14 millions de tonnes produites, contre 3,85 millions en 2019, 2,8 millions en 2018 et 3,9 millions en 2017. Ces données sont assez révélatrices dans la mesure où le chiffre d'affaires à l'exportation CPG-GCT se situait entre 3 et 3,5 milliards de dinars par an en période d'activité normale, avec un bénéfice global d'environ un milliard de dinars par an. Aujourd'hui, la CPG s'enfonce dans une crise financière sans précédent. 

Contacté, le secrétaire général-adjoint du syndicat des cadres du siège social de la CPG chargé des affaires juridiques, Monsieur Hicham Brahmi, explique à cet effet que la CPG connaît une situation financière extrêmement détériorée et qu'elle peine à payer les salaires des fonctionnaires face à l'arrêt de la production et à la mauvaise gestion du secteur par l'État tunisien. Il pointe du doigt l'absence d'un plan de restructuration du secteur à même de redresser la production des phosphates et à faire face aux différents problèmes dont souffre la compagnie.

Durant ces dernières années, des mouvements de protestation organisés par des centaines de sans-emploi dans les villes de M'dhilla, Metlaoui, Oum Larayes et Redeyef ont paralysé totalement le système d'extraction, de transformation et de transport du phosphate. Des actes de vandalisme ont également ciblé les chemins de fer qui assurent le transport des phosphates produits.

Pour les chercheurs et spécialistes, c'est tout le modèle économique du bassin minier de Gafsa, focalisé depuis plus d'un siècle sur cette unique ressource, qu'il faut revoir pour anticiper une crise sociale d'envergure. Monsieur Ridha Chiba, conseiller international en exportation, soutient à cet effet que la crise est de nature sociale avant tout. “ La forte pression sociale qu'a connue le gouvernorat de Gafsa, qui a été confrontée à un fort taux de chômage dépassant les 25%, en est la principale cause. Les chômeurs bloquent les voies de chemin de fer et freinent l'acheminement du minerai vers la ville de Sfax. Ce qui a contraint la société à accroître le nombre de ses employés, passant de 8.000 en 2010 à plus de 30.000 après cinq ans ", explique-t-il en insistant sur la nécessité de revoir tout le modèle économique du bassin minier en diversifiant son activité. 

Selon ses dires, l'Etat doit absolument assister l'activité du bassin minier en créant un écosystème économique et social favorable dans cette région pour diversifier le marché du travail, participer à la création de la richesse et surtout diminuer les fortes charges sociales de la CPG.

Mêmes causes, mêmes effets...

Si l'activité du bassin minier illustre parfaitement cette descente aux enfers de la production nationale, la situation du secteur pétrolier n'en est pas plus confortable. Au fait, les mêmes causes produisent les mêmes effets en l'absence d'une stratégie nationale de gestion des richesses naturelles. En effet, le secteur de la production pétrolière ne connaît pas ses meilleurs jours en Tunisie alors que des compagnies internationales ont ouvertement exprimé leur intention de quitter définitivement la Tunisie face à la détérioration du climat social, mais pas que !

En Tunisie, le nombre total des permis en cours de validité à fin décembre 2019, s'élève à 25 dont 17 permis de recherches et 8 permis de prospection. En l'absence de nouvelles découvertes compensatrices, la production du pétrole brut en 2019 a baissé de 9% à cause de la poursuite du déclin naturel des principaux champs.

Selon les données disponibles sur le site de l'Entreprise Tunisienne d'Activités Pétrolières (ETAP), la production cumulée de pétrole brut a atteint 12.023.721 baril en 2020, soit 1.485.791 Tonnes métriques enregistrant un écart négatif de 12% par rapport aux prévisions initiales de 2020. En 2019, la Tunisie a pu produire plus de 16 millions de barils de pétrole brut, marquant ainsi une baisse drastique.

En 2020 la production en Hydrocarbures a été largement influencée par les grèves et les mouvements sociaux qu'a connus le pays depuis une bonne période. Chose qui a contraint plusieurs compagnies pétrolières à menacer le gouvernement de quitter le pays et de cesser leur activité sur le territoire tunisien. Un constat qui a poussé le ministère de l'Énergie, des Mines et de la Transition énergétique à lancer un cri d'alarme, en août 2020, concernant l'état de blocage dans lequel se trouve le secteur de production pétrolière, ce qui met à mal l'économie nationale et même l'approvisionnement du pays en gaz naturel.

Monsieur Kamel Cherni, ancien membre du cabinet ministériel de l'Energie, des Mines et de la Transition énergétique, confirme que plusieurs grandes compagnies pétrolières installées en Tunisie depuis plusieurs décennies avaient menacé de quitter le pays. " Si la situation se poursuit de la sorte, ces compagnies vont sans doute décréter un plan de chômage technique au vu des grandes pertes accusées et même arrêter leur activité pour force majeure. A la moindre nouvelle crise sociale, elles mettront la clé sous la porte et partiront définitivement ", a-t-il mis en garde.

En tout cas, la compagnie pétrolière Shell avait officiellement informé le ministère de l'Industrie, de l'Energie et des Mines de sa décision de quitter la Tunisie, en juin 2022, date de l'expiration de l'exploitation du champ Miskar dans le gouvernorat de Gabès. Le géant pétrolier a également informé le département de sa décision d'abandonner la concession Asdrubal (région de Sfax) en 2022, d'une manière anticipée et avant la date de son expiration en 2035.

Si l'entreprise explique que sa décision de départ émane de sa volonté de renoncer aux activités d'exploration et de production de pétrole et de gaz, d'autres compagnies emboîteront le pas au géant anglo-néerlandais si le climat social demeure perturbé, apprend-t-on de sources officielles. 

El Kamour, le mauvais exemple  

Il faut rappeler que la grève d'El Kamour a été à l'origine de l'arrêt de la production de toutes les concessions du gouvernorat de Tataouine. Il est à rappeler aussi que la grève en question avait commencé le 16 juillet 2020 et s'est prolongée jusqu'au 07 novembre de la même année. A l'issue de cette grève, certains puits n'ont pas pu redémarrer et des opérations se sont avérées nécessaires pour les remettre en production. Le manque à gagner à cause de ce mouvement pour les concessions gérées par l'ETAP est estimé à 863.140 bbl et 320 Msm3 de pétrole.

El-Kamour renvoie à la crise sociale la plus compliquée qu'a connue la Tunisie depuis la révolution. Prenant en otage la production nationale de pétrole et de gaz, ce sit-in à Tataouine, aux ramifications politiques et économiques, est à l'origine d'une crise chronique qui aura trop duré et que les différents gouvernements qui se sont succédé depuis 2017 ne parvenaient pas à la résoudre. En signant un accord avec les sit-inneurs, la résolution de ce dossier a servi de mauvais exemple pour d'autres mouvements sociaux et a eu un effet boule de neige.

En effet, d'autres grèves ont considérablement perturbé la production dans différents sites pétroliers. On a d'ailleurs enregistré un arrêt total de la production à partir de concessions Guebiba et El-Hajeb du 23 novembre 2020 jusqu'au 3 décembre de la même année à cause de manifestations sociales au niveau du site. 

La production de la concession Chergui s'était également arrêtée en novembre 2020 suite à une grève du personnel du site. La concession Douleb a également connu des perturbations sociales en décembre 2020 suite à l'invasion des manifestants à l'intérieur du site, provoquant un arrêt total de la production.

Sauf que loin de ces crises sociales et de l'instabilité du climat social en Tunisie, la question de la gestion de tout le secteur pose problème en Tunisie. Le système des autorisations, la politique fiscale du pays et des questions purement techniques, font que la production pétrolière poursuit sa baisse en Tunisie.

Pour la production pétrolière, mais aussi celle des phosphates, le bilan de ces dix premières années post-révolution est triste, certes, aucun signe avant-coureur de l'arrêt de cette hémorragie de la production n'est visible alors que le pays s'enfonce dans une crise économique sans précédent. Ce très gros manque à gagner provoqué par la mauvaise gestion de ces deux secteurs s'annonce fatal pour les équilibres financiers de la Tunisie si l'Etat ne parvient toujours pas à assurer un climat social propice.

T.K.

Publié le 03/08/21 09:00

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