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La multinationale américaine Procter & Gamble condamnée en Tunisie pou

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Posté le 29/09/2020 10:58:21
il faut encore que la multinationale paye cette amende (je doute fort) et à mon avis cette pénalité ne couvre pas la faillite de la société tunisienne et la perte de 200 emplois
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Posté le 29/09/2020 10:58:21

Au mois d'août dernier, le Conseil de la concurrence a prononcé une décision en faveur d'une société tunisienne ayant été victime d'une rupture " abusive et non justifiée " de sa relation commerciale avec un géant américain des produits cosmétiques, qu'elle représentait exclusivement sur le marché tunisien. L'affaire illustre la capacité de la justice nationale à protéger les intérêts des acteurs économiques tunisiens. Une success story à relever dans ce contexte de marasme économique et de confusion, où il est difficile de faire valoir ses droits.

Par Hanène Zbiss 

Journaliste d'investigation 

http://www.cct.gov.tn/?p=2620" target="_blank" rel="noopener">La décision a été prononcée le 27 août 2020. Elle impose à la multinationale " Procter & Gamble International Operations SA " une pénalité, d'une valeur de 978.900 dinars, à payer à l'Etat tunisien du fait des agissements anticoncurrentiels pratiqués à l'endroit de son ex Distributeur Tunisien la société Intercosmetic Distribution " ID ". Le Conseil de la concurrence a motivé sa décision par la constatation d'" un abus d'exploitation excessive " du géant, du " statut de dépendance économique " au dépend d'ID. Cette exploitation se manifeste par " la rupture d'une façon abusive et non justifiée " de la relation de distribution exclusive qu'assurait la société tunisienne, des produits de la marque américaine. Une rupture ayant causé de graves atteintes aux intérêts du distributeur tunisien.

L'affaire remonte à 2014. Il a fallu une rude bataille durant 6 ans, devant les tribunaux, entre les cabinets d'avocats des deux sociétés respectives, pour que justice soit faite. Retour sur cette saga passionnante !

Rupture brusque et injustifiée

En se basant sur le dossier judiciaire de l'affaire, il apparaît qu'une relation commerciale liait la société allemande " Wella Aktrengesellslhaft " et la société tunisienne " International Cosmetics Laboratory ICL ", basée à Sousse et ce, depuis 1988. En vertu de cette relation, la deuxième était chargée de fabriquer et de vendre les produits portant la marque commerciale de la première.

En 1996, et pour développer sa présence sur la marché tunisien, la société allemande " Wella Aktrengesellslhaft " a proposé à ICL de fonder une nouvelle entité commerciale pour importer et distribuer ses produits en Tunisie. ICL a ainsi créer sa filiale ID pour importer et distribuer les produits de " Wella Aktrengesellslhaft " en Tunisie.

En 2004, " Wella Aktrengesellslhaft " a été rachetée par la marque américaine " Procter & Gamble ", représentée par sa société, de droit suisse, " Procter & Gamble International Operations SA ". De ce fait, " ID " est devenue le distributeur exclusif des produits de " Procter & Gamble International Operations SA " sur le territoire tunisien.

Entre 2005 et 2013, le chiffre d'affaires de la société ID a évolué de 5,8 millions de dinars en 2005 à environ 34,3 millions en 2013. Cette évolution a amené la société tunisienne à faire de nouveaux investissements, à savoir acquérir un grand dépôt et recruter davantage de personnel et ce, dans le but de mieux satisfaire les demandes de la multinationale. Par ailleurs, " ID " a augmenté son capital à la demande de son partenaire " Procter & Gamble International Operations SA " de 30 mille dinars à 5 millions de dinars en 2012.

Mais en décembre 2013, un fait nouveau est survenu dans la relation commerciale entre les deux partenaires. Alors qu'" ID " a envoyé ses commandes annuelles à son fournisseur international. Ce dernier refusait d'y donner suite, malgré les réclamations répétitives. Cette attitude incompréhensible a duré jusqu'en début février, où lors d'une rencontre à Tunis, le 12 février 2014, entre la représentante d'ID et ceux de " Procter & Gamble International Operations SA ", ces derniers lui ont signifié verbalement la rupture de la relation commerciale avec elle.  Quelques jours après, soit le 17 février 2014, " ID" a reçu une lettre de " Procter & Gamble International Operations SA " qui confirme la première décision, en fixant la date du 12 mai 2014 comme date finale de la rupture. A aucun moment, le fournisseur international n'a justifié sa décision. Mieux, il a commencé, en parallèle, à traiter avec un autre distributeur tunisien et à lui envoyer ses produits avant même la date buttoir de mai 2014.

La décision de la rupture est venue peu avant l'acquisition par " ID " d'un dépôt d'une valeur de 4,5 millions de dinars, pour donner suite aux pressions de son partenaire international le poussant à augmenter sa capacité de stockage et de distribution.

Les conséquences ont été encore plus lourdes pour " ID " qui enregistre plus de 90% de son chiffre d'affaires avec " Procter & Gamble International Operations SA ". La société tunisienne a dû licencier son personnel, de l'ordre de 200 personnes, avec le paiement des charges sociales inhérentes, soit une somme de 2,5 millions de dinars. Mais le plus dur était la perte de sa place sur le marché, après que le nouveau distributeur tunisien a commencé à écouler ses produits, avec une réduction de 25% sur les prix, consentie avec " Procter & Gamble International Operations SA ".

Passage à l'acte

Pour défendre ses intérêts bafoués, " ID " a décidé d'intenter une première affaire en référé contre la multinationale, devant le Conseil de la Concurrence et ce, pour faire valoir ses droits, par rapport à la " rupture abusive et non justifiée de la relation commerciale " entre les deux parties.

Ainsi, un recours en référé a été déposé le 30 avril 2014, devant le Conseil de la Concurrence, ainsi qu'un procès sur le fond pour faire constater toutes les infractions subies et par rapport aux dégâts enregistrés. Le recours a été accepté par le Conseil qui a rendu sa décision le 19 juin 2014. Ainsi, " Procter & Gamble International Operations SA " devait rétablir sa relation commerciale avec " ID " et continuer sa fourniture.

Mais la multinationale a refusé d'exécuter le jugement et a fait deux recours auprès du tribunal administratif pour arrêter son application. Le tribunal les a refusés, en date de septembre 2014 et de décembre 2016.

En se basant entre autres sur le jugement favorable de Conseil de la concurrence (juin 2014), " ID" a voulu voir réparer les pertes infligées. A cet effet, elle a pu obtenir un jugement favorable, en juillet 2017, de la Chambre commerciale 22, auprès du Tribunal de première instance de Tunis. La chambre avait ordonné auparavant, une expertise afin d'évaluer les dégâts. L'expertise les a évalués à 19,4 millions de dinars. Le jugement obligeait donc la multinationale à payer ce montant à ID.

Contactant l'avocat de " ID ", Me. Lotfi EL Ajeri, ce dernier a déclaré que " la partie la plus difficile et délicate dans ce procès était de prouver la rupture réellement des relations entre ID et la multinationale, et comment la première continuait à envoyer ses commandes à la deuxième sans qu'il y ait de satisfaction. En parallèle, il fallait démontrer, qu'entre-temps, Procter & Gamble International Operations SA continuait à approvisionner son nouveau distributeur tunisien ".

Même avec le jugement du Tribunal de première instance, la multinationale n'a pas baissé les bras, puisqu'elle a déposé un appel. Elle a invoqué la non compétence des tribunaux tunisiens dans cette affaire, puisque " Procter & Gamble International Operations SA " est une société de droit suisse. C'est donc, la législation suisse qui devait être appliquée en cas de litige. La Cour d'appel de Tunis a accepté l'appel le 10 mai 2019 et elle a cassé le jugement du Tribunal de première instance.

Pourtant, ce n'est pas la fin de la saga, puisque " ID " s'est pourvue en cassation. Son argument : le contrat liant les deux sociétés est un contrat de distribution exécuté sur le territoire tunisien et non un simple contrat de vente, et par conséquent, cela rentre dans les compétences des tribunaux tunisiens. La Cour de cassation lui donne gain de cause.

Entre-temps, le 27 août 2020, le Conseil de la concurrence statue sur l'affaire de fond et donne sa décision en faveur d'" ID ", en imposant à " Procter & Gamble International Operations SA " de payer une amende de 978.900 dinars correspondant à 5% de son chiffre d'affaires réalisé en Tunisie.

Cette affaire est une belle leçon de justice pour les acteurs économiques tunisiens pour défendre leurs intérêts jusqu'au bout, mais aussi pour les multinationales opérant en Tunisie afin de respecter leurs engagements envers leurs partenaires locaux.

Ce long procès prouve que nos institutions nationales fonctionnent, malgré le contexte difficile du pays, et arrivent à défendre l'économie nationale.


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