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Bâtiment et Travaux Publics : Le secteur tousse, la Fédération s’inquiète

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On s'était vite rendu compte de notre impuissance face aux intempéries et à la colère déchaînée de mère nature. Un malheureux constat émanant de photos des routes brisées sous la force d'une première pluie d'hiver véhiculées sur les réseaux sociaux. Cela n'a de secret pour personne, nos infrastructures routières sont constamment sous l'épée tranchante de Damoclès. Et ce n'est pas Jamel Ksibi, Président de la Fédération nationale des entrepreneurs du BTP (Bâtiment et travaux publics), qui en dira le contraire. Il revient sur les dilemmes et les obstacles auxquels ce secteur est confronté. L'Etat a-t-il un rôle à jouer dans cette tragédie ? Saura-t-on manifester les compétences et les moyens nécessaires pour améliorer notre réseau routier ? Des questions auxquelles le président de la Fédération des entrepreneurs du BTP a essayé de répondre. Entretien.

Le secteur du BTP devrait représenter 14% du PIB de la Tunisie. Dans certains pays en pleine croissance, le secteur du BTP représente 22% du PIB, comme en Egypte. Les chiffres en Tunisie sont loin du compte. " En 2010, l'investissement public dans l'infrastructure était de 6 milliards de dinars alors qu'aujourd'hui on est à 7 milliards sachant qu'entre temps le dinar a creusé les fonds. Constat : l'Etat n'a pas fait le choix d'investir dans l'infrastructure ", s'indigne Jamel Ksibi. 

Le président de la fédération n'a pas omis de préciser qu'en Tunisie, les problèmes d'inondations génèrent des pertes directes colossales de quelques dizaines de millions de dinars par an. Plus encore, quand tous les travailleurs ont manqué leur travail, à cause de la pluie, une perte supplémentaire estimée à plusieurs centaines de millions de dinars est constatée. " L'Etat devrait considérer l'infrastructure comme un investissement et non un endettement ", a-t-il appelé

La faute à l'Administration

A ses dires, plusieurs bailleurs de fonds internationaux ont mobilisé des milliards d'euros au profit de la Tunisie ces dernières années dont une grande partie est destinée à l'infrastructure. Mais ces fonds restent oisifs en attendant l'approbation par les ministères. " Nous avons du soutien de la part des bailleurs internationaux qui veulent investir dans notre infrastructure, à des taux préférentiels, mais on se retrouve confronté à des problèmes administratifs et formalistes ", s'indigne l'entrepreneur.

Il va sans dire qu'en période de relance, les investissements de l'Etat sont de mise, et chaque sou devrait aller bien là où il faut. Mais l'Administration, affaiblie, a du mal à engager ces dépenses. L'entrepreneur préconise de remettre l'Administration sur les rails pour qu'elle puisse digérer cette crise et investir dans l'infrastructure. Ou de charger des banques d'affaires tunisiennes ou des bureaux d'études pour exécuter ces projets, comme le font plusieurs pays. Selon lui, ces prestations ne coûtent pas cher et leur impact est très important. " Il faut uniquement choisir les meilleurs cabinets ".

Numérisez… On est au 21e siècle 

Bien que les achats effectués par contrat par les ministères et administrations soient désormais numérisés, grâce à une plateforme nommée Tuneps, on note encore une grande résistance à la numérisation des achats par bon de commande. " La plateforme est prête, plusieurs opérateurs y ont adhéré, mais l'essentiel ne passe pas par cette plateforme ", ajoute l'entrepreneur du BTP. Et ceci représente une perte estimée à plus de 20% par an pour l'Etat, soit plus de 1,4 milliard de dinars par an.

Selon lui, le port de Rades fait perdre à l'économie tunisienne 1,3 milliard de dinars payé en devises chaque année. Ceci représente la moitié des rentrés en devise du tourisme. Mais encore avec les retards engendrés, les ruptures de stocks et les pertes de temps, la facture est d'autant plus salée pour le citoyen. " C'est cet argent-là qui doit être destiné à l'infrastructure pour que le pays soit bien équipé ", explique Jamel Ksibi.

De plus, l'administration doit tabler sur la numérisation des plateformes d'information. " S'il y a un problème concernant un terrain inondable ou si l'on veut connaitre la capacité de la STEG ou encore les capacités d'évacuation de l'ONAS, en un clic, on peut mettre le doigt sur le problème. C'est le passage au big data de l'infrastructure et c'est facile de le faire puisque les logiciels sont à disposition ", assène l'entrepreneur.

Sur un autre volet, les prestataires de services d'entretien aux organismes publics ne sont pas payés. " L'Etat a fait un choix malheureux, celui de ne pas payer les entreprises tunisiennes qui entretiennent les infrastructures et par conséquent il y a eu un retour des entreprises étrangères. L'Etat a porté préjudice aux entrepreneurs du secteur ", explique M. Ksibi. 

Avant 2010, on était à 7% d'entreprises étrangères. En 2012, elles ont baissé à 3% et deux ans après elles s'envolent à 33%. Le président de la fédération des entrepreneurs du BTP explique cette tendance par la mauvaise gestion des projets par les responsables. " L'administration ne sait plus négocier. Ses responsables acceptent de n'importe quoi dans les cahiers de charge préparés avec les bailleurs de fonds, et ils excluent les sociétés tunisiennes ", a-t-il ajouté. 

Le logement… Un lourd manque à gagner

Chaque année, le fonds FOPROLOS encaisse entre 100 et 140 millions de dinars qui ne servent qu'à alimenter les caisses de l'Etat au lieu de l'exploiter au profit du secteur du BTP. " Au lieu d'en faire un levier et de les multiplier en prêts aux gens éligibles par le programme du FOPROLOS, ces sommes vont au budget de l'Etat ", regrette Jamel Ksibi. A ses dires, chaque année entre 1.000 et 2.000 logements sociaux sont bâtis alors qu'ils devraient être par dizaines de milliers.

Sur le volet logement, une autre opportunité pour faire fonctionner le pays pointe. C'est d'encourager le logement de luxe. Ce dernier sera destiné aux cadres Tunisiens à l'étranger et aux investisseurs étrangers. " Des pays comme le Portugal, l'Egypte, l'Espagne ou la Turquie ont suivi cette stratégie pour sortir de la crise, ils ont favorisé l'acquisition de logement de haute valeur par leurs ressortissants et investisseurs étrangers ".

Puis, il est question d'attirer des gens qui vont habiter le pays, qui ont les moyens, et vont consommer tunisien et investir dans le pays " Pour encourager les étrangers à acquérir des logements, certains pays donnent la nationalité. Chose qui frôle l'impossible en Tunisie ", précise M. Ksibi. Il a par ailleurs indiqué qu'ouvrir le pays aux étrangers est une solution envisageable. " Avec la position géographique de la Tunisie et sa proximité avec l'Europe, des milliers d'Européens, Maghrébins et du Moyen-Orient, viendront pour leur retraite ".

Nous sommes tous responsables

Il serait temps de se rendre compte que l'Etat n'est pas tout le temps responsable. Une mauvaise gouvernance de l'Etat est aussi une mauvaise gouvernance citoyenne. " On n'a pas fait les plans d'aménagement qu'il faut, on n'a pas eu la vision qu'il faut et tout le monde participe à cette faute et nous récoltons tous les fruits de cette négligence "

Et d'ajouter qu'avec une Administration faible et des gouvernements qui ne sont pas stables et sans visionnaires, on n'a pas su tacler les vrais problèmes. Selon Jamel Ksibi, bien entendu, il n'y a pas eu des exécutifs qui ont créé la synergie entre les différents organes d'Etat. Résultat des courses, de plus en plus de PME qui mettent la clé sous la porte et qui licencient leurs employés. " Il y'a des entreprises qui ont décidé de ne plus participer aux appels d'offres publics. Il y'a des entrepreneurs qui se suicident pour cause de chèques impayés. D'autres sont en prison … ", s'indigne le président de la fédération du BTP.

Par où commencer ? 

L'urgence et la nécessité font obligation. Selon l'entrepreneur, pas question de laisser les entrepreneurs du BTP faire faillite. " Il faut rendre les administrations plus compétentes, en publiant rapidement la loi sur la haute fonction publique et en même temps en faisant appel à des bureaux d'études privés et des banques d'affaires sur ces projets pour relancer le secteur ", soutien Jamel Ksibi.

Selon notre interlocuteur, lorsque l'État est bien géré, pour ses hauts fonctionnaires en premier lieu, aucune somme ne pourra être dilapidée d'une manière ou d'une autre. Jamel Ksibi signe et persiste, c'est la bonne gouvernance et la prise de conscience de la responsabilité individuelle qui manquent vraiment. Un pays où chacun est responsable.

" Le rôle de l'investisseur est de porter un savoir-faire technique et commercial et non de résoudre les problèmes administratifs. C'est la culture de l'administration de contrôle qui prend le dessus, pénalisant le climat des affaires, déjà assez affaibli, alors que l'Administration devrait se concentrer sur comment capitaliser sur ses compétences et ses atouts ", conclut M. Ksibi.

Azyz MEDDEB

Publié le 04/12/19 09:56

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