ilboursa arabic version ilboursa

Tunisie : La filière laitière agonise, le gouvernement premier respons

Voir tous les sujets

Posté le 30/09/2018 13:42:38
oui mais vous n avez pas dit aussi que les éleveurs choisissent pendant des année de jeter leur productions dans les égout pour pousser a la pénurie et laugmentation de prix. il faut pas mettre tout sur le dos du gouvernement. a7na bidna andna cha3b tbarkallah 3lih
Répondre
Posté le 30/09/2018 13:42:38

La crise du lait s’étire depuis plus de deux ans en Tunisie, en dépit d'une courte embellie. Les craintes sont de plus en plus fortes qu’il n’y ait pas d’amélioration dans les prochaines semaines. Voire même que toute la filière s'effondre. Celle-ci, se retrouve désormais dans l’impasse. IlBoursa a enquêté sur l’origine de la pénurie du lait demi-écrémé qui continue de se faire sentir. Tous les acteurs de la filière, de l’éleveur à l’industriel, sont persuadés que seule une libéralisation des prix évitera l’effondrement de la filière laitière en Tunisie. Enquête.



Le lait demi-écrémé (subventionné) manque toujours à l’appel dans les magasins et les grandes surfaces du pays. Cette situation est d’autant plus inquiétante lorsque l’on sait que la pénurie aurait pu être évitée si l’Etat avait pris la décision d’augmenter le prix de vente à la consommation. Un constat que partagent l’éleveur, le livreur, les propriétaires des centres de collecte du lait et aussi les industriels.


Partant à la recherche d’éléments tangibles qui permettraient d’identifier les vraies raisons de la crise qui secoue cette filière qui a longtemps été la fierté de l’agriculteur et de l’industriel en Tunisie, nous nous sommes rendus dans la région de Sidi Bouzid, l’un des plus importants centres de commercialisation agricole du pays et l’un de ses principaux bassins laitiers, où nous avons rencontré l’ensemble des acteurs de la chaîne de production du lait dont l'élevage bovin constitue son premier maillon. En effet, à la base de la production du lait, qui suit un parcours précis ayant pour but de le protéger, se trouve l’éleveur.


L’éleveur, le maillon faible de la chaîne


Amine, un jeune éleveur de 28 ans originaire de Regueb (37 km au sud-est de Sidi Bouzid), s’est lancé en 2014 dans l’élevage de vaches laitières après avoir terminé ses études en informatique à Gafsa. Faute de possession de terre et d’argent, il est amené à faire paître ses vaches dans les environs de son habitation et à s’endetter auprès de ses parents. « Aujourd’hui, avec ces conditions et surtout avec le renchérissement des prix de l’aliment du bétail, mes 9 vaches ne produisent que quelques dizaines de litres de lait par jour », se désole-t-il.


Amine, éleveur bovin à Regueb


La chute de la production quotidienne du lait, poursuit Amine, qui s’aggrave davantage durant la période de basse lactation, a fait en sorte que l’argent gagné ne lui suffit plus à pérenniser son élevage. « Avec des charges fixes et un sac d’aliment de bétail dont le prix augmente chaque mois atteignant plus de 45 dinars, je ne gagne plus d’argent aujourd’hui même après la dernière augmentation du prix de 0,124 dinar par litre », affirme-t-il.


A l’instar de Amine, des dizaines d’éleveurs se sont retrouvés dans l’impasse. Certains d’entre eux ont alors décidé de vendre leurs vaches ou, du moins, quelques-unes. Ce qui explique en grande partie la baisse que connaît actuellement la quantité du lait cru collectée quotidiennement.


Pour illustrer cela, nous sommes ainsi allés à la rencontre de Ghassen, 26 ans, un jeune de la région qui parcourt des centaines de kilomètres chaque matin avec sa camionnette pour collecter le lait auprès des éleveurs de la région afin de l’apporter au Centre de Collecte du Lait (CCL). « Les quantités collectées du lait cru enregistrent depuis quelques mois une baisse sensible. En moyenne, je collecte actuellement 500 litres par jours alors qu’auparavant je dépassais amplement les 2.400 litres quotidiennement », a-t-il expliqué.



Ghassen, transporteur de lait


Selon lui, avec le climat que nous avons dans notre région, les vaches se nourrissent principalement des aliments concentrés importés et qui coûtent notamment très cher. Cela rend le coût de production d’un litre de lait très élevé pour les éleveurs dont des dizaines ont abandonné leur activité depuis le début de l’année. Exercer ce métier devient compliqué pour eux et beaucoup moins rentable.   


Avec cette chute des quantités collectées auprès des éleveurs ainsi que la progression continue des frais (carburant, leasing, …), Ghassen affirme qu’il n’arrive même pas à couvrir ses charges ces derniers mois. « Avec de telles quantités, le 0,040 dinar que je touche par litre collecté ne couvre plus mes frais. Je réfléchis même à vendre la camionnette que j’ai hérité de mon père pour pouvoir payer mes dettes », dit-il avec beaucoup d’amertume.


Les propriétaires des centres de collecte du lait souffrent


Pour rejoindre la deuxième étape de notre parcours, nous empruntons la route d’El Fayedh (délégation de Sidi Bouzid-est). Une fois dans la localité, nous rencontrons Mongi, propriétaire d’un centre de collecte du lait (CCL) qui emploie 16 personnes. Pour bâtir ce centre d’une capacité de stockage de 30.000 litres par jour, Mongi a investi 1,5 million de dinars avec un bénéfice annuel prévisionnel de 200 mille dinars. « Ouvert en avril 2017, mon centre de collecte perd de l’argent. Depuis presque le début de l’année, j’essuie en moyenne une perte de 5.000 dinars par mois », a-t-il indiqué.


Cette contreperformance est due particulièrement à la chute des quantités collectées qui varient désormais entre 10 et 15 mille litres par jour. « Cette quantité ne suffit pas pour rentabiliser le centre vu que les charges sont toujours fixes. Pour assurer la couverture des charges, il faut que le centre réceptionne au minimum 20.000 litres par jour », affirme Mongi qui ajoutera que les problèmes subis par les éleveurs se répercutent non seulement sur la quantité collectée du lait mais surtout sur sa qualité. « Face à l’ascension fulgurante des frais et la baisse du nombre des éleveurs, certains collecteurs mettent de l’eau dans le lait pour gonfler les quantités. De tels actes portent atteinte à la qualité du lait ».


Pour lui, l’Etat est le premier responsable de la détérioration de la situation. « La passivité des autorités devant ce qui se passe a contribué à l’évolution des pratiques frauduleuses dans le lait à la réception. En plus de cela, l’Etat n’a pas pris à temps les bonnes décisions pour protéger le cheptel bovin de la contrebande », a-t-il déploré.


Une autre donnée à chiffre hallucinant. Mongi a révélé que la crise de l’élevage bovin a réduit de plus de 23.000 le nombre du cheptel bovin durant les quelques dernier mois. « La contrebande de cheptel bovin vers l'Algérie ou la Libye a pris de l'ampleur cette année au détriment du marché local sachant que la fièvre aphteuse a anéanti plus de 30% du cheptel bovin en Algérie en quatre années ce qui explique la demande accrue de vaches laitières sur le marché algérien », explique Mongi.


Pour avoir une idée plus précise de ce qui se passe au niveau des centres de collecte, nous sommes allés voir Mohamed, propriétaire de deux centres de collecte du lait à Regueb. Surnommé « El Haj », Mohamed assure la collecte du lait auprès des éleveurs par ses propres camions. « Habituellement, durant les dernières années, je collecte le lait auprès de plus de 1.200 éleveurs alors qu’aujourd’hui leur nombre a chuté à 700 seulement ». Un témoignage bouleversant qui permet de se rendre compte de l’état dramatique des éleveurs en Tunisie.


''El Haj'' Mohamed, propriétaire de deux centres de collecte de lait à Regueb


La donne a donc changé. L’éleveur bovin se fait de plus en plus rare et le collecteur peine à le fidéliser. « Je suis désormais obligé en tant que collecteur de motiver l’éleveur financièrement pour qu’il accepte de me vendre le lait au lieu d’aller le faire chez d’autres Centres », affirme El Haj. Pour fidéliser ses éleveurs, notre interlocuteur affirme avoir dépensé cette année plus de 450 mille dinars sous forme d’avances et d’aides pour l’achat des vaches, … « j’ai même aidé financièrement des éleveurs à titre personnel rien que pour les fidéliser. Et tout cela, sans aucune garantie. En outre, j’assure leur approvisionnement en aliments de bétail avec un paiement à échéance », explique El Haj.


Mais la souffrance de l’ancien Président de l’Union régionale de l’agriculture et de la pêche à Sidi Bouzid ne s’arrête bien évidemment pas là. Les créances accumulées par ses deux centres de collectes envers l’Etat au titre de la subvention ont atteint 800.000 dinars. « Tous les Centres de collectes n’ont rien reçu jusque-là au titre des subventions de 2018. Nous attendons toujours que l’Etat nous verse le montant de la subvention relatif au premier trimestre de l’année en cours. La souffrance devient insoutenable. Je ne peux plus débourser toutes ces centaines de milliers de dinars pour que l’Etat me rembourse après une année », se désole-t-il.


Ce retard dans le versement de la subvention coûte ainsi à El Haj entre 50 et 60 mille dinars par an rien qu’en agios bancaires. « Il faut que l’Etat renonce à cette politique de subvention qui nous coûte paradoxalement de l’argent au lieu de nous aider », a-t-il appelé.


La Centrale Laitière du Groupe Délice : Seul point positif


Dernière étape de notre visite à Sidi Bouzid, et pour compléter toute la chaîne de production du lait, nous nous sommes rendus à l’usine du Groupe Délice, la CLSB, un joyau de l’industrie laitière du pays. Inaugurée en 2013, la centrale représente le dernier maillon de la filière laitière de la région et qui ne produit que le lait subventionné (demi-écrémé).


Dès son arrivée à l’usine, le lait suit un parcours très précis. Elément fragile, afin d’éviter qu’il caille, on le pasteurise ou on le stérilisé. La CLSB prend ainsi en charge les différentes étapes qui précédent à la commercialisation du lait et à sa mise en étale dans les magasins. Véritable usine, la centrale du Groupe Délice dont l’investissement a dépassé les 105 millions de dinars, répond à des règles strictes, notamment en termes d’hygiène, qui permettent de proposer un lait de qualité. Au sein même de la laiterie, le lait va passer par plusieurs étapes.


Conservé dans d’énormes tanks de stockage pouvant contenir 450.000 litres de lait cru, le lait doit passer par une première étape importante, la pasteurisation. Elle permet d’éliminer les micro-organismes. Le lait est ainsi chauffé à plus de 80°C pendant quelques secondes.


La partie allouée au stockage du lait est quasiment vide !



Nabil, responsable Production chez CLSB, nous confirme que l’usine vend actuellement 490 mille litres par jours pour une production journalière de 390 mille litres. « Bien que la loi stipule que le lait ne peut être vendu qu’après 10 jours de la date de production, les autorités nous ont demandé de vendre la quantité produite même depuis moins de 10 jours et ce, pour faire face à la pénurie du marché », affirme le responsable. Cette situation fait en sorte que le stock technique de l’usine (4 millions de litres) sera bientôt franchi.


Une seule idée en tête : il faut libéraliser la filière laitière 


Après constat des lieux et démarches, nous avons pu articuler de manière claire la problématique à laquelle nous étions censés répondre tout au long de notre enquête. Il s’avère ainsi que la crise de la filière laitière va s’amplifier davantage étant donné que les subventions ne permettent toujours pas aux différents acteurs de la chaîne de couvrir l’ensemble de leurs coûts de production. La crise du lait devient alors structurelle rendant la situation des éleveurs plus précaire. D’où le constat que l’Etat n’a pas du tout appuyé l’appareil de production.


Mais l’Etat voit toujours les choses autrement. Pour assurer l’approvisionnement régulier du marché le ministère du Commerce a décidé d’importer 10 millions de litres de lait. Une solution qui ne fait que retarder les réformes structurelles nécessaires qui permettent de pérenniser la filière.


Pour éviter l’effondrement de la filière, l’Etat doit impérativement ajuster à la hausse les prix de vente à la consommation voire même les libéraliser totalement. Ce qui est paradoxal, c’est que l’actuel ministre du Commerce, Omar Béhi, a appelé le gouvernement à prendre ces mesures quand il était membre du comité exécutif de l’Union Tunisienne de l’Agriculture et de la Pêche (https://youtu.be/yFby456VxNA" target="_blank" rel="noopener">voir vidéo ci-dessous) mais, une fois ministre, M. Omar devient brusquement un grand défenseur du pouvoir d’achat des Tunisiens qui bénéficient toujours du lait le moins cher au monde.



Alors membre du bureau exécutif de l’UTAP, M. Béhi avait fait état catastrophique de la situation des éleveurs. Il avait pointé du doigt le ministère du Commerce qui, selon lui, veut toujours préserver le pouvoir d’achat du citoyen au détriment des éleveurs.  « Le ministère du Commerce est la première entrave au développent du secteur. S’il continue sur sa lancée, la filière va frôler la catastrophe », a-t-il déclaré sur les ondes de Mosaïque Fm le 4 septembre 2015. Et d’ajouter : « A cause du ministère du Commerce l’éleveur se trouve en train de jouer le rôle de la caisse de compensation. Nous n’allons plus accepter de jouer le rôle de l’Etat ».


Monsieur le ministre, à un moment il faut se dire : soit j’arrête, soit j’assume. A bon entendeur.       


 


Enquête réalisée par Omar El Oudi et Ismail Ben Sassi


Répondre

Retour au forum Général