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L'économie tunisienne dans une profonde récession

Par Nader Haddad, le 07/05/2013

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Une étude récente menée par la Banque africaine de développement (BAD) en association avec le Millennium Challenge Corporation a identifié deux obstacles majeurs à la croissance économique en Tunisie. Le premier est l’absence d’institutions efficaces qui assurent la responsabilisation du secteur public, la primauté du droit, et des contrôles et contrepoids au pouvoir. Il en résulte des barrières à l’entrée, la corruption, le népotisme et la faible protection des droits de propriété.

Alors que la révolution du jasmin a mis fin aux pires abus de l’ancien régime, le pays a encore besoin d’un cadre solide de gouvernance et d’institutions qui offrent aux investisseurs un ensemble clair et transparent de règles, ce qui leur donnera l’assurance de récolter les fruits de leurs développements économique et investissements.

Ces défis peuvent être relevés par des réformes constitutionnelles et administratives ainsi que par une approche claire et cohérente pour le secteur privé qui sera mise en place par le gouvernement de transition, qui devrait signaler qu’il s’est engagé à la croissance tirée par le secteur privé, ainsi que le respect équitable et objective des lois en vigueur.

Le second obstacle majeur à la croissance économique en Tunisie est le coût financier et réglementaire élevé de l’emploi.

Bien que les programmes de sécurité sociale et de la protection du travail visent à améliorer les salaires et les conditions de travail des travailleurs, de nombreuses mesures actuellement en place ont fait le contraire et ont élargi le secteur informel, les entreprises utilisant une variété de moyens de se soustraire aux exigences de l’emploi de travailleurs.

La comparaison des pratiques commerciales dans le monde montre que les entreprises tunisiennes font face à des charges fiscales sur les salaires des plus élevés au monde et les exigences les plus strictes de licenciement des travailleurs. Ces facteurs réduisent les investissements et la demande de main-d’œuvre qualifiée.

Le nombre d’entreprises tunisiennes employant moins de six personnes est considérable par rapport aux pays émergents, qui connaissent une croissance plus rapide que celle de la Tunisie.
 Moyennes et grandes entreprises ne trouvent pas l’environnement économique tunisien adapté et attrayant.

Le diagnostic ci-dessus identifie les principaux facteurs entravant la croissance économique en Tunisie. D’autres études ont mis en évidence d’autres facteurs, notamment le manque d’investissement dans les infrastructures, la mauvaise qualité de l’éducation et la faiblesse des aides publiques au secteur privé. Tous ces domaines doivent être améliorés et développés, mais si les deux obstacles majeurs décrits ci-dessus ne sont pas supprimés, les investissements supplémentaires qui résultent de l’amélioration de l’infrastructure et de l’éducation ne seront pas suffisants pour soutenir l’économie.

Malgré des différences régionales significatives dans l’infrastructure, la qualité des routes, le coût du transport et la disponibilité de l’électricité, ces facteurs ne vont pas entraver la croissance économique au niveau national. L’infrastructure actuelle des télécommunications, des aéroports et des ports est suffisante, mais les investissements dans les infrastructures, telles que l’augmentation de la capacité et l’efficacité des ports ciblée, va stimuler la croissance par l’augmentation du commerce international.

Par ailleurs, les infrastructures de transport, qui relient l’intérieur des centres urbains côtiers peut aider l’économie, mais seulement après que les deux principaux obstacles soient supprimés.

Par rapport à de nombreux pays de la région, la Tunisie a réussi à améliorer rapidement l’accès à l’éducation. Le taux de chômage élevé dans diverses disciplines indique clairement que l’investissement et la croissance ne sont pas entravés par une pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Le taux d’émigration des travailleurs instruits indique qu’ils peuvent rivaliser et trouver un emploi en dehors de la Tunisie.

Selon les sondages d’opinion, les entreprises opérant en Tunisie ne considèrent pas nécessaire de former les travailleurs ce qui enlève une barrière à l’investissement.

Investir dans l’éducation et les compétences, malgré son importance, n’augmentera la croissance économique étant donné la faible demande de main-d’œuvre qualifiée.

Bien que la Tunisie offre des avantages fiscaux aux entreprises pour encourager l’innovation et la compétitivité, cela n’a ni stimulé l’investissement ni réduit le taux chômage. Les efforts du gouvernement pour soutenir l’innovation sont peu susceptibles de réussir si les deux principaux obstacles ne sont pas éliminés en premier.

Il y’a donc un besoin urgent d’entamer un dialogue national entre les représentants des organisations de la société civile, les syndicats, les employeurs, les travailleurs du secteur informel et les chômeurs pour parvenir à un nouveau contrat social qui tienne compte des effets économiques de la politique publique et qui reconnaît l’importance de la concurrence et la lutte contre la corruption afin de relancer la croissance et de créer des emplois.

En outre, les lois régissant les entreprises devraient fournir une protection raisonnable pour les travailleurs, mais aussi une souplesse suffisante pour les écarter de sorte que les entreprises puissent s’adapter à un environnement économique instable, d’ouvrir le pays à la concurrence mondiale et d’absorber les chocs externes.

En consultation avec les groupes de la société civile, le gouvernement devra développer des alternatives concrètes aux systèmes de sécurité sociale qui protégeront les citoyens au lieu de protéger les emplois spécifiques.

Nader Haddad
Doctorant a l’Universite d’Oxford
Diplômé de Paris 1 Sorbonne Pantheon


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