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Retenue à la Source de 35% ou comment détruire les OPCVM

ISIN : TN0009050014 - Ticker : PX1

Par Moez Hadidane

TERA FINANCES

L'Etat vient de détruire le maillon fort de la chaîne de l'écosystème légal de collecte de l'épargne et de financement de l'entreprises. Le décret-loi n°30-2020, qui est entré en application à partir de la date de sa publication au JORT, soit le 10 juin, a instauré au niveau de son article 12 une Retenue à la Source définitive et non restituable au taux plafond de 35% sur les revenus des capitaux mobiliers (contre 20% auparavant) provenant des dépôts à terme et tout produit similaire dont le niveau de rémunération est supérieur au taux de TMM-1% au 1er janvier de l'année concernée par le versement des intérêts et ce, nonobstant le régime fiscal du bénéficiaire des revenus des capitaux mobiliers, même ceux qui en sont exonérés totalement de l'IS par la loi. Ne sont pas concernés par cette mesure, les placements à terme en devises ou en dinar convertible.

Texte de référence

Le décret-loi n°30-2020 du 10 juin 2020 a ajouté un paragraphe 2 bis à la section II de l'article 52 du Code de l'IRPP et de l'IS comme suit :

Sont soumis, les revenus des capitaux mobiliers provenant des dépôts à terme ouverts auprès des banques et de tout produit similaire prévu par la législation et les règlements en vigueur et dont le niveau de rémunération est supérieur au taux de TMM-1% au 1er janvier de l'année concernée par le versement des intérêts, à une retenue à la source définitive et non restituable de 35% et ce nonobstant le régime fiscal du bénéficiaire des revenus des capitaux mobiliers. Ne sont pas concernés par cette mesure les placements à terme en devises ou en dinars convertibles ".

Selon la règlementation fiscale, sont concernés par cette mesure : les revenus des capitaux mobiliers provenant des intérêts et les revenus des dépôts de sommes d'argent (point 3 de l'article 34 du code de l'IRPP et de l'IS) avec la condition (conformément au décret-loi 30-2020), que ces sommes soient logées dans des comptes ouverts auprès des banques et dont le niveau de rémunération dépasse TMM-1% (le TMM du mois de janvier 2020 est de 7,81%). 

Produits concernés 

Par conséquent, les revenus d'intérêts des placements monétaires soumis à une Retenue à la Source définitive et non restituable de 35% comprennent :

Impacts économiques

Dans sa politique prétendue de lutte contre le marché parallèle, l'évasion fiscale et le blanchiment d'argent, l‘Etat trouve la solution miracle de taxer non pas le cash en circulation hors circuits formels, mais l'épargne légale et transparente. Toutes les économies du monde encouragent l'épargne, source ultime de financement de la croissance économique. Mais en Tunisie, il semble que l'épargne, et encore plus lorsqu'elle est légale, n'est pas encouragée, au contraire, elle est taxée et encore plus au taux plafond de 35%.

Sans rentrer dans la théorie économique et les définitions des termes impôts, taxes, redevances, et le rôle de chacun, puisque nous nous sommes tellement éloignés des concepts de base et de la vocation d'un impôt, rappelons-nous un principe universel : alléger ou exonérer de l'impôt quelque chose c'est l'encourager, et augmenter son impôt revient à la décourager.

Le PIB de la Tunisie pour l'année 2019 est de 114 milliards de dinars. Les crédits intérieurs (Concours à l'économie et créances nettes sur l'Etat) accordés par le système financier résident est de 115,8 milliards de dinars. Sur ce montant, les banques détiennent 94,2 milliards de dinars d'encours de crédits intérieurs dont 83,4 milliards de crédits à l'économie et 10,8 milliards de créances nettes sur l'Etat. Les 94,2 milliards de dinars de crédits (82,6% du PIB) accordés par les banques à l'économie et à l'Etat représentent 73,3% du total emplois des banques (i.e. total ressources). En effet, la situation agrégée de l'ensemble des banques résidentes fait ressortir un total actif (i.e. total passif) de 129,5 milliards de dinars au 31 décembre 2019.

La structure des ressources des banques est dominée par les dépôts de la clientèle. Les dépôts à terme et les certificats de dépôts représentent ensemble 15% des ressources des banques, et plus exactement 19,4 milliards de dinars : 17% du PIB.

Ces ressources représentent une composante de l'épargne du circuit formel, qui est censée être allouée au financement des entreprises, des particuliers et de l'Etat. Les épargnants ayant déposé leurs économies dans des comptes à terme ou dans des Certificats de dépôts cherchent une rémunération attrayante (dans un contexte inflationniste) qu'ils ne pourraient obtenir s'ils investissaient tout seuls... C'est la vocation des intermédiaires financiers d'allouer ces ressources, dont les banques sous forme de crédits en mobilisant un arsenal de ressources humaines et logistiques.

Taxer à 35% ces instruments de placements, c'est menacer 19,4 milliards de dinars de ressources d'épargne. La fuite de cette épargne hors circuit bancaire ne va surement pas alimenter l'investissement, mais tout simplement la thésaurisation.

Les pourvoyeurs des fonds placés dans les dépôts à terme et les CD sont constitués principalement par des épargnants particuliers, des entreprises en excédent de trésorerie, des institutionnels et surtout l'épargne collective, en d'autres termes les OPCVM (Organismes de Placement Collectif en Valeurs Mobilières regroupant les SICAV et les FCP). Ces derniers (les OPCVM) sont un acteur majeur au sein d'un marché financier, au vu de leur double rôle : vecteur d'épargne et véhicule d'investissement. En effet, les OPCVM collectent de l'épargne d'un côté et procèdent ensuite à son allocation optimale à l'investissement sur les marchés financiers et monétaires.

Des milliers, voire des dizaines de milliers de tunisiens, en quête de rendement et surtout de liquidité, placent leur petite épargne dans des OPCVM. Ce mécanisme donne une force aux gérants des OPCVM pour investir des montants plus conséquents (que si chacun investit tout seul) à travers les mécanismes du marché, en cherchant les meilleures opportunités d'allocation du capital. Les OPCVM offrent également l'avantage exclusif par rapport à tout autre instrument financier ou monétaire rémunéré, de fournir la liquidité immédiate de l'épargne immobilisée.

En effet, un OPCVM a l'obligation de racheter ses propres actions ou parts à tout actionnaire ou porteur de parts qui en fait demande. C'est pourquoi, le concepteur de ce support a toléré à tout OPCVM d'immobiliser seulement 50% de ses actifs dans des titres longs et le reliquat : 20% dans des placements de très court terme notamment les dépôts à terme et 30% dans des titres de créances négociables comme les certificats de dépôts ou les billets de trésorerie.

Le principe de fonctionnement des OPCVM se base sur la probabilité qu'au maximum 50% des épargnants feront la demande de racheter leurs actions ou parts d'OPCVM dans un court délai. En contre partie de l'immobilisation de 50% de ses actifs dans des titres de long terme (actions et obligations), et les risques inhérents, le législateur a accordé aux OPCVM une exonération de l'IS.

Les OPCVM figurent parmi les principaux investisseurs dans des produits monétaires de court terme, en particulier, les dépôts à terme et les Certificats de dépôts. La taxation à 35% des revenus des intérêts avec une retenue à la source DEFINITIVE et NON RESTITUABLE, pour des entités exonérées de l'impôts (IS) par la loi, menace toute l'industrie des OPCVM (sociétés de gestion, intermédiaires en bourse, dépositaires etc.) et indirectement les banques.

Les OPCVM ont longuement souffert ces dernières années en raison de l'instabilité fiscale, surtout avec l'institution d'un impôt sur les dividendes de 5% à partir du 1er janvier 2015 (loi de Finances 2013) et son relèvement à 10% à partir du 1er janvier 2018 (loi de Finances 2018). L'épargne collective connait aujourd'hui des difficultés en raison de la concurrence et l'effet d'éviction exercé par les banques elles-mêmes dans un contexte de taux monétaires élevés.

L'épargne gérée par les OPCVM a fondu de 25% au cours de ces huit dernières années (-1,27 milliard de dinars). Aujourd'hui, les OPCVM gèrent des actifs de 3,6 milliards de dinars contre quasiment 5 milliards en 2012. En pourcentage du PIB, l'épargne gérée par les OPCVM représente 7% du PIB en 2012, alors qu'elle n'est que de 3,2% actuellement.

L'institution d'une RS au taux plafond de 35% sur des produits de placement aussi indispensables pour les OPCVM, est une forte aberration du gouvernement, d'autant plus que les OPCVM sont exonérés par la loi, de l'impôt sur les sociétés (IS). Mais le génie tunisien ne s'arrête pas là. Incompréhension ou inconscience, l'impôt (RS) est dû avec effet rétroactif pour tout versement d'intérêts qui advient après le 10 juin 2020. Or, les OPCVM clôturent leurs bilans tous les jours (ou toutes les semaines) ce qui posera un premier problème de recalcul de la valeur liquidative depuis la date de souscription à un DAT ou TCN.

Recalculer une VL alors qu'entre temps des centaines d'opérations de souscriptions et de rachats ont été effectuées pose le second problème de l'équité entre les actionnaires ou porteurs de parts de l'OPCVM. La troisième difficulté réside dans le fait que les intérêts des certificats de dépôt sont payés d'avance conformément à la circulaire aux établissements de crédits n° : 2005-09 du 14 juillet 2005.

Au-delà des difficultés de traitement de ces points, la soumission des OPCVM à un impôt de 35% sur les revenus des produits monétaires est un non-sens économique et se contredit avec la vocation et la raison d'être des OPCVM. On ne peut mieux faire pour anéantir cette industrie.

Publié le 19/06/20 11:41

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