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La question de l'élaboration d'une nouvelle stratégie de développement en Tunisie est au cœur des préoccupations de la communauté économique et politique. Face aux défis socio-économiques et à l'évolution rapide du contexte mondial, les acteurs clés s'interrogent sur la pertinence et l'efficacité du modèle de développement actuel.
Faut-il une nouvelle stratégie de développement en Tunisie ? Cette question a été au centre du débat lors de la deuxième plénière du forum de l'ASECTU, qui s'est tenu du 6 au 8 juin à Hammamet, sous le thème “Perspectives des stratégies de développement”. Le Forum est soutenu par le projet Savoirs éco, un programme d'appui aux structures productrices de savoir économique en Tunisie mis en œuvre par Expertise France et financé par l'Union européenne.
Pour Alaya Becheikh, directeur général de l'Institut Tunisien de la Compétitivité et des Études Quantitatives (ITCEQ), il est plutôt nécessaire d'ajuster le modèle existant, en indiquant :
“Je préfère utiliser la notion d'ajustement de stratégie de développement. Pourquoi ? Parce qu'à mon avis, la question de la stratégie de développement devrait être abordée par rapport à trois points. Tout d'abord, il faut revenir aux enseignements tirés de la pratique de l'économie de développement sur six à sept décennies. La pratique de l'économie de développement nous a appris, et a appris à tout le monde, en Tunisie évidemment, que la qualité des institutions est fondamentale, tout comme la mobilisation collective et la concertation active pour la prise de décision et la mise en place d'une ambition collective partagée par tous.”
Ensuite il a poursuivi : “Deuxième enseignement : aucune politique, stratégie ou programme ne saurait suffire à changer la donne et à enclencher le processus de développement. Par conséquent, l'intersection entre toutes les politiques, dans une logique holistique, est également un principe fondamental à respecter. Troisième enseignement : la complémentarité entre l'État et le marché, et le rôle fondamental de l'État dans le développement. Enfin, un principe bien ancien de l'économie de développement est qu'il n'y a pas de recette universelle. Il n'existe pas un modèle standard à adopter par toutes les économies en développement”.
En abordant les progrès réalisés, il a souligné : “La Tunisie s'est inscrite dans tous les paradigmes proposés par la communauté de développement depuis les années 60. Les questions de lutte contre la pauvreté et le modèle de croissance inclusive ont été abordées. Cependant, la Tunisie rencontre encore des défis majeurs en matière de mobilisation collective, de cohérence des politiques de développement, et de frontière d'usage entre le marché et l'État. Il est donc nécessaire de soigner ces aspects pour ajuster les stratégies de développement”.
Dans ce sens, il a recommandé “un rôle plus actif de l'État”, en précisant : “Oui, nous dépendons des contraintes financières et budgétaires, car les ménages et les entreprises ont besoin de beaucoup de soutien. Il est crucial de soutenir le pouvoir d'achat des ménages, la trésorerie des entreprises, leurs programmes d'investissement, et bien plus encore. Sur ce point, le rôle de l'État est important dans ce contexte de crise, de récession, voire même de crise économique. Il va falloir trouver des solutions pour que le budget de l'État puisse intervenir encore sur ces aspects-là. Discutons les modèles de financement, oui, mais encore une fois, seul le dialogue pourra apporter des solutions en matière d'accès au financement extérieur, d'acceptation d'un certain niveau d'endettement, et de monétisation de la dette, etc”.
Et de poursuivre : “Sur le plan structurel, ma conviction est que l'ajustement que je préconise en matière de développement repose sur trois piliers fondamentaux. Premièrement, investir dans les transitions n'est pas un choix délibéré, mais une obligation. Comme je l'ai déjà mentionné, nous sommes pleinement touchés par les effets du changement climatique. Deuxièmement, un rôle beaucoup plus actif de l'État. Les solutions existent, discutons-en en fonction d'une conditionnalité institutionnelle. Troisièmement, une intégration régionale plus poussée.”
“Cette approche vise à créer un cadre d'intervention convergent et cohérent pour mettre en place une ambition commune : un niveau de vie plus élevé, un cadre de vie meilleur et un mode de vie d'un palier supérieur. " a-t-il conclu.
Évolution du paysage économique mondial
Dans le même contexte, Dani Rodrik de l'Université Harvard a présenté en ligne sa vision intitulée “Une nouvelle stratégie de croissance pour les pays en développement.”
“Il est clair que nous traversons une transition dans l'économie mondiale qui exige une révision de nos stratégies d'acceptation. La transition climatique, en particulier, impose de nouveaux impératifs, tant en termes d'atténuation que d'adaptation, et nécessite des investissements entièrement nouveaux qui réclament une approche innovante. Cette évolution pousse déjà les gouvernements à réévaluer leurs choix d'investissement. Parallèlement, nous observons une tendance tout aussi significative pour les pays à revenus faibles ou intermédiaires : la nature même du secteur manufacturier a considérablement évolué au cours des deux ou trois dernières décennies”. a-t-il ajouté.
Il a souligné l'importance de cette transition en disant : “Comme vous le savez, le secteur manufacturier a été le moteur de la croissance économique spectaculaire des pays d'Asie de l'Est, tels que la Corée du Sud, Taiwan, le Japon et surtout la Chine. De nombreux autres pays, y compris la Tunisie à divers moments de son histoire, ont tenté de reproduire ce modèle en favorisant une industrialisation orientée vers l'exportation. Cependant, au cours des deux dernières décennies, nous avons constaté une transformation majeure de l'industrie manufacturière dans les économies en développement.”
Il a dans ce sens ajouté : “L'une des principales raisons de ce changement est l'évolution technologique au sein de l'industrie manufacturière, avec des avancées telles que l'automatisation, les robots et d'autres innovations à forte intensité de capital, qui ont réduit la demande de main-d'œuvre dans ce secteur. Un autre facteur crucial est la nature de la concurrence mondiale, où la mise en place des chaînes de valeur mondiales a favorisé certains exportateurs, notamment en Asie de l'Est et du Sud-Est comme le Vietnam, au détriment d'autres pays.”
Selon lui, ces évolutions nécessitent une révision profonde des stratégies de développement pour les pays en développement.
Notons que lors de la même session plénière, ont été présentées les interventions de la responsable de la communication de Léonie en Tunisie, et de la responsable des formations au sein du centre Elife. Chacune d'elles a abordé la contribution de leur projet respectif à la création de richesse et à l'employabilité dans leur domaine, en exposant leur vision du travail.
Jihen Mkehli
Publié le 10/06/24 11:55
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