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Lassaâd Boujbel, Président Exécutif des Laboratoires MEDIS : « La vision du secteur devient plus grande que celle de la Tunisie »

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Il avait commencé sa carrière professionnelle avec la distribution des médicaments en créant en 1984 la société Medica Services à travers laquelle il a pu suivre de près l'évolution de l'industrie pharmaceutique en Tunisie. En 1995, il décide d'investir dans ce secteur pour compléter ce qui existait déjà. Il constitue alors les Laboratoires MEDIS. Fort d'une carrière professionnelle très réussie, monsieur Lassaâd Boujbel revient, dans cette interview, sur l'historique du secteur, décortique ses problématiques et propose des solutions.

Le secteur de l'industrie pharmaceutique en Tunisie peut être considéré comme jeune mais ses réalisations sont importantes. Quelles sont les dates qui ont fait l'histoire des Laboratoires MEDIS ?

L'industrie pharmaceutique était jusqu'à 1988 le monopole de l'Etat. Depuis, le secteur a connu l'arrivée des investisseurs privés ce qui a fortement contribué au dynamisme et au développement du secteur.

Alors que tous les industriels privés avaient commencé par la fabrication des formes sèches (comprimés, gélules, …), nous avons décidé d'être innovateurs dans le secteur et nous avons choisi d'investir dès le début dans les formes pharmaceutiques injectables. La première unité dans MEDIS a été spécialisée dans les médicaments injectables sous forme de solutions en ampoules, flacons ou poudre lyophilisée. Nous étions également les premiers à investir dans les médicaments en seringue pré-remplies.

De 1995 jusqu'à l'an 2000, nous avons investi plus de 20 millions de dinars, un montant sur lequel nous n'avons eu aucun retour. En 2000, nous avons mis notre premier médicament sur le marché qui est un anesthésique à usage dentaire professionnel. Le projet était très difficile à concrétiser puis qu'il s'agissait des formes pharmaceutiques les plus difficiles à fabriquer. Pour ce faire, nous avons scellé des partenariats techniques avec des petites entreprises italiennes pour bénéficier du transfert technique.

 

L'environnement général avait-il été propice pour réussir un projet de telle envergure ?

Aux tout débuts de MEDIS, nous avons rencontré de très grandes difficultés financières parce que dans l'industrie pharmaceutique le démarrage est très long. En effet, après l'obtention de la licence d'exploitation on passe à l'étape de préparation des dossiers et leur déposition auprès   du ministère de la santé. Ensuite, nous devons attendre l'étude de ces dossiers jusqu'à l'obtention de l'Autorisation de Mise sur le Marché (AMM). Par la suite, nous devons promouvoir les médicaments que nous fabriquons auprès des prescripteurs, à savoir les médecins, ce qui nécessitera souvent plusieurs années.

En toute logique, les banques commençaient à nous harceler pour rembourser nos crédits. Nous avons vécu une très grande difficulté financière. Mais, heureusement, nous avons pu bénéficier du soutien du fonds TUNINVEST qui est entré au capital de MEDIS en 2001. En outre, nous avons effectué plusieurs augmentations de capital pour faire face à ces difficultés financières.

Malgré ces moments très difficiles, j'ai toujours été convaincu que le projet va réussir. Suite à beaucoup d'efforts et de persévérance déployés par l'équipe Médis nous avons pu faire face à toutes les difficultés financières et techniques.

Nous nous sommes, ensuite, rendu compte qu'il est difficile d'avoir un bon positionnement sur le marché avec la fabrication des injectables uniquement. Alors, nous avons décidé de faire un investissement supplémentaire pour mettre en place une unité dédiée aux formes sèches (comprimés et gélules) en ciblant des médicaments de niche et de petits volumes mais à très haute valeur ajoutée. Et ça a très bien marché puis qu'au bout d'une année, l'unité a réalisé le même chiffre d'affaires que faisaient déjà les injectables.

Cette situation nous a encouragé à investir dans une grande unité de formes sèches, ce qui a permis à MEDIS de devenir un grand opérateur sur ce segment avec une gamme élargie de formes sèches. Ensuite, nous avons investi dans une deuxième extension de l'unité dédiée aux formes injectables ce qui a permis à la société d'avoir l'ambition d'opérer à l'international.

En 2006, nous avons commencé à investir en dehors de la Tunisie, plus précisément en Algérie, où nous nous sommes associés à un fabricant local à Annaba. Aujourd'hui, nous sommes parmi les 15 premiers opérateurs du marché algérien. En parallèle, nous avons tablé sur l'export en certifiant notre site de production ce qui a permis à MEDIS d'exporter ses produits vers l'Arabie Saoudite, la Jordanie, l'Irak, le Liban, ainsi que plusieurs pays africains.

En 2016 et dans une politique d'expansion à l'international, nous avons fait l'acquisition des sites de fabrication des laboratoires SANOFI à Dakar, la capitale du Sénégal. En l'absence d'un environnement qui encourage la fabrication locale des médicaments au Sénégal, on est passé par des difficultés que nous sommes en train de surmonter.

Actuellement, l'activité export de MEDIS affiche de bonnes réalisations. A fin 2020, nos exportations représentent 40% du chiffre d'affaires global de la société. De plus, les exportations de MEDIS couvrent actuellement 40% de l'ensemble des exportations tunisiennes de médicaments. Pour 2021, on compte réaliser 50% de notre chiffre d'affaires à l'export.   

 

Comment vous gérez les difficultés administratives surtout que l'obtention des AMM pourrait durer plus de deux ans ?

Nous avons investi dans la première unité en Tunisie spécialisée dans la fabrication des médicaments anti-cancéreux sous toutes les formes pharmaceutiques (injectables et formes sèches). Aujourd'hui, nous sommes en train de vivre les mêmes problèmes de démarrage qu'a connus MEDIS, bien que nous développons des médicaments d'une importance primordiale.

Le secteur privé a réalisé ces dernières années de gros progrès et dont la vision est devenue plus grande que celle de la Tunisie. Les opérateurs du secteur ambitionnent de construire une plateforme de fabrication pour servir et le marché local et l'export. Nous souhaitons que l'administration devienne plus réactive à cette croissance rapide du secteur.

Nous à MEDIS, notre politique à l'export est axée sur les médicaments de niche non encore génériqués dans plusieurs pays du monde et dont la vente reste monopolisée par les multinationales. Aujourd'hui, les médicaments que nous développons à MEDIS et qui sont en cours d'enregistrement disposent d'un potentiel entre 100 et 150 millions de dinars de chiffre d'affaires.

Il n'est plus acceptable d'attendre 2 ans minimum (4 ans pour les produits de la biotechnologie) pour que nous puissions obtenir notre AMM. Cette lenteur nous pénalise gravement alors que dans d'autres pays il y a une forte volonté politique de développer le secteur de l'industrie pharmaceutique puis qu'il est considéré comme un secteur de souveraineté.

MEDIS a consenti beaucoup d'efforts et d'investissements au niveau de la recherche et développement pour être parmi les premiers à génériquer des médicaments de niche et de forte valeur ajoutée, le retard de l'obtention des AMM nous pénalise à l'export puis que nous ne pouvons pas enregistrer nos médicaments à l'étranger tant qu'ils ne sont pas encore enregistrés et commercialisés dans le pays d'origine, ceci nous fait perdre beaucoup d'opportunités  dans des marchés comme celui de l'Arabie Saoudite qui est 6 fois plus important que le marché tunisien et, par conséquent, nous perdons la longueur d'avance par rapport aux concurrents.

Depuis son démarrage en 2018, notre filiale Néapolis Pharma spécialisée dans la fabrication des médicaments pour le traitement des différentes maladies par chimiothérapie et dont l'investissement a coûté plus de 70 millions de dinars, n'a obtenu jusqu'à aujourd'hui qu'un nombre limité d'AMM par rapport au nombre total des dossiers déposés. Tout en sachant que tous les médicaments que nous proposons sont importés et coûtent plusieurs millions de dinars à l'Etat chaque année.

A titre d'exemple, il y a un médicament dont nous attendons son AMM depuis maintenant deux ans et que sa bioéquivalence (étude clinique) a coûté à la société plus de 150 mille dollars, l'Etat l'importe à 11 mille dinars la boite. Auparavant, les délais d'obtention étaient relativement plus réduits, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.

 

Qu'est-ce que vous proposez pour que la tendance s'inverse ?

Tout d'abord, il faut qu'il y ait une stabilité politique dans le pays. Ce n'est pas normal que 15 ministres de la Santé se sont succédés depuis 10 ans. Cette instabilité au niveau du ministère de tutelle ne permet pas de construire une vision, d'imaginer les changements et de réfléchir aux méthodes et moyens à mettre en place.

Nous fabriquons et vendons des médicaments équivalents et qui coûtent moins chers que ceux importés. Nous demandons que l'Etat arrête de compenser les médicaments importés qui ont leurs équivalents fabriqués localement. Il existe même des médicaments importés et compensés par l'Etat alors que leurs équivalents sont fabriqués par 4 ou 5 laboratoires locaux. Le montant payé annuellement par l'Etat dans le cadre de la compensation de ces médicaments est estimé à 60 millions de dinars.

Nous souhaitons que les autorités engagent une révision totale du secteur en faveur du développement de l'industrie locale en mettant à profit les compétences tunisiennes en la matière.

En outre, le Laboratoire national de contrôle des médicaments devrait être indépendant et autonome financièrement pour qu'il puisse jouer convenablement son rôle. Actuellement, le Laboratoire dépend du ministère de la Santé et ne bénéficie même pas d'un budget annuel. Ce qui explique, en grande partie, la non réactivité et la lenteur dans l'octroi des AMM.

 

La crise du Coronavirus a-t-elle eu un impact sur l'activité de MEDIS ?

La crise sanitaire du Coronavirus nous a ouvert une opportunité en or pour exporter nos médicaments. Cette année, par exemple, nous avons exporté nos produits vers la France avec des autorisations temporaires et ce, grâce à la réputation dont dispose la Tunisie dans le domaine de l'industrie pharmaceutique.

Nous avons également exporté vers le Pérou pour environ 3 millions de dinars. Et nous sommes en train de découvrir d'autres marchés essentiellement en Amérique Latine alors qu'on se focalisait autour des marchés africains et du Moyen-Orient.

 

Le ministre de la Santé a évoqué la possibilité d'un accord avec des laboratoires étrangers pour qu'ils fabriquent leur vaccin contre la COVID-19 en Tunisie. Les Laboratoires MEDIS sont-ils prêts pour répondre présents ?

Nous sommes outillés pour faire le " fill and finish " avec les laboratoires étrangers. Nous nous engageons à mettre notre site de production à la disposition du pays pour fabriquer le vaccin. Nous sommes capables de fabriquer 10 millions de doses du vaccin au bout de deux mois.

En revanche, les grands laboratoires internationaux qui fabriquent le vaccin de la Covid-19 exigent un engagement ferme de l'Etat et non pas du secteur privé. En attendant, nous sommes prêts à mettre à disposition nos unités de fabrication.

 

Quel est votre mot de la fin ?

Ma grande satisfaction morale aujourd'hui c'est que le projet, qui n'était qu'une idée en 1987, emploie actuellement plus de 750 personnes en Tunisie dont 130 médecins et 150 ingénieurs et pharmaciens et un taux d'encadrement de 50%.

En Algérie, nous avons réussi à créer 550 postes d'emploi et au Sénégal 120 postes. Et notre rêve est de faire de MEDIS la première multinationale tunisienne.

Propos recueillis par Omar El Oudi

Publié le 10/02/21 14:25

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