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Jean-Luc REVEREAULT : Il serait regrettable que les centaines de millions d’euros de prêts accordés par la BEI ne soient pas décaissés

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Avocat et analyste financier, Jean-Luc REVEREAULT, Chef de la Représentation de la BEI (Banque européenne d'investissement) en Tunisie, jouit d'une expérience de 20 ans au sein de la banque où il a exercé plusieurs fonctions. Il a notamment travaillé sur les pays du voisinage européen, dont la Tunisie, où il a été chargé de l'investissement dans des entreprises et des fonds de la région. Il a également été Conseiller du président de la BEI en charge des questions opérationnelles de la banque puis responsable du développement de la stratégie des activités de conseil de la BEI.

M. REVEREAULT, qui nous a accueillis dans son bureau, dressera un état des lieux des activités de la BEI en Tunisie, des avancées mais aussi des difficultés rencontrées dans la mise en œuvre des projets financés par la banque. Interview.

Quels sont les principaux champs d'action la BEI en Tunisie ?

Jean-Luc REVEREAULT : La BEI est la banque de l'Union européenne et son capital est détenu par les 27 Etats membres de l'Union européenne. A ce titre, l'essentiel de notre activité se déroule dans les pays membres de l'Union européenne. Sur les 63 milliards d'euros que nous avons prêtés et investis en 2019, 3,8 milliards d'euros sont allés à des projets situés dans la région du voisinage du Sud et de l'Est, ce qui fait de la BEI un acteur majeur dans la région. En ce qui concerne plus particulièrement la Tunisie, nous avons commencé nos activités il y a 40 ans et, à ce jour, la BEI est toujours le partenaire financier le plus important du pays en termes d'engagements avec 3,9 milliards d'euros de prêts signés. Si l'on rapporte ce niveau d'engagement au PIB ou à la population du pays, la Tunisie figure nettement en tête des pays bénéficiaires des financements de la banque.

En termes de secteurs, notre portefeuille de prêts se compose de quatre parties plus ou moins égales, qui reflètent les principaux besoins du pays : l'énergie, les transports, les infrastructures sociales et l'accès au crédit.

En ce qui concerne l'énergie, nous aidons l'Etat à réduire la dépendance énergétique du pays. Par exemple, nous avons soutenu l'ETAP et le groupe OMV dans le cadre du projet Nawara avec un prêt de 380 millions d'euros. Nous nous réjouissons que ce projet soit sur le point d'aboutir.  Nous accompagnons également la STEG dans son développement et l'intégration des énergies renouvelables dans le mix énergétique. Nous espérons participer au financement des concessions des centrales photovoltaïques et des fermes éoliennes.

S'agissant des transports, nous travaillons depuis de nombreuses années avec le ministère des Transports pour les projets ferroviaires et aéroportuaires et avec le ministère de l'Equipement pour les projets routiers. La plupart des autoroutes du pays sont financées par la BEI. Mais c'est également le cas de l'aéroport d'Enfidha en partenariat public privé, ou des nouvelles lignes du RFR à Tunis.

En ce qui concerne les infrastructures sociales, c'est un secteur important qui englobe le développement urbain (y compris la rénovation des médinas), la santé, l'éducation, l'accès aux TIC, ou la gestion de l'eau et des déchets, domaine dans lequel il y a encore beaucoup à faire. La BEI est fière, par exemple, de contribuer à la rénovation et à la modernisation des écoles secondaires à travers toute la Tunisie et de permettre aux jeunes tunisiens d'étudier dans de meilleures conditions. Mais nous sommes également ravis d'accompagner Tunisie Telecom à déployer le réseau 4G dans tout le pays afin de permettre à chacun d'avoir accès à internet.

Finalement, nous contribuons à l'amélioration de l'accès au crédit des PME et des micro-entrepreneurs au travers de lignes de crédit octroyées aux principales banques du pays, ainsi qu'aux fonds d'investissement et aux institutions de microfinance. Je pourrais vous raconter de belles histoires d'entreprises tunisiennes financées par la BEI au travers du fonds AfricInvest ou de Enda Tamweel.

 

La BEI a financé le projet du pont de Bizerte. Quel est le stade d'avancement de ce projet ?

Jean-Luc REVEREAULT : C'est un magnifique projet qui permettra non seulement d'améliorer les conditions de vie des habitants de Bizerte mais également de renforcer l'attractivité économique de la région. C'est aussi un projet complexe compte tenu des caractéristiques du pont, qui doit permettre de garantir la circulation des navires entre la mer et le lac et qui doit résister au vent qui peut souffler très fort dans cette région. Ce projet a pris un peu de retard mais il entre maintenant dans sa phase " visible ", les appels d'offres ayant été lancés en janvier.

A ce sujet, je tiens à préciser que la BEI n'est pas seulement une banque. C'est un partenaire financier et technique qui accompagne les promoteurs de chacun des projets que nous finançons à travers toutes les étapes de préparation du projet. Nous accordons, par exemple, énormément d'importance à l'impact environnemental et social des projets et à la préparation des études d'impact. Nous souhaitons également que les procédures d'expropriation soient menées à bien conformément à nos standards. C'est aussi le cas pour les appels d'offre, dont les cahiers des charges doivent impérativement répondre aux conditions BEI. Tout cela prend du temps et nécessite la mobilisation d'experts.

Concernant plus spécifiquement le pont de Bizerte, nous travaillons en étroite collaboration avec la direction générale des ponts et chaussées au sein du ministère de l'Equipement et je dois dire que cette collaboration est exemplaire. Les experts de la DGPC sont accompagnés par des consultants spécialisés dans différents domaines sociaux, environnementaux, hygiène et sécurité, appels d'offre, etc. Cette assistance technique, qui est souvent financée par des fonds de l'Union européenne, est extrêmement importante et la réussite d'un projet réside souvent dans la qualité des experts et la bonne entente entre les différentes parties prenantes.

 

Selon vous, il sera opérationnel dans combien de temps ?

Jean-Luc REVEREAULT : Mon mandat en Tunisie est d'une durée de 6 années maximum. J'espère vraiment pouvoir passer sur le pont de Bizerte avant de quitter le pays.

 

Et qu'en est-il du projet RFR, un grand projet d'infrastructure de transport qui a vraiment tardé également ?

Jean-Luc REVEREAULT : Ce projet a effectivement rencontré un certain nombre de difficultés. Des retards liés à la qualité des entreprises initialement choisies, au manque de planification, à l'absence de concertation avec les habitants affectés par le projet, et à d'autres causes... Encore une fois, lorsque nous finançons ce type de projets nous tenons à nous assurer que l'impact global pour les populations sera positif. C'est-à-dire que dans le choix du tracé on essaie d'éviter de scinder des quartiers en deux sans mesure d'aménagement. Nous tenons aussi à ce que les réunions de concertation avec les associations locales et les quartiers soient organisées avant de commencer les travaux. En outre, nous veillons au respect de toutes les normes de sécurité sur les chantiers.

Lorsque nos recommandations et conditions ne sont pas respectées, nous suspendons les décaissements. Nous sommes bien conscients que cela peut causer du retard, notamment en ce qui concerne le paiement des entreprises sous-traitantes et des fournisseurs, mais nous sommes intransigeants sur ces aspects.

 

Lors de la conférence Tunisia 2020, la BEI avait annoncé plus de 2,5 milliards d'euros de financements et d'accompagnement à la Tunisie. Sur ces 2,5 milliards, à combien s'élèvent les montants signés ?

Jean-Luc REVEREAULT : Il s'agissait d'une enveloppe mise à la disposition de la Tunisie par la BEI qui permettait au pays de bénéficier d'environ 500 millions d'euros de financement chaque année entre 2016 et 2020.

Jusqu'à aujourd'hui, nous avons signé un peu plus d'un milliard d'euros sur les 2,5 milliards disponibles. En 2016 et 2017, le volume de signatures était en ligne avec ce que nous avions proposé. Depuis 2018, en revanche, nous avons connu une baisse du nombre de projets soumis à la BEI et par conséquent du nombre de signatures.

L'une des raisons de ce fléchissement tient certainement à la capacité d'emprunt du pays. Chacun sait qu'un Etat ne peut pas excéder certaines limites en matière d'endettement et la Tunisie s'est progressivement approchée de ces limites au cours des dernières années.

A ce sujet, je crois qu'il est important de faire une distinction entre la dette d'investissement d'une part et la dette de fonctionnement ou l'appui budgétaire d'autre part. La BEI ne finance que des projets d'investissement. Cela signifie que pour chaque prêt contracté auprès de la BEI, il y a un actif, par exemple une autoroute, une école ou une centrale électrique qui vont créer de la valeur économique pour le pays. Et compte tenu des conditions financières favorables actuellement proposées par la BEI, recourir à l'emprunt pour financer les projets d'avenir dont la rentabilité économique et l'impact social sont démontrés, c'est plutôt une bonne décision de gestion. 

 

Qu'en est-il des décaissements de ces financements ?

Jean-Luc REVEREAULT : Nous décaissons environ 250 millions d'euros par an, ce qui fait 1 milliard sur la période 2016-2019. Il y a toujours un laps de temps entre signature et décaissement. Et les décaissements de ces dernières années sont aussi liés à des opérations qui avaient été signées avant 2016. Il faut reconnaître que le rythme des décaissements est relativement lent et nous avons à ce jour décaissé 20% des prêts qui ont été signés depuis 2016. Ceci est dû, notamment, à la complexité de certains projets et au manque de capacité de certains promoteurs de mettre en œuvre ces projets.

 

Est-ce que ces indicateurs-là pourraient remettre en cause votre positionnement sur la Tunisie ?

Jean-Luc REVEREAULT : La BEI, en tant que banque de l'Union européenne, est un partenaire sur qui le nouveau gouvernement tunisien peut compter pour les années qui viennent.

La conférence BEI-MED, que la banque organise chaque année dans un pays partenaire méditerranéen, aura lieu à l'automne prochain à Tunis. Cette conférence sera une excellente occasion de mettre en avant le travail accompli avec nos partenaires tunisiens et de renouveler notre engagement à accompagner le nouveau gouvernement dans sa tâche.

Ceci étant dit, pour profiter pleinement du soutien de la banque, il est important que nous travaillions ensemble pour identifier les priorités et les projets que nous pouvons soutenir et pour trouver les moyens d'accélérer les décaissements. Il serait regrettable que les centaines de millions d'euros de prêts signés - et  ratifiés par l'ARP -  ne soient pas décaissés et que les projets que nous avons décidé de financer ne soient pas mis en œuvre.

 

Aujourd'hui l'économie tunisienne est perçue comme étant une économie de rente qui ne favorise pas l'entrepreneuriat et l'accès au financement. Avez-vous des recommandations pour y remédier ?

Jean-Luc REVEREAULT : Je sortirais de mon rôle si je faisais des recommandations à ce sujet. Je crois que le diagnostic est connu de tous et que les réformes nécessaires pour redresser l'économie et améliorer la vie des citoyens tunisiens ont déjà été identifiées, non seulement par le FMI mais également par l'Union européenne et les institutions financières internationales.

L'un des défis majeurs auquel doit faire face le nouveau gouvernement est la nécessité de développer rapidement des infrastructures répondant aux besoins socio-économiques du pays et de mettre en place une politique industrielle permettant d'attirer les investisseurs et de créer les emplois qualifiés dans le pays a besoin.

Nous sommes prêts à accompagner le nouveau gouvernement dans les domaines dans lesquels nous avons une expertise particulière, à savoir la lutte contre le changement climatique, la protection de l'environnement, le développement des infrastructures sociales, l'innovation ou encore l'accès au crédit et au micro-crédit.

Nous continuerons donc, si le gouvernement le souhaite, de financer les projets qui contribuent à lutter contre le réchauffement, comme les centrales solaires ou les transports urbains électriques, à accroître l'efficacité énergétique des bâtiments publics notamment les écoles ou les hôpitaux, à optimiser l'utilisation des ressources hydriques et à améliorer la gestion et la valorisation des déchets. Je crois personnellement beaucoup au potentiel de la Tunisie en matière d'innovation et nous sommes prêts à accompagner les sociétés tunisiennes dans leur transformation digitale dans les secteurs tels que l'agro-alimentaire, l'aéronautique, l'automobile ou la pharmacie.

L'objectif de notre action est in fine d'améliorer les conditions de vie, d'éducation, d'emploi, de transport ou de logement des tunisiens et je m'y emploierai activement tout au long de mon mandat dans ce beau pays.

Propos recueillis par Ismail Ben Sassi

Publié le 03/03/20 10:04

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