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Partant du constat que le consommateur final en Tunisie souffre d'une grave pénurie de café, il convient de se demander comment le pays en est arrivé là. Le monopole de l'Etat dans l'importation et la distribution, en plus de définir les prix, semble être à l'origine de tous les maux du marché du café en Tunisie, qui représente près de 30 mille tonnes de café vert par an.
Le processus d'approvisionnement des opérateurs de marché est géré par l'Office du Commerce de Tunisie (OCT), qui importe exclusivement du café vert et décide de la qualité, du prix et du sourcing sans concertation avec les torréfacteurs, qui sont au nombre de 200, dont 10 sont des structures industrielles importantes.
Ensuite, l'OCT stocke le café importé avant de le revendre aux torréfacteurs au prix fixé par le ministère du Commerce, et non pas au prix international. Les torréfacteurs doivent ainsi inclure dans leur prix les coûts d'industrialisation, les marges ainsi que les prix de ventes usine, de gros et publics.
Le prix du café est donc fixé par le ministère du Commerce, et les torréfacteurs n'ont pas le droit de le modifier. Cependant, ils peuvent importer de petites quantités de café lavé pour lesquelles ils fixent eux-mêmes les prix, sous réserve d'une approbation préalable du ministère du Commerce. Cette pratique est autorisée par une loi qui accorde une dérogation au monopole de l'État.
Un mode de fonctionnement obsolète
Cette situation historique s'est toutefois accentuée ces derniers mois, avec des conséquences financières et en termes de business graves pour les torréfacteurs, qui ne réalisent plus qu'un tiers de leur activité habituelle. Cette crise a également des conséquences aussi bien sur le marché du café que le consommateur final, qui souffre d'une pénurie de café. Ainsi, il est recommandé de libéraliser le marché du café en Tunisie pour améliorer la situation.
Sur les 30 mille tonnes de café écoulées chaque année sur le marché tunisien, seulement 500 à 600 tonnes sont importées directement par les torréfacteurs, soit une part maximale de 2%. Depuis 1962, l'Office du Commerce Tunisien (OCT) est le seul importateur et décideur pour le café, le sucre, le riz et le thé. Les prix sont fixés par l'État selon les volumes disponibles, et les cafés, salons de thé et restaurants sont libres de fixer leurs prix.
Depuis le soulèvement de 2011, les cafetiers sont libres de fixer leurs prix. La consommation des Tunisiens se fait à 80% hors domicile et 20% en foyer. Cela signifie que 80% de leur consommation se fait à des prix librement fixés, en plus de la présence de marques étrangères de café et de la fabrication à l'étranger comme le café soluble, qui sont libres d'importation et de vente.
Le marché est en théorie libre et concurrentiel, mais depuis 1962, seul l'État importe et distribue du café, en plus de fixer les prix. Ce mode de fonctionnement est désormais obsolète, car les mêmes goulots d'étranglement du siècle dernier, notamment le monopole de l'État pour l'importation, persistent.
L'OCT devient incapable de payer ses achats
Les pertes cumulées par l'OCT sur le café, entre autres, montrent que ce monopole est inefficace. Entre 2010 et 2015, l'OCT a perdu plus de 200 millions de dinars exclusivement sur le café. Sur la seule année 2013, l'office a perdu 50 millions de dinars uniquement sur le café.
Bien que l'État ait auparavant les moyens de supporter les pertes en fonction de l'évolution du marché mondial, les prix mondiaux du café ont explosé à partir de fin 2020. Les prix de l'arabica ont doublé, tandis que le robusta a enregistré une augmentation de 50%. Cette situation a entraîné une hausse des pertes pour l'OCT, passant d'une perte comprise entre 500 millimes et un dinar par kilo de café à une perte estimée entre 4 et 5 dinars par kilo. L'office est devenu incapable de payer ses achats ainsi que les droits de douane.
Le premier semestre de 2022 a été marqué par des légères carences au niveau de la disponibilité du café, mais à partir de juillet de la même année, l'OCT a cessé de répondre aux demandes d'approvisionnement et d'achat des torréfacteurs, ce qui a entraîné une grave pénurie de café.
En juillet 2022, trois mille tonnes de café avaient été bloquées au port de Radès car l'OCT était dans l'incapacité de les dédouaner. En juillet et août 2022, seulement 30% des besoins du marché ont été couverts. En septembre et octobre 2022, la situation a connu une légère amélioration car l'OCT a pu dédouaner le café qui commençait à se détériorer au port de Radès.
Une libéralisation totale et immédiate du secteur s'impose
Les professionnels du secteur représentés par la Chambre syndicale nationale de production du café, ont publié un communiqué le 4 février courant dans lequel ils ont critiqué le monopole du café par l'État tunisien, alors que le pays traverse une grave pénurie de café, et formulé une demande de libéralisation totale et immédiate du secteur, vu l'incapacité de l'Office d'assurer son rôle.
Ils ont également exhorté à l'abandon de la structure des prix et de prendre en compte la part grandissante du marché parallèle ainsi que les difficultés rencontrées par le citoyen tunisien pour trouver du café. Ils ont même dénoncé la législation désuète qui date depuis 1962 car nous sommes le seul pays au monde où l'État contrôle le secteur du café, une denrée mondialisée et totalement libre.
Récemment, des membres de la Chambre syndicale nationale de production du café ont rencontré la ministre du Commerce qui a semblé prendre en considération les solutions que proposées par la Chambre. Il s'agit de solutions pour fournir du café, tout en excluant la décision des prix figés prise depuis 2018 et qui ne prend pas en compte l'évolution des cours internationaux et les coûts de production.
Des solutions immédiates et structurelles
Parmi les solutions qui peuvent être conduites dans l'immédiat, elles concernent la révision de la réalité des prix pour permettre aux torréfacteurs d'importer du café, mais également pour permettre à l'Office de respirer et d'endiguer ses pertes cumulées. Autrement dit, les prix du café vont légèrement augmenter dans les salons de thé et cafétérias.
Pour ce qui est des réformes structurelles formulées par la Chambre, elles se fondent sur la levée de l'exclusivité dont bénéficie l'Office. Ce dernier, peut en revanche jouer un rôle sur le café dit populaire, qui est mélangé avec de l'orge, par exemple.
En ce temps de tension budgétaire sur le budget de l'État, la Tunisie a subi une perte de 120 millions de dinars uniquement sur l'importation de café durant l'année 2022. Alors qu'au cours des dix dernières années, l'Office du Café de Tunisie a accusé des pertes de 500 millions de dinars.
Par ailleurs, le plus grand défi auquel sont confrontés les torréfacteurs est la fermeture des usines de torréfaction, ce qui a entraîné le chômage technique de près de 2.000 personnes sans indemnisation. De plus, 120.000 personnes travaillant dans les cafétérias et les salons de thé sont également touchées par cette crise. Actuellement, les industriels sont confrontés à une période critique, car février est le mois où les pénuries sont les plus importantes, même si le café est abondant dans le monde, même s'il est cher.
Clairement, en ces temps de crise l'Etat devrait se concentrer sur des secteurs vitaux au lieu de continuer à ruiner des secteurs qui ne pourraient se redresser qu'à travers leur libéralisation totale.
Myriam Ben Yahia
Publié le 21/02/23 09:33
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