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Economie Tunisienne : Des marges de manœuvre de plus en plus limitées

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Neuf ans après la Révolution, l'économie tunisienne ne s'est toujours pas fixée de cap. L'instabilité politique, les résistances sociales et corporatistes et l'absence d'une vision réformiste ont creusé les défaillances structurelles de l'économie tunisienne. La campagne électorale commence à peser lourdement sur la conjoncture économique dans la mesure où le comportement des preneurs de décision est dicté par l'attentisme.

L'intermédiaire en Bourse Tunisie Valeurs vient de publier sa Revue de Recherches dans laquelle les analystes de son Département Etudes & Recherches ont décortiqué en chiffres les maux de l'économie tunisienne qui ne peuvent être réglés qu'en actionnant le levier de l'investissement.

Une croissance molle

L'économie tunisienne a évolué au rythme modéré de 2,5% sur l'année 2018 contre 1,9% en 2017. Légèrement supérieure aux prévisions du FMI, cette performance repose principalement sur une bonne saison agricole et la relative reprise du tourisme. Cette progression du PIB aurait été plus soutenue n'eût été la mauvaise tenue du secteur des mines, notamment le secteur du phosphate et du raffinage du pétrole. L'activité économique a connu un démarrage difficile en 2019. La croissance du PIB a été nulle au premier trimestre 2019.

L'évolution défavorable des industries manufacturières (-0,2% pour le secteur des Industries Mécaniques et Electriques et le secteur du Textile, Habillement et Cuir) a tiré la croissance globale du PIB vers le bas en liaison avec la fragilité de la conjoncture dans les principaux pays partenaires de la Tunisie, notamment l'Allemagne pour le secteur automobile.

Un investissement en berne

Dans le prolongement des dernières années, le taux d'investissement continue son trend baissier, ressortant à 18,4% en 2018 contre 18,7% en 2017. Aux difficultés de la conjoncture et aux restrictions sur la distribution du crédit, se sont greffés le manque de visibilité politique et la léthargie administrative. En effet, le comportement le plus répandu actuellement c'est l'attentisme. Les entreprises limitent leurs investissements, restreignent leurs stocks, ajustent leurs effectifs et leurs coûts de production.

D'un autre côté, face aux coûts dissuasifs du crédit, les ménages reportent leurs gros achats faisant ainsi ralentir la consommation et par ricochet l'investissement. En 2018, les investissements directs étrangers se sont appréciés de 29% à 2,7 milliards de dinars et ont principalement concerné le secteur énergétique (+12,3%).

Sur les quatre premiers mois de 2019, les flux d'investissement directs étrangers ont atteint 846 MDT, soit une hausse de 16,3% par rapport à la même période de 2018. Selon l'agence de promotion des investissements, la hausse des IDE s'explique par les réformes engagées dans le domaine de l'investissement comme la nouvelle loi sur l'investissement et la progression du pays dans le classement " Doing Business ".

En effet, selon les résultats du dernier rapport " Doing Business " de 2019, la Tunisie a gagné huit places dans le classement mondial passant à la 80ème place et mettant fin à la tendance baissière observée depuis 2012. Les analystes de Tunisie Valeurs pensent que cette amélioration notable ne peut se poursuivre si tous les freins à l'investissement ne sont pas levés et les déverrouillages administratifs lancés.

Une inflation non soutenable

En 2018, le taux d'inflation a atteint un niveau historiquement élevé (7,3% contre 5,3% en 2017). La dynamique de l'inflation globale s'est ressentie de la survenance de multiples chocs d'offre, dont notamment ceux liés aux mesures entérinées par la Loi de Finances de 2018 concernant le relèvement de certains droits et taxes (TVA, Droits de consommation et Droits de douane), qui se sont conjugués aux ajustements à la hausse des prix de l'énergie.

Par ailleurs, la dépréciation plus prononcée du dinar depuis le mois de mai 2018 a contribué à maintenir les tensions sur les prix pour le reste de l'année. L'année 2019 démarre sous le signe de l'apaisement des prix. L'inflation a connu, un fléchissement en juillet 2019 pour reculer à 6,5% Cette tendance est imputable à la décélération des produits alimentaires (+7,5%). Nous commençons également à ressentir les premiers effets de la bonne tenue du dinar qui contient l'impact de l'inflation importée. Les perspectives de l'inflation restent haussières en 2019 (un taux d'inflation prévisionnel moyen de 7% en 2019).

En revanche, la Banque Centrale table sur une détente des pressions sur les prix sur le moyen terme. L'institut d'émission estime que la hausse du taux directeur, en février dernier, de 100 points de base devrait contribuer à contrecarrer les tensions en provenance de la demande de consommation à moyen terme. Cependant, d'autres facteurs inflationnistes pourraient freiner une décélération plus importante de l'inflation sous-jacente, en 2020, tel que les effets de second tour des hausses passées et attendues des prix de l'énergie, des produits alimentaires frais et des prix internationaux des matières premières. La BCT prévoit un taux d'inflation moyen de 6,7% en 2020.

Un secteur extérieur sous pression

Le secteur extérieur a profité au cours de l'année 2018 de la bonne performance du secteur de l'agriculture et des industries agro-alimentaires et celui des services marchands. Toutefois, la persistance des tensions sociales au niveau des sites de distribution des phosphates et la faiblesse de la production des produits énergétiques dont les cours se sont fortement amplifiés sur les marchés internationaux au cours de 2018, ont manifestement affecté l'équilibre de la balance commerciale des industries extractives.

D'un autre côté, la poursuite de l'amélioration de la situation sécuritaire a engendré la consolidation des flux financiers issus de l'activité touristique et de la diaspora tunisienne à l'étranger. Dans ce contexte, la balance commerciale a poursuivi sa détérioration au cours de l'année 2018, dégageant ainsi un déficit qui s'est creusé de 3.457 MDT ou 22,2% pour se situer à 19,1 milliards de dinars. Cet élargissement est dû à la progression des importations à un rythme dépassant celui des exportations (+20% et +19,1% respectivement), entraînant un léger repli du taux de couverture pour revenir à 68,3%. La détérioration du déficit de la balance commerciale s'explique également par le déficit de la balance énergétique qui s'est creusé de 53%, passant de -4 milliards de dinars à -6,2 milliards de dinars.

La balance des paiements courants s'est soldée en 2018 par un déficit de 11,8 milliards de dinars, soit 11,2% du PIB, évolution qui découle, essentiellement, du creusement du déficit commercial. Par ailleurs, l'affermissement des recettes générées par le secteur touristique (+44,6%) et des revenus du travail (+8,4%) ont permis d'apaiser partiellement les tensions infligées au compte courant.

Pour 2019, les perspectives du commerce extérieur ne s'annoncent pas sous de bons auspices. Au terme des quatre premiers mois de l'année, le déficit commercial s'est élevé à 6,3 milliards de dinars, contre 5,1 milliards un an auparavant. Cette détérioration du déficit commercial résulte d'une hausse marquante de la facture des importations, qui a dépassé 22 milliards de dinars, et une évolution moins importante des recettes d'exportation qui ont atteint 15,8 milliards de dinars.

La détérioration des paiements extérieurs continue d'affaiblir le niveau des réserves en devises, qui, malgré la mobilisation de 500 millions d'euros sur le marché financier international, se sont établies à 84 jours d'importations à fin 2018 contre 93 jours à fin 2017. Le niveau des réserves de change a poursuivi sa tendance baissière en 2019 pour ressortir à 75 jours d'importations fin mai.

Après avoir perdu du terrain face aux monnaies principales en 2018 (-19% vis-à-vis du dollar et -13% par rapport à l'euro), le dinar est en train de prendre de la vigueur depuis le début de l'année grâce, notamment à une amélioration conjoncturelle de l'offre sur le marché des changes. En effet, jusqu'à la fin du mois de juin, le dinar s'est apprécié de 4% par rapport au dollar américain et de 4,5% face à l'Euro.

Un déficit budgétaire qui s'allège

Le déficit budgétaire s'est réduit durant l'année 2018, pour se situer au niveau de 5,2 milliards de dinars, contre 5,9 milliards, en 2017. Cette bonne performance trouve son origine dans l'amélioration des ressources propres de l'Etat et la maîtrise des dépenses publiques. Les ressources propres de l'Etat ont atterri à 28 milliards de dinars, soit un accroissement de 17% par rapport à 2017. Cette évolution a été favorisée par une amélioration de la collecte des ressources fiscales (+15,6% à 24,5 milliards de dinars) notamment des impôts indirects (+22% à 15,4 milliards de dinars).

Quant aux ressources non fiscales, elles se sont appréciées de 27% à 3,4 milliards de dinar, profitant notamment d'une augmentation des dividendes provenant de la BCT. Les dépenses publiques sont relativement restées sous contrôle. Leur hausse a été contenue à 10% à 37,7 milliards de dinars, soit la croissance la plus faible enregistrée depuis 2010.

Le principal fait à l'honneur de l'année a été la progression timide de la masse salariale de 3% à 14,8 milliards de dinars. La masse salariale de la fonction publique représente désormais 39% des dépenses totales, contre une proportion de 42% en 2017.

La progression continue du budget et le resserrement de la liquidité bancaire ont favorisé le recours accru à l'endettement aussi bien intérieur qu'extérieur. L'encours de la dette publique s'est accru de 20% pour s'élever à plus de 80 milliards de dinars, dépassant de loin les prévisions du gouvernement (un taux d'endettement de 76,7% contre des estimations initiales de 71,7%). L'essentiel de ce ballonnement provient de l'endettement extérieur : 60,2 milliards dinars contre 21,1 milliards pour la dette intérieure.

Les résultats d'exécution du budget de l'Etat sur le premier trimestre de 2019 sont satisfaisants. Les recettes ont été au rendez-vous (+17% à 8 milliards de dinars) avec un taux de réalisation de 26%. Il faudrait souligner l'effet de l'annulation du crédit d'impôt sur les revenus qui a amélioré d'une manière sensible les recettes afférentes (+45% au niveau des impôts directs à 3,4 milliards de dinars) Les dépenses ont, en revanche, gagné en vigueur avec une croissance de 17,6% à 6,1 milliards de dinars. Avec un déficit de 0,9 milliard de dinars, en baisse de 4% par rapport au T1 2018, l'objectif de 3,9% de déficit budgétaire sur l'année pleine semble atteignable.

Rappelons que le budget de 2019 porte sur une enveloppe globale de 40,9 milliards de dinars, en hausse de 8,5% par rapport à la Loi de Finance complémentaire de 2018. Il table sur une croissance des recettes propres de 9,8% à 37 milliards de dinars.

Ce qui interpelle le plus du côté des dépenses, c'est la maîtrise du budget du fonctionnement qui devrait enregistrer une progression de 6,1% à 25,3 milliards de dinars, et ce tenant compte d'une hausse des rémunérations publiques de 11,5% en raison de l'intégration des crédits d'impôts antérieurement accordés aux fonctionnaires. De surcroît, le montant des fonds alloués à la compensation devrait afficher une augmentation maîtrisée de 4% à 1,3 milliard de dinars du fait d'une hausse attendue des prix des carburants à la pompe.

Un chômage persistant

L'amélioration modeste de l'activité économique en 2018 n'a pas apaisé les insuffisances tant au niveau structurel qu'au niveau fonctionnel du marché du travail en Tunisie. En effet, les mesures qui ont été mises en œuvre afin de résorber le chômage et dynamiser ce marché restent insuffisantes et le taux de chômage demeure au même niveau élevé de 2016 et de 2017 soit 15,5% correspondant à 645 mille chômeurs.

Parallèlement, les disparités entre les régions, le genre et le niveau d'instruction persistent encore, touchant particulièrement les régions de l'intérieur, les femmes (22,9% contre 12,5% pour les hommes) ainsi que les diplômés de l'enseignement supérieur (28,8%). Au terme du premier trimestre de 2019, les statistiques affichent un taux de chômage en baisse de 0,2 point de taux à 15,3%.

Les principaux défis

Les perspectives de croissance à moyen terme de l'économie tunisienne sont pour le moment favorables. Cependant, en 2019, nous pensons que les conditions d'une bonne reprise économique ne sont pas réunies pour les raisons suivantes :

1) Un contexte socio-politique tumultueux, à la veille des deux échéances des présidentielles et des législatives qui cultivent l'attentisme, défavorable pour l'investissement et pour l'avancement dans les réformes.

2) Un contexte international tendu avec des incertitudes liées au prix du pétrole, la montée du protectionnisme, la situation instable dans les pays limitrophes de la Tunisie et le ralentissement économique dans la zone Euro qui génère des difficultés pour les secteurs exportateurs.

3) Une baisse de la production agricole couplée à la fragilité de la reprise actuelle du tourisme.

4) Une situation fragile de l'investissement et une reprise incertaine de la consommation en raison de l'érosion du pouvoir d'achat et du resserrement monétaire.

Quel que soit l'atterrissage de 2019, il semble évident que l'économie tunisienne présente aujourd'hui trois maillons faibles :

  • Un investissement en panne. Le resserrement du crédit et les incertitudes politiques et économiques font que la confiance des investisseurs demeure à un niveau assez faible,
  • Un secteur extérieur sous tension qui souffre de la paralysie du secteur des phosphates, de l'aggravation du déficit énergétique mais qui reflète aussi des problèmes de productivité et de compétitivité de notre tourisme et de notre tissu industriel.
  • Une consommation qui bute sur l'inflation. En effet, la hausse des prix impacte le pouvoir d'achat des ménages. Elle ralentit sensiblement la consommation privée,

La marge de manœuvre du policy-mix ne cesse de se rétrécir jour après jour depuis le " choc " de la Révolution. Une bonne partie de l'inflation échappe au contrôle de la Banque Centrale. Par ailleurs, si la politique budgétaire est devenue centrale dans la stratégie du gouvernement, sa tendance restrictive l'empêche d'agir efficacement sur le cycle économique.

La priorité pour la période future serait de desserrer les marges et d'accélérer le train de réformes de fonds pour se donner le moyen de sauvegarder les secteurs productifs et d'envoyer des signaux forts nécessaires à la relance de l'investissement. La Tunisie regorge de potentialités, elle doit juste libérer son énergie et relancer son économie pour ancrer aux côtés d'une révolution politique, une révolution économique.

Département Etudes & Recherches de Tunisie Valeurs

Publié le 12/09/19 10:45

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