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Anis WAHABI évalue les dispositions fiscales de la Loi de Finances 2023

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Par Anis WAHABI, Expert-Comptable

24 lois de finances, plus de 900 mesures fiscales depuis 2011 et une refonte fiscale entamée en 2014 jamais aboutie. C'est dire que nous sommes adeptes de l'acte de légiférer, mais peu penchés sur l'évaluation de ce qu'on fait.

Le présent travail constitue une tentative d'appréciation des mesures prises à travers la loi de finances 2023, afin de solliciter les pouvoirs publics à adopter une approche d'évaluation des politiques publiques dans le domaine fiscal et d'analyser l'impact de la règlementation qui s'y attache.

S'agissant d'un essai non normalisé, la méthodologie adoptée est inspirée du référentiel de l'OCDE d'évaluation de projets. Cette méthodologie se base sur l'analyse de la cohérence, la pertinence, l'efficacité, l'efficience, et la durabilité des dispositions fiscales.

Plus précisément, il s'agit d'abord de la vérification de la pertinence et la cohérence des objectifs de départ. Ensuite, l'appréciation de la mise en œuvre des moyens ainsi que leur adéquation aux objectifs, la mesure de l'efficacité de l'action et le degré d'atteinte des objectifs. Enfin, l'examen de la durabilité des effets observés.

Outre l'analyse des mesures prévues par la loi de finances de 2023 (LF2023), un questionnaire a été adressé à la profession comptable pour sonder son appréciation par rapport auxdites mesures. En total, 107 réponses ont été collectées, dont 62% d'experts comptables, 10% de comptables agréés et 10% de comptables d'entreprises. Ce questionnaire a été adressé aux professionnels par e-mail et via les réseaux sociaux et s'est basé sur une participation volontaire.

En l'absence de stratification normalisée, les résultats du sondage ne peuvent pas être considérés comme reflétant l'avis de la profession comptable et peuvent uniquement donner une idée sur sa perception.

Il est à rappeler que la LF2023 a été préparé dans un contexte caractérisé par des contraintes spécifiques. Le contexte économique est toujours sous l'emprise des répercussions de la crise sanitaire ce qui affecte à la fois les finances publiques et le secteur privé.

Aussi, la Tunisie se trouve depuis plus d'un an dans la quête de la conclusion d'un accord avec le FMI pour faire face aux déséquilibres structurel des finances publiques. Il serait donc opportun d'évaluer la cohérence des mesures apportées par la LF2023 avec l'accord du FMI, le soutien de l'économie et la restauration des équilibres budgétaires.

Des objectifs de départ partiellement cohérents

Selon le document de présentation de la loi de finances publié par le ministère des Finances, la LF2023 est basée, entre autres hypothèses, sur la conclusion d'un accord avec le FMI. Les diverses déclarations des membres du gouvernement nous laissent comprendre qu'il ne s'agit pas d'une simple hypothèse mais d'une condition sine quoi non pour garantir les équilibres budgétaires de l'année. Il est donc important de vérifier la concordance entre les objectifs annoncés par la loi et ceux annoncés par le FMI.

Le rapprochement entre les deux listes d'objectifs nous permis de remarquer que la convergence est partielle. Les objectifs convergents sont ceux relatifs à l'équité fiscale, la promotion du secteur privé, d'augmentation de la croissance inclusive et d'investissement dans l'énergie renouvelable, ainsi que la rationalisation des mesures d'incitation à l'investissement.

Par ailleurs, les points de divergences portent sur la réforme des entreprises publiques, les réformes structurelles visant à stimuler la concurrence et à créer un environnement transparent et équitable pour les investisseurs, ainsi que la simplification des mesures d'incitation à l'investissement. Aussi, nous ne trouvons pas, dans la LF2023 de traces sur certaines " exigences " du FMI concernant l'élimination des monopoles et la suppression des obstacles réglementaires.

Toutefois, il semble que certains objectifs ont été perdus d'une année à l'autre, notamment en ce qui concerne la stabilisation de l'économie face aux fragilités socioéconomique causées par la crise de la COVID-19.

Le manque de cohérence peut être expliqué par la tendance constatée depuis quelques années d'adopter une logique de préparation des lois de finances sur la base des mesures et non pas en prenant comme point de départ des objectifs claires et cohérents. On peut aussi avancer dans ce sens, l'inexistence d'un modèle de développement à même d'assurer la cohérence d'ensemble des politiques publiques.

Des objectifs peu stables dans le temps

Dans un contexte stable, la continuité dans les politiques publiques suppose une certaine cohérence dans les objectifs sous-jacents des lois de finances consécutives. Toutefois, plusieurs mesures annoncées par la LF2022 ont manqué dans la LF2023. C'est le cas des points portant sur la conservation du pouvoir d'achat, l'amélioration du climat des affaires, le rétablissement de la confiance des partenaires de la Tunisie afin d'attirer les investisseurs étrangers et l'amélioration de la gouvernance du secteur public.

De nouveaux objectifs prennent leur place dans le document de la loi de finances tels que celui qui concerne la rationalisation des avantages fiscaux, celui qui porte sur l'harmonisation de la législation fiscale avec les normes internationales ou celui concernant la conservation des richesses naturelles.

La continuité est assurée, d'un autre coté en ce qui concerne le soutient des interventions de l'Etat à caractère social au profit des classes sociales fragiles, le soutien des énergies renouvelables, la digitalisation, la lutte contre l'évasion fiscale et l'intégration de l'économie parallèle.

Des agrégats budgétaires peu cohérents avec les objectifs annoncés

L'Etat a connu depuis 2012 des dérives budgétaires ayant abouti à des déficits importants. En 2020, le déficit budgétaire s'est élevé 11.615 MDT, soit 9,7% du PIB. En 2021 et 2022, le déficit budgétaire représentait par rapport au PIB respectivement 7,6% et 6,8%.

Pour faire face à ces dérives et afin de rétablir la soutenabilité des finances publiques et de la dette, des tentatives d'austérité sont introduites dans la LF2023 pour réduire les dépenses de compensation (-1.959 MDT de diminution des subventions énergétiques et -1.248 MDT de diminution des compensation des produits alimentaires de base). Aussi, l'effort de maitrise des dépenses permet de maintenir la part de la rémunération publique à 14% du PIB, malgré une augmentation de 4,3% par rapport à 2022.

D'un autre côté, le gouvernement n'arrive pas à maîtriser la dette publique qui risque de devenir insoutenable, avec un besoin net d'endettement de 24.392 MDT en 2023, le taux d'endettement de l'Etat va atteindre 76,71% du PIB. Aussi, le déficit budgétaire accru et le recours au financement monétaire de l'Etat contribue à la prolifération de l'inflation qui serait supérieure à 10,5% en 2023.

Le comble dans ce domaine concerne l'hypothèse de croissance, arrêtée à 1,8% malgré toutes les annonces œuvrent pour une croissance économique globale et pérenne.

Une Loi de Finances globalement contestée

Les répondants à l'enquête se déclarent insatisfaits de la LF2023 d'une manière générale à 98% et 62% d'entre eux considèrent que la LF2023 complique davantage le système fiscal ; les autres considèrent que cette loi de finances à maintenu le même degré de complexité de la législation. Aucun répondant ne voit pas de simplification apportée par la nouvelle loi.

Dans un autre registre, les participants aux questionnaires ont été amenés à apprécier le degré de sincérité et de transparence de la LF2023 et ce, sur la base de l'article 8 de la loi organique des finances qui dispose que " Les prévisions et les données relatives à la loi de finances doivent respecter les principes de la sincérité et de la transparence ".

En ce qui concerne le principe de la sincérité qui " exige de ne pas sous-estimer ou surestimer les prévisions des charges et des recettes prévues par la loi des finances et de faire apparaître les éléments des actifs financiers et du patrimoine de l'Etat ", seulement 5% des répondants se déclarent satisfaits.

Quant au principe de la transparence qui " exige de clarifier le rôle des différentes structures de l'Etat, de fournir les informations sur le budget de l'Etat suivant les méthodes et procédures utilisées ainsi que des rapports sur l'exécution du budget de l'Etat et sur la performance et de les publier dans les délais ", 2% seulement des participants sont satisfaits.

Figure 1- Appréciation de la sincérité et de la transparence de la LF2023

 

Des mesures fiscales plus ou moins cohérentes avec les objectifs annoncés

La LF2023 contient 62 mesures en total. Nous attendons en toute évidence que toutes ces mesures répondent d'une manière directe aux objectifs recherchés par la règlementation et annoncés dans les documents publiés par le gouvernement. Il est aussi possible que certaines mesures servent certains objectifs mais se trouvent en contradiction avec d'autres ; d'où l'importance de la priorisation des objectifs et de l'ingénierie des politiques publiques.

Le rapprochement de l'impact attendu de ces mesures par rapport aux objectifs annoncés par le document de la loi de finances nous révèle une certaine carence dans la corrélation entre les objectifs et les mesures. En effet, 11 mesures prévues dans la LF2023 ne servent aucun des objectifs annoncés et portent sur d'autres objectifs liés aux aspects administratifs et procéduraux qui auraient dû faire l'objet des textes spéciaux, dans le cadre de la réforme administrative et comptable de l'Etat.

D'ailleurs, on ose se demander sur la place d'une mesure comme celle relative à l'aménagement de la procédure de départ à la retraite dans une loi de finances, hormis l'impact indirect attendu sur les dépenses de rémunération publique.

Par ailleurs, notre analyse révèle l'existence de plusieurs mesures qui viennent s'opposer aux objectifs annoncés. Le détail des mesures par objectif se présente comme suit :

Objectifs annoncés

Nombres de mesures répondant aux objectifs

Nombres de mesures contradictoire avec les objectifs

Soutenir les interventions de l'Etat à caractère social au profit des classes sociales fragiles

8

2

Soutenir les entreprises économiques, appuyer l'investissement et la digitalisation

11

11

Poursuivre la réforme fiscale et la rationalisation des avantages fiscaux

1

2

Soutenir l'utilisation des énergies renouvelables et la conservation des richesses naturelles

4

-

Soutenir la conformité fiscale, l'intégration de l'économie parallèle et lutter contre l'évasion fiscale

19

5

Collecter des ressources supplémentaires au profit de l'Etat

12

1

Harmoniser la législation fiscale avec les normes internationales

1

-

 

Les résultats d'analyse de la cohérence des mesures que nous avons réalisée est confirmée par la profession comptable dont la perception générale par rapport à ce point est négative. Les mesures qui concernent le soutien des entreprises sont les marquantes.

Figure 2- Perception de la cohérence des mesures aux objectifs annoncés

 

Mesures fiscales jugées peu efficaces pour améliorer le climat des affaires et assurer l'équité fiscale

Les mesures fiscales qui viennent contribuer à l'amélioration du climat des affaires portent sur l'extension du champ d'intervention des fonds de délimitation foncière et de création artistique, le relèvement du plafond du FONAPRAM, la réévaluation des actifs, le raccourcissement des délais de restitution de la TVA, le soutien de l'économie verte et le maintien des avantages en vas de transfert de projets d'intérêt national. Ces mesures sont jugées insuffisantes face aux besoins incessants d'améliorer le climat des affaires et l'urgence de booster l'investissement.

Plusieurs autres mesures sont jugées défavorables au climat d'investissement. Il s'agit notamment de l'augmentation importante (de 1% à 3%) du taux de la Cotisation Sociale Solidaire qui est, de surcroit, rétroactive. Aussi, nous pouvons citer les mesures relatives à l'Impôt sur la Fortune Immobilière, le rétrécissement du régime d'autoentrepreneurs, le service payant au titre de la suspension de la TVA qui sert principalement les entreprises industrielles exportatrices, l'instauration d'un droit sur l'exportation de sable et de marbre et ‘last but not least' l'alourdissement des pénalités de retard.

En ce qui concerne l'équité fiscale et la lutte contre l'évasion fiscale, certaines mesures sont saluées, telles que l'augmentation du minimum d'impôt pour les forfaitaires, la limitation des paiements en espèce et la rationalisation des avantages accordés au titre de recrutement d'étrangers, d'importation de moyens de transports lors du retour définitif et l'imposition du quitus fiscal pour le renouvellement de carte de séjour.

La mesure portant sur l'harmonisation du taux d'Impôt sur les Sociétés nous pousse à poser la question sur le revirement de la politique d'incitation fiscale concernant certains secteurs comme la formation professionnelle, les cliniques et les foyers privés.

Pour améliorer le climat des affaires, la profession comptable proposent des mesures telles que le renforcement de la digitalisation, l'instauration du régime d'exigibilité de la TVA à l'encaissement, le rapprochement de la fiscalité des personnes physiques avec la fiscalité des personnes morales et le rapprochement entre la base comptable et la base fiscale d'imposition.

Des mesures peu claires

Certaines mesures apportées par la LF2023 sont jugées ambiguës et risquent de poser des problèmes d'interprétation et d'application. Ceci concerne :

  • L'impôt sur la fortune immobilière : Quelles sont les règles d'évaluation ? Quelles sont les procédures de contrôle ?
  • Enregistrement obligatoire des procurations : le champ d'application étendu du texte de la loi peut il être rétrécit par une note commune ?
  • Avance d'impôt pour les grossistes de boissons alcoolisées : Une avance d'impôt remplace-t-elle la procédure de contrôle fiscal ? Le taux de 5% n'est-il pas excessif par rapport à la marge ?
  • Droit sur l'exportation de sable : le prix du sable reste-t-il compétitif sur le marché international ?
  • Majoration du taux de l'avance d'impôt à l'importation selon une classification des contribuables : Quelles sont les critères de classification ? Quelles sont les mesures de protection et de recours dont dispose le contribuable ?

Des mesures peu durables dans le temps

La question d'applicabilité des mesures fiscales n'est pas récente. Des lois de finances antérieures ont apporté des mesures qui n'ont pas été appliquées ou dont l'application était limitée. Nous pouvons citer à ce titre la mesure relatives à la l'utilisation des caisses enregistreuses et la mesure relative aux factures électroniques bloquées depuis 2016, ainsi que la mesure relative à la plateforme de retenue la source instaurée depuis plus d'un an mais non encore activée.

La LF2023 apporte son lot de mesures dont l'application poserait des difficultés pratiques telles que la mesure portant instauration de l'Impôt sur la Fortune Immobilière, dont l'expérience comparée a démontré la difficulté et le faible rendement, en plus des difficultés factuelles d'une application équitable.

Aussi, droit à l'exportation du sable poserait des difficultés quant à la compétitivité des prix sur le marché international et la nécessité de mettre en œuvre d'autres mesures d'accompagnement de l'industrie tunisienne pour la valorisation des richesses naturelles nationales.

Recommandations pour une politique fiscale pertinente, cohérente et efficace

Le présent exercice d'évaluation de la LF2023, limité qu'il soit-il, nous guide sur certaines possibilités d'amélioration du dispositif législatif en matière fiscale.

Tout d'abord, il est important d'adopter une approche normalisée d'évaluation de l'impact de la réglementation, qui englobe un travail de rapprochement des mesures adoptées aux objectifs recherchés ainsi qu'une évaluation du degré d'atteinte des indicateurs chiffrés sous-entendant les politiques adoptées.

Il serait aussi question d'améliorer la politique de communication et l'approche participative, garant d'une adhésion des différentes parties prenante. D'ailleurs, la profession comptable considère à 79% des répondants que la participation dans la conception des politiques publiques et la préparation des lois de finances est insuffisante à cause de l'absence d'une approche participative de la part de l'administration.

Rappelons ici que l'expérience vécue ces dernières années démontre que l'approche de légifération basée sur les mesures accusent des limites substantielles par rapport à la cohérences des politiques publiques. Il est essentiel de travailler sur l'élaboration d'un modèle cohérent de développement qui sous-entend la politique budgétaire du pays.

Enfin, il est important de repositionner les volets économiques (croissance économique, climat des affaires, employabilité) au cœur de la politique fiscale de l'Etat et diversifier les outils de la politique publique en fonction d'une étude d'impact bien élaborée.

 

Publié le 16/03/23 20:13

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