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Depuis le déclenchement de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, le commerce mondial vit une période de transformation sans précédent. Ce conflit économique, marqué par l'imposition mutuelle de droits de douane et des restrictions technologiques, dépasse aujourd'hui le cadre bilatéral pour impacter les flux commerciaux, les chaînes de valeur, les prix de l'énergie et les alliances stratégiques à l'échelle mondiale.
Dans cette interview exclusive, le chercheur en économie et spécialiste des affaires chinoises, Rong Huan, revient sur les conséquences de cette guerre prolongée, les réponses stratégiques de Beijing, ainsi que les opportunités qui pourraient émerger pour les économies en développement, notamment en Afrique.
Quels ont été, selon vous, les effets les plus marquants de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis sur les chaînes d'approvisionnement mondiales, et comment ces changements pourraient-ils redessiner les flux commerciaux à moyen et long termes ?
Les effets négatifs de la guerre commerciale sont déjà visibles sur l'économie mondiale et le système commercial international. Comme l'a souligné la Chine, cette guerre commerciale ne profite à personne et aura des conséquences lourdes sur le système commercial multilatéral ainsi que sur le libre-échange. Elle déstabilise également les chaînes d'approvisionnement mondiales, dont la reconstitution engendrera des coûts considérables pour tous les pays impliqués.
Cette guerre commerciale entraînera aussi une réduction significative des échanges commerciaux mondiaux et constituera un obstacle majeur à la reprise économique mondiale. Le monde pourrait ainsi se retrouver confronté à une période prolongée de récession en raison de l'imposition de nouveaux tarifs douaniers et des hausses de taxes sur les échanges internationaux. De plus, cela affectera particulièrement les pays et économies qui dépendent du commerce international, en particulier les nations en développement.
Cette guerre commerciale fragilise aussi le principe du libre-échange et perturbe les règles du marché. Elle pourrait affaiblir le système commercial multilatéral et éroder l'ordre international fondé sur des règles, perturbant ainsi la stabilité économique globale. Ce qui à son tour va conduire à une “reconfiguration géographique” des chaînes d'approvisionnement, poussant les entreprises à rechercher des environnements plus stables.
Donc, à long terme, on pourrait assister à la formation de nouveaux blocs commerciaux, étant donné que les pays cherchent à réduire leur dépendance à certains partenaires pour sécuriser leurs approvisionnements stratégiques.
Du point de vue chinois, cette guerre commerciale est-elle perçue comme une agression stratégique, une opportunité de renforcement interne, ou les deux ? Quelles ont été les réponses économiques et politiques les plus significatives de Beijing depuis 2018 ?
Tout d'abord, cette situation peut être considérée comme une forme de “chantage et d'intimidation économique et commercial”. Les États-Unis semblent vouloir utiliser cette guerre commerciale comme un levier de pression, voire d'extorsion, afin de contraindre d'autres pays à accepter leurs conditions, dans le but de maximiser leurs avantages au détriment des droits et intérêts des autres nations. Pour la Chine, il s'agit en fait d'une forme de “discrimination commerciale injuste”.
Face à cette situation, la Chine cherche en parallèle à renforcer ses partenariats avec des pays en dehors des États-Unis, afin de défendre les droits et les intérêts légitimes de ces pays, mais également pour promouvoir un système commercial multilatéral et le libre-échange, tout en soutenant un ordre international basé sur des règles équitables et transparentes.
Depuis plus de huit ans, et surtout avec le déclenchement de la dernière guerre commerciale menée par les États-Unis contre la Chine, Beijing a entrepris une diversification stratégique de ses marchés, réduisant ainsi sa dépendance vis-à-vis des États-Unis et de leur marché. La part des exportations chinoises à destination des États-Unis a chuté de manière significative, représentant désormais moins de 15 % de l'ensemble des exportations de la Chine. En contrepartie, l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) est devenue le premier partenaire commercial de la Chine, devançant les États-Unis.
Par ailleurs, la Chine a renforcé ses relations avec les pays en développement à travers des initiatives telles que la Ceinture et la Route, ainsi que des partenariats stratégiques avec l'Afrique, le monde arabe, l'Amérique latine, l'Asie centrale, la Russie et plusieurs pays européens.
Tout ce travail a porté ses fruits : aujourd'hui, le volume des échanges avec les États-Unis ne représente plus que 3 % du produit intérieur brut de la Chine. Cette dynamique ouvre également des opportunités pour Beijing de coopérer davantage avec ces pays, afin de défendre un système commercial international plus équilibré et basé sur des règles équitables, tout en soutenant les droits et les intérêts des pays en développement.
Quel est l'impact de ces tensions sur les prix du pétrole, notamment le Brent ? Et comment cela affecte-t-il les pays importateurs d'énergie dans un contexte de forte instabilité géopolitique ?
Cette guerre commerciale, ou guerre des tarifs douaniers, entraînera une instabilité et une volatilité considérables sur le marché de l'énergie, particulièrement en raison de la réduction des échanges commerciaux mondiaux. Les prévisions pour le marché de l'énergie indiquent une baisse de la demande, avec des fluctuations notables des prix du pétrole, notamment à la baisse, en raison des droits de douane et des coûts accrus liés aux taxes imposées.
Cette situation aura des répercussions négatives sur les pays producteurs de pétrole, car les frais de transport du pétrole, du gaz naturel et de l'énergie en général augmenteront, ce qui se traduira par une hausse des coûts d'importation pour les pays dépendant de l'énergie.
De plus, cette guerre commerciale pourrait également redessiner l'architecture du marché énergétique mondial. À titre d'exemple, en raison de l'augmentation des coûts de transport, les pays seront contraints de se tourner vers des marchés plus proches pour importer de l'énergie. Ils rechercheront donc des alternatives comme la Russie, les pays de l'Asie centrale ou les producteurs du Moyen-Orient. Autre exemple frappant : au plus fort des tensions géopolitiques et de la crise sanitaire en 2020, les prix du Brent ont chuté de plus de 60 %, en réaction à la baisse de la demande mondiale.
Ceci pour dire que cette guerre commerciale aura un impact négatif sur le marché mondial de l'énergie, avec une baisse de la demande en raison du ralentissement de la croissance commerciale et économique mondiale, ainsi qu'une instabilité croissante des marchés de l'énergie. Elle pourrait ainsi provoquer une redéfinition des flux énergétiques mondiaux et accroître l'instabilité du marché de l'énergie.
Face à cette rivalité sino-américaine, comment les pays en développement, en particulier en Afrique, peuvent-ils se positionner ? Sont-ils contraints de choisir un camp, ou peuvent-ils jouer un rôle d'équilibre ?
Les pays africains ne sont pas obligés de choisir un camp ni à adopter des positions idéologiques spécifiques. Mais la Chine, par exemple, ne conditionne pas son aide à des exigences politiques. Elle propose une coopération fondée sur des intérêts mutuels et le respect de la souveraineté des partenaires.
La Chine a déjà supprimé les droits de douane sur les produits provenant des pays les moins avancés d'Afrique. Cela représente une opportunité pour ces pays d'approfondir leur coopération avec Beijing dans des domaines variés, à l'instar de l'infrastructure, l'éducation, l'énergie, l'agriculture, l'innovation technologique, etc.
Donc, pour les pays africains, il est évident que toutes les nations cherchent à assurer une stabilité économique et des perspectives de croissance. Ceci est encore vrai à l'heure où la Chine offre un environnement plus stable et prévisible au milieu des nombreuses incertitudes géopolitiques croissantes dans le monde, ce qui constitue une opportunité considérable pour ces nations d'élargir leur coopération avec nous.
On ajoute à cela que, historiquement, la Chine entretient aussi des relations de coopération solides et amicales avec les pays africains, sans imposer de conditions politiques à ses partenariats. Au contraire, elle propose des projets économiques sans conditions politiques préalables, basés sur un modèle de coopération mutuellement bénéfique.
La Chine soutient également les mécanismes de coopération régionaux existants, offrant aux pays africains l'occasion de tirer parti de ces partenariats pour favoriser leur développement économique. Cela représente une véritable chance pour les nations africaines de renforcer leur compétitivité tout en bénéficiant du soutien chinois dans divers secteurs.
Et aujourd'hui, l'Afrique peut jouer un rôle d'équilibre en tirant profit de ses relations avec les deux puissances. À titre d'exemple, le Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) a contribué à renforcer les échanges commerciaux entre la Chine et l'Afrique, qui ont dépassé les 250 milliards de dollars annuels ces dernières années.
Dons, dans un monde en mutation, les pays africains gagneraient à diversifier leurs partenariats et à défendre une approche basée sur la souveraineté et le développement durable.
Dans ce contexte de recomposition des échanges mondiaux, comment la Tunisie peut-elle se positionner pour en tirer profit ? Existe-t-il des opportunités concrètes à explorer, notamment avec la Chine ?
Les États-Unis ont récemment augmenté les droits de douane sur les produits en provenance de la Tunisie de 28 %, ce qui, dans le contexte de cette guerre commerciale, incite la Tunisie à chercher de nouvelles alliances stratégiques. Dans ce cadre, la Chine et la Tunisie devraient renforcer leur coopération afin de défendre leurs droits de développement et d'élargir leurs échanges commerciaux bilatéraux. Beijing et Tunis ont, bel et bien, multiplié les initiatives pour développer une relation gagnant-gagnant axée sur la complémentarité économique et le transfert de savoir-faire.
La Tunisie voit dans le partenariat avec la Chine une opportunité pour attirer des investissements directs dans des secteurs stratégiques tels que les infrastructures, l'industrie manufacturière, les énergies renouvelables, les télécommunications, la formation professionnelle, etc. Beijing, de son côté, envisage d'investir dans des plateformes industrielles et autres secteurs en Tunisie, transformant ainsi le pays en hub de production régional.
Sur un autre plan, l'intégration de la Tunisie à l'Initiative “La Ceinture et la Route” constitue aussi un levier important pour booster les exportations tunisiennes vers des marchés non traditionnels et pour intensifier les flux d'investissements chinois. La coopération dans le domaine du tourisme est également en plein essor, la Chine encourageant ses citoyens à visiter la Tunisie, tout en envisageant le transfert de technologies dans divers secteurs.
Dernier développement en date, le groupe chinois Sinoma Ciment a acquis une société tunisienne spécialisée dans la production de ciment, illustrant la dynamique concrète de cette coopération. Par ailleurs, des discussions sont en cours pour développer des partenariats dans le domaine des hautes technologies, avec pour objectif le renforcement de l'innovation et de la compétitivité dans les deux pays.
Dans cette optique, la Tunisie s'emploie à offrir un climat propice aux investissements, favorable à l'établissement de projets durables et à l'augmentation des importations chinoises de produits tunisiens, consolidant ainsi une relation commerciale équilibrée et mutuellement bénéfique.
Finalement et non moins important, les gouvernements tunisien et chinois réaffirment constamment l'importance de consolider leur coopération politique, en veillant au respect mutuel de la souveraineté et des intérêts fondamentaux de chaque nation. Cette convergence diplomatique repose sur un dialogue franc, une compréhension réciproque et une volonté commune de bâtir un partenariat équilibré, durable et gagnant-gagnant.
Ce socle politique solide constitue une condition préalable à toute coopération économique ou sectorielle approfondie. Il permet d'ancrer les relations bilatérales dans une vision de long terme, fondée sur la confiance, la stabilité et la non-ingérence. Et dans un environnement international de plus en plus incertain, cette entente politiqu entre Tunis et Beijing représente un gage de continuité et un levier stratégique pour élargir les domaines de collaboration au-delà de l'économie, notamment dans la culture, la recherche, l'éducation ou encore la diplomatie multilatérale.
©ilBoursa
Publié le 18/04/25 09:59
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