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Aujourd'hui, la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) n'est plus une simple option, mais un impératif pour les entreprises tunisiennes, surtout face aux nouvelles exigences législatives et à la pression des investisseurs étrangers. Elles doivent désormais s'adapter à des normes plus strictes, notamment européennes, et repenser leurs pratiques pour ne pas passer à côté des opportunités qu'offre une démarche responsable.
Nous avons rencontré M. Jérôme Mât, expert international en RSE, pour revenir sur les principaux défis auxquels font face les entreprises tunisiennes et sur la manière dont elles peuvent saisir l'opportunité pour se renforcer sur les marchés.
Jérôme Mât, expert international en RSE, intervient en Tunisie depuis 2021. Titulaire d'une maîtrise en droit privé, il a commencé sa carrière dans le secteur public en tant qu'assistant parlementaire, directeur de cabinet en collectivité locale, puis chef de cabinet du ministre du logement. Il a ensuite travaillé dans le privé, notamment en tant que directeur exécutif d'une SAS du CSTB, chargé de l'organisation du Solar Decathlon Europe 2014 à Versailles.
En 2015, il a dirigé le Plan Transition Numérique dans le Bâtiment (PTNB), avec pour objectif de digitaliser la filière. En 2016, il prend la présidence d'une société événementielle pendant 4 ans. Fort de ces expériences, il a créé en 2020 le Réseau RSE 26000 Afrique du Nord & Moyen-Orient, regroupant des consultants français et tunisiens spécialisés en RSE. INTERVIEW.
Comment évaluez-vous les entreprises tunisiennes en matière de RSE, surtout que vous travaillez avec des clients tunisiens ? Où en sommes-nous aujourd'hui dans cette démarche ?
Je pense que le marché tunisien est encore émergent, un peu comme en France, où il y a beaucoup de personnes qui parlent de RSE mais qui la réduisent à une vision soit sociale, soit commerciale, soit environnementale. Aujourd'hui, la RSE telle que nous la pratiquons permet à une entreprise de s'interroger sur toutes ses pratiques et surtout d'interroger la gouvernance de l'entreprise sur l'impact de ses décisions pour demain.
Si, par exemple, je choisis de recruter, je me demande ce que je mets en avant pour attirer les talents. Qu'est-ce qui fera qu'un jeune ou un salarié préfèrera venir travailler chez moi plutôt que dans une autre entreprise ? Notre rôle est d'aider l'entreprise à maximiser ses chances en lui fournissant des indicateurs de performance. C'est là la nouveauté, chez " LE RESEAU RSE 26000 Afrique du Nord & Moyen-Orient ", nous abordons la RSE sous quatre grands domaines d'impact.
D'abord, la gouvernance et l'innovation : quelles conséquences auront mes décisions sur le long terme ? Est-ce qu'elles seront bénéfiques pour mes salariés, mes clients, leur santé, l'environnement et la société dans son ensemble ? Ensuite, l'attractivité employeur : qu'est-ce qui fait de mon entreprise un lieu de travail séduisant ? Puis, l'impact commercial : qu'est-ce qui permettra à mes produits de se différencier sur le marché ? Cela peut concerner l'impact carbone, les conditions de fabrication, la chaîne d'approvisionnement ou encore les achats locaux.
Enfin, l'aspect environnemental : comment réduire l'impact de mes produits et processus pour prouver que je mets en place une véritable stratégie d'adaptation et d'atténuation au changement climatique. Tout cela permet à l'entreprise de se projeter à moyen et long terme, assurant ainsi sa pérennité pour les 5, 10 ou 20 prochaines années.
Donc, sont-elles vraiment sur la bonne voie ?
Toutes les entreprises qui s'engagent en RSE sont sur la bonne voie. Celles qui ne suivront pas cette voie louperont un virage stratégique. Et certains pays, comme la Tunisie, amorcent cette tendance.
Il est à noter que la Tunisie avait ratifié l'accord de Paris (COP 21) en 2015 et qu'elle avait augmenté son objectif de réduction des émissions de CO2 à l'horizon 2030. Je ne vais pas dire que tout est parfait, mais il y a des engagements, et je pense qu'il y a une volonté des chefs d'entreprises de se conformer, souvent sous contrainte, à certaines exigences.
Aujourd'hui, on constate que 73,5% des exportations tunisiennes vont vers l'Union Européenne. Les entreprises tunisiennes, en particulier les exportatrices, ont tout intérêt à adopter la RSE.
En effet, sinon, les marchés se restreindront progressivement. La RSE ne doit pas être vue comme une contrainte, mais comme un investissement. En améliorant mon entreprise, je lui permets de progresser, d'être plus compétitive, et ainsi de conquérir de nouveaux marchés et séduire de nouveaux clients.
Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels elles font face ?
Accès aux énergies renouvelables, tri des déchets, conditions et qualité de vie au travail, éco-conception. Pour la qualité de vie, qu'est-ce qui fait que mes salariés arrivent le matin de bonne humeur, avec le sourire, et sont heureux de venir travailler ? Quand j'arrive dans l'entreprise, est-ce que les locaux sont modernes et accueillants ? Quand je fais une pause déjeuner, est-ce que la salle de pause est confortable et bien équipée ? Est-ce que le management est bienveillant ? Est-ce que je suis remercié et y a-t-il des encouragements quand l'entreprise a un gros carnet de commandes ou un projet important ?
Comment mon manager va-t-il me motiver à m'impliquer ? Comment savoir si mes efforts portent leurs fruits et si les clients sont satisfaits ? Est-ce que le management me fait savoir que mon travail a été apprécié, que le client est content, qu'il nous a donné une nouvelle commande, et que cela va permettre de maintenir l'activité de l'usine ? Et, si on a bien travaillé, peut-être que je pourrais partager une partie des bénéfices à travers une prime.
L'entreprise propose-t-elle aussi des activités culturelles ou extra-professionnelles ? Nous fonctionnons avec des indicateurs et des actions opérationnelles, au nombre de 116. Chaque fois, on vient challenger l'entreprise sur sa capacité à renforcer son attractivité employeur, mieux satisfaire ses clients et réduire certains risques avec ses fournisseurs.
Nous vérifions les pratiques de ces derniers, s'assurer qu'ils ne font pas travailler des enfants, qu'il n'y a pas d'extraction illégale de matières premières, etc. On veille aussi à ce que les emballages soient raisonnables, sans sur-emballage ou sur-conditionnement, car cela entraîne un gaspillage de ressources et génère des déchets, avec des coûts supplémentaires pour l'entreprise.
En se basant sur votre expérience, quels secteurs en Tunisie montrent le plus de potentiel en matière de RSE et de durabilité ? Et quels secteurs restent encore à la traîne ?
Actuellement, le secteur de l'industrie automobile a amorcé son virage RSE. On peut dire que tous les secteurs directement concernés par la réglementation européenne, notamment ceux liés au carbone et à la pollution, sont concernés. Cela inclut pratiquement toutes les entreprises exportatrices, en particulier les produits manufacturés. Les produits agricoles non transformés ne seront pas concernés par la réglementation, mais les produits manufacturés seront impactés par ces exigences de la communauté européenne.
La RSE est souvent vue comme un levier pour l'attractivité des investissements. Comment les entreprises tunisiennes peuvent-elles utiliser leurs engagements RSE pour séduire des investisseurs, notamment étrangers ?
Alors déjà, avant de vouloir séduire ou valoriser ces engagements, il faut être sûr que ces engagements correspondent à des indicateurs de performance en RSE. C'est pour cela que la première recommandation qu'on peut faire, en tout cas celle du réseau RSE 26 000 Afrique du Nord Moyen-Orient, c'est de réaliser un diagnostic des pratiques sur la base de notre référentiel, déjà utilisé dans 23 secteurs d'activité.
Plus de 13 000 salariés ont été couverts par nos accompagnements, permettant aux entreprises de démontrer la force, l'authenticité et la sincérité de leurs pratiques en RSE. C'est donc le premier engagement à prendre. C'est le premier acte pour une entreprise : faire le diagnostic de ses pratiques pour savoir d'où elle part et fixer des objectifs à atteindre.
Ensuite, en fonction du niveau atteint, soit l'entreprise continue pour progresser, soit, si elle est déjà très performante, ce diagnostic peut confirmer la performance estimée ou évaluée par le dirigeant.
L'entreprise a tout intérêt à disposer d'un label, comme le " label RSE 26000 – Apave Certification ", pour montrer aux autorités ou aux investisseurs qu'elle adopte des pratiques durables et responsables reconnues. Par exemple, dans nos accompagnements, nous trouvons toujours des sources d'optimisation et réduction dans les coûts de fonctionnement de l'entreprise.
On va changer la nature des emballages, identifier de nouveaux fournisseurs, et réduire certaines consommations liées à l'eau et à l'énergie. Quand on aide l'entreprise à réduire ses consommations énergétiques, de papier, d'eau, de transport, de carburant, etc., cela génère des économies. Le coût du diagnostic est donc modeste par rapport aux économies qu'il permet de réaliser.
La RSE est donc un investissement rentable. Quand une entreprise n'arrive pas à recruter ou fidéliser ses salariés, le chef d'entreprise fait rarement le calcul de ce que lui coûte un salarié qui est resté seulement quelques mois. Quand un salarié part après deux, trois ou quatre mois, cela représente quelques milliers de dinars jetés par les fenêtres.
Avec le diagnostic, l'entreprise connaît son niveau de performance et dispose d'un document de travail qui lui permettra de progresser pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, car il lui permet de poser les bases de sa stratégie RSE.
La Tunisie s'engage de plus en plus vers la décarbonation de son industrie. À votre avis, quel rôle les entreprises tunisiennes peuvent-elles jouer dans ce processus, et quels sont les outils ou soutiens nécessaires pour les accompagner ?
Déjà, il faut évaluer ces émissions de CO2 sur la base de la consommation directe d'énergie fossile. Il est important de regarder où en est l'entreprise, comment elle fonctionne, et comment, dans ces processus, on pourrait poser des horaires de travail plus fixes et plus lissés.
Il faut aussi s'interroger sur les températures utilisées dans les processus. Parfois, baisser de 1, 2, 3, 4, ou 5 degrés peut permettre de réaliser d'importantes économies. Ensuite, il est essentiel d'examiner comment l'écosystème autour de l'entreprise a évolué.
Est-ce que l'entreprise peut avoir accès à des sources d'énergie moins carbonées ? Est-ce qu'elle peut investir dans des énergies renouvelables ? Est-ce que l'entreprise n'a pas intérêt à investir dans du matériel qui consomme moins d'énergie, voire moins de matières ?
On a plein de questions sur lesquelles on vient de challenger l'entreprise en disant " est-ce qu'aujourd'hui, on est capable de faire évoluer vos processus ? ". Tout l'enjeu, c'est de regarder comment on peut baisser de fortes émissions de CO2 pour arriver à poser quelques objectifs ou pistes de réduction de CO2.
La force de notre réseau réside dans le fait que nous sommes plus d'une quinzaine, entre la France et la Tunisie, avec des expertises complémentaires. Lorsqu'un consultant a une question, il peut s'adresser à un collègue plus expert dans un domaine comme la santé au travail, la gestion des déchets, la réduction des pollutions, ou la lutte contre la cybercriminalité. Les expériences acquises profitent à tout le monde.
Lors de la réalisation d'un diagnostic, chaque consultant fournit une analyse vérifiée et testée sur site pour garantir la sincérité et l'authenticité des pratiques déclarées. Nous préservons l'entreprise de tout greenwashing.
Jihen Mkehli
Publié le 18/02/25 09:24
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