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Marouane EL ABASSI : « Retrouver la confiance passe inéluctablement par la convergence des idées, des projets et des actions »

ISIN : TN0009050014 - Ticker : PX1
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A la tête de la Banque Centrale de Tunisie (BCT) depuis février 2018, Marouane EL ABASSI s'est trouvé face aux grands défis de préserver le stock en devises, stabiliser le taux de change du dinar et, surtout, maîtriser l'inflation. Dans un contexte économique et financier très particulier, relever ces défis n'est guère un exercice facile. Quatre ans après, le gouverneur pourrait dégager quelques enseignements de ce vécu, se projeter et réfléchir au futur de l'Institution d'émission.

 

Propos recueillis par Omar El Oudi

Après quatre années à la tête de la Banque Centrale de Tunisie (BCT), quel bilan pour Marouane El Abassi ?

Je dois avouer que depuis que j'ai pris mes fonctions en tant que Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie, en 2018, j'ai dû composer avec un contexte économique et financier très particulier marqué par une concomitance de chocs internes et externes. Cette situation a engendré des défis : détérioration des déficits jumeaux, accentuation des pressions sur la liquidité des banques, réserves en devises à préserver, taux de change du dinar à stabiliser, l'inflation à maîtriser.

Notre premier challenge consiste à prendre les décisions nécessaires permettant d'éloigner l'économie de la zone de danger. Pour ce faire, nous avons mis en place un certain nombre de mesures de politique monétaire et macro-prudentielle qui a permis de ramener l'inflation à des niveaux acceptables, de reconstituer le stock des avoirs en devises et de stabiliser le taux de change du dinar.

Cela étant, il me reste 18 mois dans le présent mandat de Gouverneur de la BCT. A ce stade, je pourrais dégager quelques enseignements de ce vécu. Mais surtout, je préfère me projeter et réfléchir au futur de l'Institution.

Je m'explique. La prise de décision est toujours difficile. Elle engendre des conséquences. Donc, elle a, inéluctablement, un coût. Mais le tribut, aussi coûteux soit-il, reste en deçà de celui de la non-action ou la non-prise de décisions. C'est notre défi au quotidien. Je suis le Gouverneur, mais le travail se fait en équipes, avec celles du Gouvernement, mais aussi internes à la BCT. L'équipe BCT s'affaire tous les jours pour fournir à la BCT des solutions innovantes. Elle regroupe toutes les générations : les jeunes recrues et les cadres expérimentés, appuyés par une expertise internationale. La symbiose et l'abnégation de cette équipe BCT est notre atout majeur. 

Parallèlement, pour doter la BCT des moyens de ses ambitions, un premier Plan stratégique a été mis en place, depuis 2019. L'objectif étant de faire de la BCT " une institution moderne, efficiente et proactive à l'avant-garde des transformations économiques et financières ". Prorogé d'une année à cause de la Covid, ce premier Plan s'achève à la fin de l'année. Nous sommes à la phase des bilans et des enseignements. Les prémices sont positives. Nous sommes sur la bonne voie. Et c'est de bon augure.

Entre crises politiques et économiques, comment la BCT a-t-elle réussi son rôle de superviseur du fonctionnement des marchés financiers et des institutions financières mais surtout de prêteur en dernier ressort ?

Le secteur financier tunisien a dû faire face à un environnement économique et sociopolitique exceptionnellement difficile. Ce n'est pas nouveau. Cela remonte à plusieurs années. Mais, ça a été accentué en raison essentiellement des retombées de la crise sanitaire COVID-19 et des baisses successives de la notation souveraine de la Tunisie. Ces vulnérabilités ont été davantage ressenties, en 2022, par le déclenchement du conflit Russo-Ukrainien. Il a fortement impacté les marchés des matières premières et les conditions financières partout dans le monde. 

Dans les différentes phases délicates, sinon difficiles, la Banque Centrale de Tunisie s'est toujours mobilisée pour accompagner efficacement l'action des autorités. Certes, cela a été plus visible et perceptible dans les domaines d'intervention relevant des missions statutaires de la BCT, en l'occurrence, le maintien de la stabilité des prix, la contribution active à la préservation de la stabilité financière et l'appui de l'action du gouvernement. Mais, nous nous sommes toujours tenus volontaires, prêts et engagés pour agir efficacement et dans l'intérêt du pays. Nous ne parlons pas assez de cette facette de notre travail. Car, la BCT garde ses habitudes de " grande muette ", ou en communiquant peu et sobrement.

Toutefois, le plus important c'est l'efficacité ainsi que le travail mutualisé et de concert avec le Gouvernement. Retrouver la confiance des citoyens ou des partenaires, nationaux et internationaux, passe inéluctablement par cette convergence des idées, des projets et des actions. 

Pour revenir au sujet de la stabilité financière, la BCT a, et continue, à veiller à assurer une surveillance rapprochée et proactive des banques et des établissements financiers et à renforcer la veille prudentielle. Le tout en assurant une étroite collaboration avec le gouvernement et les autres autorités de régulation du système financier tunisien. Cette collaboration se reflète, notamment, dans le cadre du Comité de surveillance macro prudentielle et de gestion des crises financières. Un mécanisme dont l'objectif, louable, est de garantir un meilleur équilibre entre la préservation du tissu économique et la résilience du secteur financier. Nous sommes sur le bon chemin. 

Nous travaillons dans une synergie inouïe. Il y a une profusion d'idées et de projets. Nous tenons, tout en respectant les prérogatives des uns et des autres, à moderniser les approches et les démarches. La Tunisie change. Les Tunisiens aspirent à plus et à mieux. C'est légitime. A nous de suivre la tendance à défaut de l'amorcer.

Par ailleurs, il importe de rappeler que, dès 2016, la BCT a consolidé sa politique de supervision macro prudentielle ; notamment via l'activation de plusieurs outils macro prudentiels tel que le ratio LCR (liquidité à court terme) et le ratio crédits/dépôts ainsi que des filets de sécurité tel que le Fonds de Garantie des Dépôts Bancaires. Dans les conjonctures délicates, ces outils sont de prime importance.

A ce niveau, le plan stratégique a-t-il englobé des projets relatifs à la politique macro prudentielle ?

Effectivement, dans le cadre de ses projets stratégiques, la BCT s'est engagée à consolider davantage le cadre opérationnel de la politique macro prudentielle. Le but étant de se rapprocher des normes internationales et de mettre en place des outils macro prudentiels et des filets de sécurité permettant de réduire et de prévenir les risques pour le secteur financier et, surtout, d'améliorer sa résilience.

Si l'on remet les choses dans leurs contextes, en 2020 et durant la période de la COVID-19, la BCT a visé, en particulier, deux objectifs majeurs : primo, la garantie du financement normal de l'économie par l'approvisionnement adéquat du marché en liquidités. Secundo, la sauvegarde des équilibres intérieurs et extérieurs notamment l'inflation et le déficit courant. Ainsi, des mesures de soutien aux particuliers et aux entreprises en vue de faire face aux retombées de la pandémie ont été instaurées. La BCT a également invité les banques et les établissements financiers à suspendre toute distribution de dividendes au titre de l'exercice 2019. 

En conséquence de ces politiques, le secteur bancaire tunisien a pu témoigner d'une résistance appréciable par rapport aux différents chocs et ce, en dépit des mesures de report d'échéance décidées par la BCT. Il importe, dans ce sens, de relever que le secteur bancaire a continué à soutenir l'économie nationale tel qu'en témoigne la hausse, quoiqu'à un rythme modéré, des crédits octroyés aux agents économiques. La dynamique de l'activité bancaire en 2021 et l'engagement des banques en matière de gestion des risques se sont reflétés au niveau de leurs indicateurs financiers enregistrant une nette amélioration par rapport à 2020 avec un affermissement des ratios de liquidité, de rentabilité et de solvabilité.

Par ailleurs et afin d'appuyer davantage l'assise financière des banques et établissements financiers, la BCT a publié en mars 2022 une nouvelle circulaire sur la prévention et la résolution des créances non performantes visant une résolution pérenne et efficace de la problématique des créances classées en Tunisie.

Dans une situation de crise, inédite comme en 2020 ou, imprévisible, comme le conflit russo-ukrainien, la prise de décisions difficiles, voire impopulaires, mais nécessaires s'impose ! Les critiques ont fusé à l'époque. Deux années après, l'histoire a donné raison à notre approche, taxée de conservatisme à l'époque. Parallèlement, nous préparons le futur avec ce Plan stratégique dont les préparatifs du deuxième sont déjà très bien avancés.

Toute la délicatesse du travail est de gérer le quotidien sans pour autant perdre de vue le futur. Il est nécessaire de continuer à améliorer les acquis et à se renforcer par les nouvelles méthodes, technologies et approches. A ce titre, notre proximité avec l'écosystème tunisien de l'innovation, notamment les startups et les Fintechs, nous secoue. Mais, cela nous aide énormément. Nous sommes confrontés à un autre état d'esprit, des nouvelles approches, besoins et visions. Comprendre, c'est déjà faire la moitié du chemin pour s'adapter. Comme je ne cesse de le répéter, je demeure profondément convaincu, que c'est un échange gagnant-gagnant.

La mission de la Banque centrale est d'assurer la stabilité des prix, c'est-à-dire maintenir l'inflation à un niveau acceptable. Selon vous, l'institution d'émission a-t-elle réussi, jusque-là, sa mission ?

Comme vous l'avez bien mentionné, la mission principale de la politique monétaire de la BCT consiste en la préservation de la stabilité des prix. Pour cela, de quoi dispose la BCT pour atteindre son objectif ? La BCT a recours aux instruments mis à sa disposition, dont principalement le taux directeur, pour essayer de contrer les tensions inflationnistes et assurer les conditions nécessaires pour une croissance saine et, surtout, durable. Faut-il préciser, mais aussi rappeler, à cet égard, que l'impact des actions de politique monétaire n'est ni systématique ni instantané :  Les actions prennent de 6 à 8 trimestres pour atteindre l'inflation, ce qui est communément appelé délai de transmission de la politique monétaire.

L'efficacité de la politique monétaire est souvent appréciée par référence à des périodes d'excès persistant de l'inflation, comme ce fut le cas pour notre pays en 2017-2018. Le resserrement énergique de la politique monétaire, en 2018-2019, a induit une baisse de la demande de crédit de consommation et une atténuation des pressions sur le taux de change du dinar. Par conséquent, l'action de la BCT a réduit les comportements spéculatifs et a favorisé une décélération de l'inflation. Celle-ci s'est établie en-dessous de la barre des 5% au cours du premier trimestre 2021, et ce, pour la première fois depuis mi-2017.

Ce n'est que grâce à cette performance en matière d'inflation que la BCT s'est permis en 2020 un assouplissement de sa politique monétaire. Pour faire face aux retombées de la crise sanitaire COVID-19 sur l'économie nationale, la baisse du taux directeur de 150 points de base en 2020 n'aurait été possible sans le travail préventif et d'anticipation réalisé dès 2018 pour contenir l'inflation. 

Avec le retour des pressions inflationnistes, le Conseil d'Administration de la BCT a décidé de relever le taux directeur de 75 points de base. A quel degré ce relèvement pourrait freiner la hausse de l'inflation ? Sinon, y aura-t-il une deuxième augmentation du taux directeur ?  

En parlant de l'action du Conseil d'Administration de la BCT, je voudrais préciser encore une fois l'importance du Policy-mix ; ou dosage macroéconomique ; dans le travail de l'Institut d'émission. En vertu de la loi, siègent au Conseil d'Administration deux représentants du Gouvernement, en l'occurrence " le cadre chargé de la gestion de la dette publique au ministère chargé des finances " et " le cadre chargé des prévisions au ministère du développement économique ".

De ce fait, le travail se fait de concert. La coordination qui se fait au quotidien avec le Gouvernement, se poursuit au sein même du Conseil d'Administration, décision de politique monétaire comprise.

Ceci est surtout nécessaire, d'autant plus que notre pays ne se soit pas encore remis des effets de la crise sanitaire et qu'il se trouve confronté à la crise russo-ukrainienne. Ce conflit a vite fait de propulser les prix internationaux des produits alimentaires de base et des matières premières vers des records historiques. Les pressions sur les prix se sont exacerbées. Effet immédiat, le taux d'inflation a grimpé pour se situer à 7,8% en mai 2022, contre 5% et 6,6% en mai et décembre 2021, respectivement. Ce trend haussier risque de se poursuivre avec le maintien du cours des matières premières, surtout le pétrole, à des paliers historiquement élevés. Sur le plan national, cela a exigé l'introduction de nécessaires ajustements à la hausse des prix de nombreux produits administrés.

Ainsi, en présence d'une tendance haussière de l'inflation à moyen-terme, la BCT se trouvait dans l'obligation de resserrer sa politique monétaire. Nous demeurons convaincus de la nécessité d'éviter l'installation d'une inflation forte et persistante dans l'économie, ce qui rend, par la suite difficile, voire coûteux de ramener l'inflation vers sa moyenne de long terme. Cette situation pourrait nécessiter des réponses énergiques en matière de taux d'intérêt. Donc, de générer des coûts économiques plus élevés. De ce fait, il est absolument nécessaire d'évaluer les risques entourant l'objectif de stabilité des prix et les perspectives de l'inflation, puis, de décider de l'orientation de la politique monétaire.

Pour la décision du 17 mai 2022, le relèvement du taux directeur de 75 points de base était le résultat de longues discussions fondées sur une minutieuse évaluation des risques entourant les perspectives des principaux déterminants de l'inflation, tant internes qu'externes. Par cette action, la BCT vise à freiner la tendance haussière de l'inflation sous-jacente avant de l'inscrire sur une trajectoire baissière dès 2023. Car, rappelez-vous le délai de transmission des actions de la politique monétaire est de 6 à 8 trimestres pour atteindre l'inflation.

Pour la période à venir, nous serions très regardants vis-à-vis de l'évolution future de l'inflation. Nous continuerons à évaluer les risques autour de l'objectif de stabilité des prix. À la lumière de ces évaluations, nous déciderons en conséquence de l'orientation de la politique monétaire.

Publié le 23/08/22 09:58

1 commentaire sur cet article. Participez à la discussion.
tipos


24/08/22 18:41

C'est un très bon article à voir google.fr

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