ilboursa arabic version ilboursa

Suicide tunisien

Voir tous les sujets

Posté le 06/02/2022 15:25:28
C’est un article anachronique eu égard de la situation dramatique des finances publiques. Il faut d’abord opérer le malade et le sortir du bloc réanimation avant de reprendre une vie normale.
Répondre
Posté le 04/02/2022 19:22:46
judicieuse analyse à laquelle il faudrait ajouter comme source d'appauvrissement sans nulle autre pareille, la fuite des cerveaux.
Répondre
Posté le 04/02/2022 19:22:46

 

L'avenir de la Tunisie sacrifié sur l'autel de la démagogie et de l'incompétence

Hormis une situation de guerre prolongée, peu de pays ont à ma connaissance, traversé plus d'une décennie en sacrifiant leur avenir, en sacrifiant purement et simplement l'investissement. Qu'il s'agisse de l'investissement dans les biens publics tels que l'éducation, la santé publique, les infrastructures matérielles et numériques, ou de l'investissement dans l'appareil de production industriel ou agricole, tout ce qui est de nature à préserver l'existant et à assurer l'avenir, a été sacrifié sur l'autel de la démagogie et de l'incompétence politiques.

Depuis qu'elle a fait le choix d'emprunter la route de la liberté politique et de la démocratie, la Tunisie a purement et simplement cessé d'investir. Ce faisant, elle a sciemment ou inconsciemment, opté pour la dégradation économique, la régression sociale et l'avortement de son expérience démocratique. Les données relatives à l'année 2021 publiés cette semaine sont là pour faire le point sur ce qui s'apparente à un véritable suicide collectif.

Un taux d'investissement parmi les plus bas au monde

La part de la richesse produite consacrée à entretenir l'outil de production et les infrastructures voire, à les améliorer à un horizon plus ou moins long, ce qu'on appelle " taux d'investissement ", n'a pas cessé de baisser depuis au moins une dizaine d'années. De 25,6% en 2010, cette part a été amputée de plus de la moitié une dizaine d'années plus tard : 10,8% en 2020 et sans doute autant sinon moins en 2021.

Un déficit d'investissement qui a frappé tous les compartiments de la société et de l'économie et qui a largement contribué à freiner l'économie, à accroitre le chômage et à aggraver l'appauvrissement de l'État et du Tunisien.

L'avenir sacrifié à l'État providence

À l'heure où la Tunisie a le plus grand besoin d'investir pour développer ses infrastructures, son capital social, sa capacité d'innovation et son attractivité, l'État dont le rôle dans ces domaines est essentiel, a dilapidé ses maigres ressources et épuisé sa capacité d'endettement pour faire de la redistribution à tout va. Ses dépenses (en pourcentage du PIB) ont quasiment doublé depuis 2010 mais la part de celles qui sont allouées à l'investissement a été divisée par plus de deux passant de 13,7% des dépenses totales de l'État à 6,1% en 2020 et sans doute moins durant l'année qui vient de s'écouler marquée par l'aggravation de son impécuniosité.

En sacrifiant les dépenses d'éducation, de formation des compétences et d'amélioration des infrastructures numériques comme en témoigne la rétrogradation de la Tunisie de la 38ème place en 2010 à la 87ème en 2021 au classement mondial du Network Readiness Index, l'État tunisien a de facto gravement compromis l'avenir des jeunes générations.

Effondrement de l'investissement productif

Selon le bilan 2021 de la nouvelle Tunisian Investment Authority en charge des " Grands projets " (ceux dont le coût excède 5 millions de dollars), les intentions d'investissement ont connu en 2021 une baisse de 42% pour les montants à investir, de 24% pour le nombre de projets et de 27% pour les emplois dont la création est envisagée. Même son de cloche du côté de la doyenne des " guichets uniques " dédiés à la promotion de l'investissement dans l'industrie & les services, l'APII.

Les déclarations reçues en 2021 s'établissent à leur plus bas niveau depuis l'année de la " Révolution " : 2,8% du PIB contre 7,3% en 2010. La situation est tout aussi cataclysmique aussi bien pour les investissements agricoles recensés par le troisième " guichet unique " qu'est l'APIA que pour les investissements directs étrangers (IDE) relevant de la Foreign Investment Promotion Agency (FIPA), encore une autre institution publique tunisienne en charge de la promotion de l'investissement… étranger.

Une chute d'ores et déjà annoncée par la CNUCED (… les flux d'IDE à destination de l'Afrique ont enregistré en 2021 une croissance de 147%, ceux à destination d'Afrique du Nord sont en baisse de -13%) et inscrite dans les statistiques de la FIPA arrêtées au terme du troisième trimestre de l'année.

Réformer, revient à créer davantage d'institutions publiques et à empiler des textes juridiques

Phénomène typiquement tunisien, la prolifération des " guichets uniques ". C'est sans doute à ce niveau que l'incompétence politique et la méconnaissance de ce qui doit être conduit comme réforme pour relancer l'investissement, apparaît de manière éclatante. La Tunisie qui dispose aujourd'hui de pas moins de quatre " guichets uniques " (TIA, APII, FIPA et APIA) pour " promouvoir " l'investissement, n'est même pas capable de réaliser qu'en multipliant les " guichets " elle se prive précisément de ce qui fait l'intérêt -immense- de l'unicité du vis-à-vis pour les investisseurs.

Dans ce domaine, ce qui tient lieu de " réformes " a consisté d'une part, à dépenser encore plus dans la création de nouvelles structures publiques sans pour autant supprimer celles qu'elles sont censées remplacer et, de l'autre, à surcharger la réglementation existante. En un mot, à faire compliqué là où les maîtres-mots sont, débureaucratisation, transparence et efficacité.

La prolifération des " guichets uniques " n'a pas empêché la désintégration du tissu industriel tunisien

Encore plus préoccupant que l'effondrement de l'investissement productif, la prolifération des agences publiques chargées de la promotion de l'investissement, n'a guère réussi à préserver le tissu industriel tunisien. Selon les statistiques de l'APII, la Tunisie a de facto perdu entre l'année de la " Révolution " et 2021, 15,1% du tissu industriel qui était opérationnel en 2010. Plus de 70% de cette mortalité a frappé les entreprises " totalement exportatrices ".

Le phénomène s'est même accéléré ces deux dernières années : plus du tiers (36,8%) des entreprises " totalement exportatrices " qui ont fermé entre 2011 et 2021, l'ont fait en 2020-2021.

Bien que désargenté, l'État tunisien ne peut se dispenser d'investir

Pour y parvenir, il doit commencer par renoncer à considérer l'investissement comme un levier en termes de flexibilité budgétaire. Sabrer dans les dépenses d'investissement plutôt que de couper certaines dépenses courantes est une politique de la facilité et de l'irresponsabilité ; c'est aussi un choix à très courte vue qui n'est autre qu'une renonciation aux choix que dictent une bonne gestion de l'argent public.

Si l'État choisit d'investir, il doit commencer par baisser ses dépenses de fonctionnement. Une option qui s'impose d'autant plus qu'il est désargenté et qu'il a épuisé une grande partie de sa capacité d'endettement.

C'est du reste ce qu'ont fait les Suédois : " Nous avons profité de la crise […] pour nous débarrasser d'un grand nombre de niches et d'anomalies afin d'améliorer l'efficacité de notre système et de faire des réformes structurelles. Je vous citerai trois exemples : en 1993, nous avons aboli le contrat à vie pour les fonctionnaires, nous avons aboli toute indexation des dépenses publiques, enfin, nous avons introduit un système astucieux : pour encourager les agences gouvernementales à augmenter leur productivité, nous déduisons systématiquement de leurs allocations l'équivalent de l'augmentation de productivité dans le secteur privé "*.

 

*Gunnar Lund - Ambassadeur de Suède en France : L'expérience suédoise in, lecercledeseconomistes.fr

Biographie de Hachemi Alaya

Hachemi Alaya est ancien élève diplômé de l'ENSAE-PARIS, Docteur d'Etat en sciences économiques de l'Université de PARIS I–La Sorbonne, et Agrégé de sciences économiques sous la présidence du professeur Raymond Barre.

Il a été Doyen-fondateur de la Faculté des sciences économiques et de gestion de Sfax, Membre du Conseil économique et social de Tunisie, Membre du Conseil National du Crédit de Tunisie, intervenant en tant que Conseiller économiste auprès du Gouvernement de la Banque centrale de Tunisie, dans les travaux préparatoires de la réformes financière des années 1980.

Par ailleurs, M. Alaya a été Doyen de la Faculté des sciences économiques et de gestion de Tunis, Président de l'Université de TUNIS III, Président-Directeur général de l'Agence de promotion de l'Investissement et de l'Innovation (APII) et promoteur du concept de " Guichet unique ", Doyen et académicien membre de l'équipe fondatrice de l'Université Internationale SENGHOR à Alexandrie d'Egypte, Membre de l'Academic Council de l'Euro-Arab Management School à Grenade en Espagne, Directeur Général de l'IFID et Conseiller du Ministre des finances.


Répondre

Retour au forum Général