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Dix ans après la Révolution, quel bilan économique pour la Tunisie ?

ISIN : TN0009050014 - Ticker : PX1
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Dix ans après les évènements du 14 janvier 2011, l'économie tunisienne s'est nettement dégradée et le Tunisien s'est ardemment appauvrit. Retour sur le bilan économique des dix dernières années comparées à la décennie précédente.

Moez HADIDANE

TERA Finances

Durant les dix ans post révolution, soit de 2010 à 2020, le PIB de la Tunisie (en termes réel mesuré aux prix constants de l'année 2010) a augmenté de 6,6%, soit au rythme annuel moyen de 0,6%. En excluant l'année 2020, le PIB de la Tunisie s'est accru entre 2010 et 2019 de 16,9% soit à un rythme annuel moyen de 1,8%, contre un accroissement du PIB (aux prix constants de 2010) de 51,2% entre 2000 et 2010, équivalent à un rythme annuel moyen de 4,2%.

Fortement bousculée par la pandémie du COVID-19, l'économie tunisienne devrait clôturer la dixième année post révolution avec une croissance négative de 8,8%.

Le ralentissement du rythme annuel moyen de la croissance économique durant la dernière décennie (hors l'année 2020) reflète une décélération du rythme de croissance au niveau de tous les secteurs de l'économie à l'exception de l'agriculture et de la pêche. Ainsi et hors l'année 2020, la valeur ajoutée du secteur des industries manufacturières n'a été en moyenne que de 0,4% contre 3,5% la décennie précédente. La croissance de ce secteur aurait été négative si ce n'est la branche Industries Agro-alimentaires (+2,1%).

Toutes les autres branches de l'industrie manufacturière ont régressé en rythme annuel moyen : Raffinage de pétrole (-3,2%), industries chimiques (-2,8%), Textile et habillement (-1,1%) et industries diverses (-0,03%).

Le rythme annuel moyen de croissance du secteur des Industries non manufacturières a même viré au rouge, avec une évolution annuelle moyenne de -3,1% contre +2,4% entre 2000 et 2010. La dépression de ce secteur est imputée à la régression (annuelle moyenne) de la branche Extraction de pétrole et gaz naturel de -8,6% et de celle des Mines de -3,4% contre une évolution positive des branches Electricité et gaz (+2,7%), Eau (+3,5%) et Bâtiment et génie civil (+0,4%).

Par ailleurs, les services marchands ont dégagé sur la dernière décennie un net ralentissement avec une croissance annuelle moyenne de 2,4% sur la période 2010-2019 et de 0,7% sur la période 2010-2020 contre 5,7% durant la décennie précédente. Cette décélération est affectée par une croissance annuelle négative de la branche Services d'hôtellerie et de restauration de -0,3% sans tenir compte de l'année 2020 et de -5,1% en incluant l'année 2020. En effet, sur le seul exercice 2020, la valeur ajoutée de cette branche a chuté de -39,2%.

Enfin, la valeur ajoutée du secteur des services non marchands (principalement les services de l'administration) a décéléré durant la période 2010-2019 au niveau de 3,2% contre 5% entre 2000 et 2010.

Inflation

Sur la période 2010-2020, l'inflation a enregistré une moyenne annuelle de 5,3% avec un pic de 7,3% durant l'année 2018, contre une moyenne annuelle de 3,3% durant la décennie précédente et 4,5% durant les années 90.

Une surchauffe des prix a démarré en mars 2016 passant de 3,1% pour atteindre un pic de 7,7% au mois de juin 2018. On évoque généralement comme causes de l'inflation, soit un excès de la demande, soit des augmentations des coûts, soit des facteurs exceptionnels ou temporaires comme le réajustement des prix règlementés ou la majoration des impôts indirects ou encore une mauvaise récolte de vivres, soit enfin des facteurs structurels. Au cours de ces dernières années, tous les ingrédients de l'inflation ont répondu présents.

Inflation par les coûts

Sur deux années glissantes (du 30 mai 2016 au 30 mai 2018) le prix du baril de Brent a augmenté de 56% au niveau de 77,7 dollars. La baisse du dinar durant cette même période de 22,7% face au dollar et de 30,5% face à l'Euro a amplifié le renchérissement du coût de l'énergie et de façon générale de tous les produits finis et semi-finis importés.

La relation symétrique " Parité du dinar-Inflation " a accéléré le rythme de hausse des prix : la dégradation du déficit courant provoquant la chute du dinar a alimenté l'inflation importée. La relation de cause à effet est aussi vraie dans le sens inverse. Une montée de l'inflation fait baisser la valeur du dinar en vertu du concept de la Parité du Pouvoir d'Achat.

La hausse des salaires dans la fonction publique s'est inévitablement transmise au secteur privé. Les syndicats y obtiennent plus d'avantages sans que l'augmentation des salaires dépasse nécessairement l'accroissement de productivité. L'augmentation des salaires nominaux a alimenté l'inflation par les coûts (mais aussi l'inflation par la demande), car elle accroît les coûts de production des entreprises et celles-ci se voient alors contraintes de rehausser leurs prix afin de restaurer leur marge bénéficiaire d'où la boucle " salaires-inflation " établie dans la courbe de Phillips. Taux d'inflation = Taux de croissance des salaires nominaux - Taux de croissance de la productivité.

Inflation par la demande

La hausse rapide de la masse salariale du secteur public a provoqué un excès brusque de la demande des ménages aboutissant à un choc sur les prix des biens et services de consommation.

Malgré un assèchement de leurs liquidités, les banques ont continué à accorder des crédits, principales sources de leur chiffre d'affaires, créant ainsi de la monnaie (effet multiplicateur de crédit) dopant par conséquent la demande. Toutefois une bonne partie de la monnaie centrale échappe au circuit bancaire en raison de l'épanouissement de l'économie informelle et l'accentuation du phénomène de thésaurisation conduisant à un gonflement de l'encours des billets et monnaies en circulation (BMC).

Pour subvenir à leurs besoins, les banques se sont orientées au refinancement de la BCT contre principalement des mises en garantie en BTA. L'encours global de refinancement auprès de la BCT a atteint un record historique de 16,9 milliards de dinars, le 7 mars 2019, contre une moyenne quotidienne sur la décennie 2000-2010 de 0,17 milliard de dinars avec parfois un refinancement de signe négatif durant cette période, c'est-à-dire que les banques étaient prêteuses à la BCT.

Les banques ont continué ainsi à distribuer des crédits, en particulier durant les années 2016 (+9,7%), 2017 (+12,7%) et 2018 (+9,1%) tout en poursuivant leur achat de BTA, supports exigés pour se refinancer auprès de la BCT. Un effet boule de neige qui arrange tout le monde : le Trésor se finance, les banques distribuent des crédits, en particulier, de consommation et les ménages dépensent poussant les prix à la hausse. Ce cercle vertueux pour les uns et vicieux pour d'autres a débouché sur l'explosion de l'inflation à 7,7% en juin 2018. Il a fallu une politique restrictive de la BCT pour arrêter l'hémorragie.

Facteurs structurels

Intermédiation, spéculation et inefficience des circuits de distribution. A cela s'ajoute un effet exagération (ou d'opportunisme) des revendeurs et commerçants (une hausse de la TVA sur les cafés torréfiés de 18 à 19% a provoqué une hausse du prix du café à la consommation de 10 à 20%.

L'orientation restrictive de la politique monétaire de la BCT, surtout depuis l'année 2018, a contribué significativement à l'atténuation récente, du côté demande, du rythme de l'inflation et l'apaisement des tensions sur les marchés monétaires et de change. L'atténuation récente de l'inflation a permis de retrouver des niveaux de taux d'intérêt réel positifs

Compte tenu d'une croissance négative estimée à -8,8% en 2020 et d'une inflation moyenne de 5,6%, le PIB nominal de la Tunisie devrait accoster en 2020 au niveau de 110,7 milliards de dinars contre 114,9 milliards en 2019. Ainsi, pour la première fois depuis l'historique disponible (1974), le PIB nominal (aux prix courants) enregistre une évolution négative.

Balance des paiements

Déficit commercial

Le déficit commercial de la Tunisie s'est largement amplifié durant la dernière décennie atteignant un pic de 19,4 milliards de dinars en 2019. La baisse du dinar face aux principales devises n'a pas profité aux exportations. Au contraire, la faiblesse du dinar a fortement creusé le déficit énergétique qui a atteint 7,75 milliards de dinars en 2019, soit 40% du déficit commercial et 33% en 2020.

Recettes touristiques et revenus du travail exprimés en dollars

2008 reste l'année durant laquelle la Tunisie a enregistré un record historique en termes de recettes touristiques en dollars, alors que l'année 2020, enregistre les recettes les plus faibles de ces vingt dernières années. Pour ce qui est des revenus du travail, c'est l'année 2014 qui détient la palme d'or avec des transferts de la diaspora de 2,34 milliards de dollars.

Sous le fardeau de l'élargissement du déficit commercial, le solde courant de la balance de paiement a enregistré un déficit courant en 2018 de 11,7 milliards de dinars, soit 11,2% du PIB contre respectivement 3 milliards de dinars et 4,8% en 2010.

Parité du dinar

Exprimé en dinars, l'euro s'est apprécié face au dinar durant la décennie 2010-2020 de 73%. De même, cette appréciation a été de 88,1% pour le dollar, 48,4% pour le Yen japonais et 77% pour le Dirham marocain. Symétriquement, exprimé en devises, le dinar s'est déprécié de 42,2% face à l'euro, 46,8% face au dollar, 32,6% face au yen et 43,5% face au Dirham Marocain.

Réserves en devises

Depuis 2009, les réserves en devises, exprimées en dinars, ont enregistré en 2020 un record de 23 milliards de dinars. Toutefois, exprimées en jours d'importation, et compte tenue de la baisse du dinar durant les dix dernières années, le nombre de jours d'importation le plus élevé a été enregistré à fin 2009, soit 186 jours.

Pouvoir d'achat

Le Tunisien a enclenché un processus d'appauvrissement amorcé depuis 2014. Le Revenu National Disponible Brut par habitant en dollars (RNDB) s'est entassé entre 2014 et 2020 de plus de 1.000 dollars par an passant de 4.400 dollars à 3.300 dollars.

Finances publiques

Le budget de l'Etat est passé de 27,3 milliards de dinars en 2014 à 49,7 milliards en 2020, soit quasiment une multiplication par deux. Idem pour la masse salariale de la fonction publique qui passe de 10,5 milliards de dinars en 2014 (13% du PIB) à 19 milliards en 2020 (17% du PIB).

Le déficit budgétaire, passe d'une moyenne annuelle de 2,54% du PIB sur la période 2000-2010 à 5,12% sur la période 2011-2019. En 2020, il touchera un record de 10,4% sous l'impact des retombées de la COVID-19.

Après avoir baissé d'un tiers entre 2000 et 2010, le poids de la dette publique dans le PIB a été multiplié par deux entre 2010 et 2020 pour avoisiner les 80%. Même constat pour la pression fiscale, après avoir baissé de 21,3% à 20,1% entre 2000 et 2010, elle remonte à plus de 25,3% en 2019.

Emploi

Publié le 15/01/21 19:06

1 commentaire sur cet article. Participez à la discussion.
ANALYSE


16/01/21 11:40
TRES BONNE ANALYSE

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