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Tunisie : Vers la libéralisation des taux d’intérêt bancaires

Par Sofiène Weriemi, le 25/04/2017

Omar El Oudi

Malgré l’importance du sujet, les débats autour du nouveau projet de loi portant modification de la loi numéro 99-64 relative aux Taux d’intérêts excessifs restent rares. En effet, l’objet de ce nouveau projet de loi, portant le numéro 39-2017, est de modifier et compléter la loi en vigueur relative aux taux d’intérêts excessifs et ce par :

- La fixation de la marge (à appliquer aux Taux d’intérêt effectif moyen pour déterminer le Taux effectif global excessif) par décret gouvernemental et ce par catégorie de financement accordé et de bénéficiaire du financement ;

- La suppression de la peine privative de liberté et le doublement de l’amende prévue par la réglementation actuelle et;

- L’adaptation de certains termes utilisés aux spécificités de la finance islamique.

Réglementation en vigueur relative aux Taux d’intérêts excessifs 

Conformément aux dispositions de l’article premier de la loi numéro 99-64, constitue un prêt consenti à un taux d'intérêt excessif, tout prêt conventionnel consenti à un taux d'intérêt effectif global qui excède, au moment où il est consenti, de plus du cinquième (du tiers avant Aout 2008) le taux effectif moyen pratiqué au cours du semestre précédent par les banques et les établissements financiers pour des opérations de même nature.

Crédits concernés :

Les opérations qui obéissent au même taux d’intérêt effectif sont :

1- les crédits à court terme autres que le découvert,

2- les découverts mobilisés ou non mobilisés,

3- les crédits à la consommation,

4- les crédits à moyen terme,

5- les crédits à long terme,

6- les prêts pour le financement de l'habitat,

7- les prêts universitaires,

8- le leasing mobilier ou immobilier et,

9- le factoring (ou affacturage) à partir de 2013.

Détermination des taux d’intérêt effectifs globaux et des taux d’intérêt excessifs 

Pour chaque catégorie de concours, les banques ainsi que les établissements financiers doivent calculer un taux d'intérêt effectif global égal à la moyenne des taux d'intérêt effectifs globaux des crédits qui composent la catégorie, pondérée par l'encours desdits crédits.

Les banques et établissements financiers adressent à la BCT, cinq jours au plus tard après l'expiration du premier et deuxième semestre de chaque année, une déclaration du taux d'intérêt effectif global appliqué durant les cinq premiers mois du semestre considéré, et ce, par catégorie de concours.

Pour chaque catégorie de crédits accordés, la BCT détermine semestriellement le taux d'intérêt effectif moyen à partir de la moyenne arithmétique simple des taux d'intérêts effectifs globaux observés durant le même semestre. Ce taux ainsi déterminé est utilisé au cours du semestre suivant pour la détermination du taux d'intérêt excessif.

Les taux d'intérêt effectifs moyens ainsi que des seuils des taux d'intérêt excessifs correspondants qui serviront de référence pour le semestre suivant sont publiés par arrêté du ministre des finances au Journal Officiel de la République Tunisienne.

Sanctions prévues 

L’article 4 de la loi numéro 99-64 stipule qu’en cas d'application d'un taux d'intérêt excessif, les sommes que le prêteur a perçu indûment sont restituées à l'emprunteur en les majorant des intérêts calculés aux taux légal prévu par l'article 1100 du code des obligations et des contrats, et ce, à partir de la date de leur perception.

L’article 5 de la même loi punit d'un emprisonnement de 6 mois et d'une amende allant de 3.000 à 10.000 dinars ou de l'une de ces deux peines seulement les banques et établissements financiers qui accordent à leurs clients un prêt à un taux d'intérêt excessif.

Taux d’intérêts effectifs moyens et taux d’intérêt excessifs du premier semestre 2017 

Les taux d'intérêt effectifs moyens relatifs au deuxième semestre 2016, pour chaque catégorie de concours bancaire ainsi que le seuil du taux d'intérêt excessif correspondant au titre du premier semestre 2017 ont été publiés par l’arrêté de la ministre des finances du 17 février 2017 et sont fixés comme suit :

Catégorie de concours 

Taux d'intérêt effectif Moyen

Seuil du taux d'intérêt excessif correspondant 

1- Leasing mobiliers et immobiliers 10,03% 12,03%
2- Crédits à la consommation 8,64% 10,36%
3- Découverts matérialisés ou non par effets 8,60% 10,32%
4- Crédits à l'Habitat financés sur les ressources ordinaires des banques 7,63% 9,15%
5- Affacturage 8,26% 9,91%
6- Crédits à long terme  6,92% 8,30%
7- Crédits à moyen terme  7,14% 8,56%
8- Crédits à court terme découverts non compris 6,61% 7,93%

Modifications proposées par le projet de loi numéro 39-2017 

Les modifications proposées par le nouveau projet de loi visent à apporter plus de souplesse pour la fixation des seuils par rapport aux taux d’intérêt effectifs moyens. Ces seuils sont actuellement prévus par une loi et fixés à 20% du taux effectif moyen pratiqué au cours du semestre précédent. Le projet propose que ces seuils soient fixés par décret gouvernemental. La révision de ces seuils, à la baisse ou à la hausse, ne nécessitera plus le recours à l’ARP pour l’approbation d’une nouvelle loi.

Le projet de loi propose, par ailleurs, d’affiner les règles de fixation des seuils des taux d’intérêt excessifs. Ces taux sont aujourd’hui fixés par catégorie de concours. Cette stratification ne permet pas d’adapter le taux d’intérêt proposé au risque de crédit présenté par la contrepartie.  Le projet propose de fixer des seuils des taux d’intérêt excessif par catégorie de crédit et par catégorie de contrepartie. Nous pourrons imaginer, par exemple, des TEG excessifs pour les TPE ou les PME différents de ceux fixés pour les Grandes entreprises pour la catégorie Crédits à long terme ou crédits à Moyen Terme. Ces TPE ou PME présentant un niveau de risque de crédit plus élevé que les Grandes entreprises en général. 

Ces propositions rejoignent les principes et objectifs de la nouvelle circulaire de la BCT numéro 2016-06 relative au système de Notation interne. Laquelle notation doit jouer un rôle principal dans le processus d’octroi des crédits ainsi que dans la politique de tarification appliquée aux clients.

Il est à rappeler que la revue des règles du Taux Effectif Global et du Taux d'Intérêt Excessif était l’un des points sur lequel la Tunisie s’est engagé au niveau de sa Lettre d’intention adressée au FMI le 2 Mai 2016. 

La Banque Mondiale avait relevé plusieurs défaillances au niveau du système actuel du TEG excessif et avait recommandé, entre autre, de relever la marge progressivement de 20% à 33% pour les crédits accordés aux Personnes Physiques qui n’exercent pas une activité professionnelle. La même recommandation a été formulée pour les marges relatives aux crédits accordés aux professionnels et aux TPE. La BM recommande, aussi, de supprimer la notion de TEG excessif pour les crédits accordés aux PME et aux GE.

A titre de comparaison, en France le délit d’usure a été supprimé pour les prêts consentis aux entreprises commerciales, industrielles ou financières depuis 2003. Une sanction civile est prévue pour les découverts consentis à des taux supérieurs au taux d’usure. En 2005, cette suppression a été étendue aux personnes physiques agissant pour leurs besoins professionnels. Parallèlement la sanction civile prévue pour les découverts a été élargie afin d’inclure les découverts accordés aux professionnels Personnes Physiques.

Enfin, le projet de loi propose de supprimer la peine privative de liberté, de doubler le montant de l’amende prévue par l’article 5 de la loi 99-64 et d’ajouter les opérations de finance islamique au champ d’application du TEG excessif. Ainsi, la « marge bénéficiaire » des financements islamiques ne devra pas dépasser le seuil fixé pour cette catégorie de financement.

Par Sofiène WERIEMI

Expert Comptable

Associé Auxilium Consulting



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