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On s'attend à les voir poindre à tout instant à l'horizon, mais ils n'y surgissent pas ou très peu. Lors de la première vague de contamination par le coronavirus, les autorités tunisiennes avaient annoncé à maintes reprises, et même avec insistance, des programmes d'acquisition de quantités considérables de tests rapides qui allaient être utilisées dans le cadre de vastes campagnes de dépistage contre ce virus. Sauf que, selon notre enquête, le marché d'acquisition de ces tests reste entouré de flou et d'incertitudes, d'autant plus que les quantités acquises montreraient des problèmes de fiabilité. En effet, il aura fallu plus de quatre mois pour mettre en œuvre ces nouveaux équipements acquis pourtant pour faire face à la première vague.
Le 19 avril 2020, alors que la Tunisie était en pleine lutte contre la première vague de contamination par le coronavirus et les retombées de la crise économique provoquée, l'ancien chef du gouvernement Elyes Fakhfakh avait annoncé, lors d'une interview télévisée, que 200 mille tests rapides de dépistage seront disponibles à partir du 20 avril dernier.
Avant lui, c'étaient l'ancien ministre de la Santé, Abdelatif Mekki, et l'actuel directeur de l'Institut Pasteur de Tunis, Hechmi Louzir, qui ont également annoncé l'acquisition de quantités importantes de tests rapides dans le cadre d'une campagne de dépistage massif. M. Louzir, avait même annoncé que jusqu'à 500 mille personnes seront dépistées dans l'objectif de déterminer la réaction immunitaire de la population tunisienne contre ce virus. L'ancien ministre de la Santé avait aussi annoncé sur sa page Facebook, le 29 mars dernier, le démarrage de l'acquisition de 500 mille kits de tests rapides contre le coronavirus.
Toutes ces annonces allaient dans le sens d'une grande campagne de dépistage contre le coronavirus à l'aide de ces tests rapides, pourtant non recommandés par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) au vu des taux d'erreur et d'imprécision jugés élevés. Ils ne pourront donc remplacer, en aucun cas, les tests références de type RT-PCR auxquels recourent actuellement le ministère de la Santé dans ses campagnes de dépistage. Pourtant, cette campagne n'a pas eu lieu. Selon nos informations, une quantité très réduite de tests de ce genre a été utilisée dans les hôpitaux et laboratoires publics, provenant notamment de dons sud-coréens.
N'empêche que la Tunisie s'est engagée dans une opération d'importation de ces kits de tests rapides, notamment à l'issue d'une consultation internationale lancée le 28 mars dernier par la Pharmacie Centrale pour la livraison de 400.000 de ces tests, soit 200.000 pour la détection d'antigènes et 200.000 pour les anticorps. L'offre a été clôturée le 31 mars dernier pour "livraison immédiate" mais, aujourd'hui, on ne sait absolument rien sur le sort de cette consultation.
La PCT a également lancé le 1er mai dernier, un autre appel d'offres international, clôturé quinze jours après, pour acquérir deux lots de tests rapides de dépistage de coronavirus. Le premier, concerne les tests rapides pour la détection de l'Antigène par immunochromatographie dans les prélèvements naso et oropharyngés et dans les crachats, plus le dispositif de prélèvement. Tandis que le deuxième porte sur les tests rapides permettant de détecter séparément les anticorps IgM et IgG par immunochromatographie dans le sang total, sang capillaire, sérum et plasma, en plus des dispositifs de prélèvement.
Silence radio !
Rares sont les informations disponibles sur ces consultations et cet appel d'offres internationaux lancés dans l'objectif d'acquérir ces équipements médicaux, d'autant plus que la PCT a refusé de divulguer l'identité des sociétés ou laboratoires internationaux ayant remporté cet appel d'offres. En effet, le sort de ces appels d'offres reste jusque-là inconnu et non dévoilé par la Pharmacie Centrale ni par le ministère de la Santé ou la commission scientifique de lutte contre la pandémie du coronavirus.
Nous avons donc décidé de contacter à l'Observatoire national des achats publics - sur son site aucune trace n'existe sur cet appel d'offres - mais malgré nos demandes insistantes aucune information ne nous a été présentée à cet effet. Mais une source auprès de la PCT nous a indiqué qu'il s'agit d'une société française qui a remporté cet appel d'offres clôturé en mars dernier, sans donner plus de détails. En effet, la Tunisie a seulement réceptionné en avril dernier le lot de 200 mille kits de tests rapides antigéniques.
Nous apprenons aussi que les hôpitaux tunisiens n'ont reçu, jusque-là, que de faibles quantités de tests rapides dans le cadre d'une stratégie nationale de lutte contre la pandémie et de dépistage massif. En effet, jusqu'au mois de septembre dernier, moins de dix hôpitaux ont été équipés d'un nombre très réduit de ces tests. Seulement, deux campagnes de dépistage massif à l'aide de ces tests antigéniques ont été effectuées, l'une à Djerba en juin dernier et l'autre dans des quartiers du Grand-Tunis, en mai dernier. Selon nos informations, cette campagne effectuée, notamment dans les quartiers populaires de la Manouba, avait connu des problèmes techniques de manipulation des dispositifs médicaux.
Sous couvert d'anonymat, le chef de service d'un hôpital dans le Grand-Tunis nous informe, dans ce sens, que sa structure hospitalière a procédé à l'élaboration de moins de 100 tests rapides depuis avril dernier, mais leur fiabilité n'a pas été confirmée. " Nous n'avons reçu que très peu de quantités de ces équipements dont l'utilisation n'a pas montré une efficacité. Nous étions toujours dans l'obligation de combiner par les résultats des tests RT-PCR ", explique-t-il.
Où en est-on avec cet appel d'offres lancé pour acquérir 400 mille tests rapides de dépistage du coronavirus ? Quel sort pour ces quantités d'équipements médicaux qui n'ont pas, même à l'échelle internationale, montré une fiabilité pour détecter la contamination par ce virus ? La Tunisie n'a-t-elle pas bien géré ces marchés ?
200 mille kits disponibles
Au vu du silence radio qui marque cette affaire et le refus de la PCT de divulguer des informations relatives à cette acquisition, nous avons contacté Khalil Ammous, ancien PDG de la pharmacie centrale, à l'heure où l'appel d'offres avait été lancé, qui nous a confirmé qu'une quantité de 200 mille tests rapides a été bel et bien importée dans les règles de l'art et est actuellement stockée auprès de la direction générale des soins de santé de base auprès du ministère de la Santé. " Seulement 20 mille kits ont été utilisés notamment à Djerba, il en reste 180 mille kits, mais j'ignore les raisons pour lesquelles ces équipements n'ont pas été utilisés jusque-là ", a-t-il affirmé, refusant aussi de dévoiler l'identité de la ou les sociétés ayant remporté cet appel d'offres, ajoutant que tout a été fait en collaboration avec la commission scientifique de lutte contre la pandémie.
Mais dernièrement, c'est le chef du gouvernement, Hichem Mechichi, qui a annoncé l'entrée en utilisation de ces équipements dans le cadre d'une campagne de dépistage massif contre le virus, en vue de mieux gérer la situation et d'atténuer la pression sur les tests PCR, plus coûteux. Pourquoi a-t-on alors mis autant de temps pour utiliser ces tests déjà disponibles en Tunisie ?
Pour le directeur de l'Institut Pasteur de Tunis, Hechmi Louzir, le retard accusé au niveau de l'introduction de ces tests est dû aux évaluations de leur fiabilité, mais aussi au fait que la Tunisie s'est lancée durant cette dernière période dans une stratégie de dépistage à l'aide des tests PCR. Commentant leur degré de fiabilité, M. Louzir a reconnu que ces équipements ne jouissent pas d'une fiabilité optimale.
Ces tests rapides, explique-t-il, servent pour la détection des antigènes du virus, qui permettent de " détecter le virus ", ou les anticorps spécifiques contre le virus comme réponse immunitaire. " En fait, les tests rapides pour la détection d'antigènes n'ont pas une sensibilité de 100%. Parfois, ils peuvent ne pas détecter un cas positif. C'est pour cela qu'on a préféré dans un premier temps utiliser la technique de référence (PCR) pour être rigoureux. C'est vrai aussi que pour les porteurs asymptomatiques du virus, la sensibilité des tests rapides est moins bonne, car la charge virale est plus faible ", a-t-il ajouté.
Même son de cloche chez Tarek Ben Naceur, directeur de la Santé à Tunis, qui explique que ces tests seront seulement utiles au niveau de la détection de la maladie chez les personnes symptomatiques et dans le cadre des campagnes de dépistage massif. Sauf que selon ses explications, les tests négatifs des personnes symptomatiques seront vérifiés par des RT-PCT pour éviter les faux négatifs.
Cette information nous a été également confirmée par Dr. Habib Ghedira, membre de la commission scientifique de lutte contre le coronavirus, qui nous a expliqué que ces tests seront utiles seulement pour les cas à forte charge virale.
Risques de fiabilité !
Pourquoi recourir à ces tests alors qu'en Tunisie 85% des personnes porteuses du virus sont asymptomatiques, selon les données de la commission de lutte contre le coronavirus ? Selon un document réalisé par l'Instance nationale de l'Evaluation et de l'Accréditation en Santé adressé au ministère de la Santé sous sa demande, de nombreux tests de diagnostic rapide du coronavirus ont une faible sensibilité surtout dans les 7 à 10 premiers jours de la maladie.
Le document met en garde aussi contre le fait que plusieurs tests de ce genre sont falsifiés ou ils comportent des dossiers techniques incomplets voire même frauduleux qui ont été signalés dans plusieurs autres pays. " Certains tests sont déclarés et vendus comme des autotests sans respect de la réglementation spécifique aux autotests qui est plus sévère que la catégorie ordinaire à usage professionnel. La problématique de l'abandon des gestes barrières de la part de personnes se considérant faussement protégées ayant eu recours par exemple à des TDR non validés scientifiquement pourrait représenter un risque collectif majeur ", a-t-on même averti.
Ce groupe d'experts ayant élaboré ce document auquel nous avons eu accès, recommande l'utilisation de ces tests dans des cas précis et à condition qu'ils soient validés et utilisés dans un laboratoire de biologie avec les mêmes conditions de sécurité que la RT-PCR. Ces cas d'utilisation doivent être accompagnés pas un dispositif de diagnostic à l'aide de tests RT-PCR.
Sauf que selon la commission scientifique de lutte contre la pandémie, les tests rapides vont être utilisés pour aider au diagnostic rapide des cas, notamment dans les structures hospitalières, très probablement au SAMU, c'est-à-dire que les médecins du SAMU peuvent, au chevet du patient, faire des tests rapides et à ce moment-là, loin des conditions de laboratoires, chose que ne recommande pas ce groupe d'experts qui représentent plusieurs structures sanitaires et médicales dont notamment l'Institut Pasteur de Tunis, des facultés de médecine, le ministère de la Santé et la Direction Générale de la Santé Militaire.
En conclusion, nous estimons que tant de questions et d'interrogations pèsent toujours sur ce dossier d'acquisition des tests rapides. Pourquoi la Pharmacie Centrale refuse-t-elle de divulguer l'identité des structures ayant remporté cet appel d'offres mais aussi les coûts d'une telle acquisition ? Et pourquoi la Tunisie peine toujours à introduire ces tests dans les hôpitaux et les labos, est-il en raison de leur manque de fiabilité ?
T.K
Publié le 26/10/20 20:36
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