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Délaissé sous le gouvernement Benkirane, le tourisme saura-t-il tirer son épingle du jeu sous Mohamed Sajid ? Le ministre prépare d'ores et déjà sa feuille de route et s'affranchit timidement de la Vision 2020.
"L'ancien gouvernement n'a rien fait pour le tourisme", répètent en chœur les professionnels du secteur. Des touristes au compte-gouttes, des recettes maigres, une gouvernance molle et indécise, un Plan Azur noyé… la Vision 2020 est loin d'avoir gagné son pari.
Après un quinquennat pour le moins terne de Lahcen Haddad, tous les regards sont désormais tournés vers la nouvelle équipe. Deux mois après leur nomination, le nouveau ministre et la secrétaire d'Etat Lamia Boutaleb ont ainsi réuni les professionnels autour d'un ftour, avec au menu la présentation lapidaire d'un diagnostic de la Vision 2020 et un bref échange autour du secteur.
L'étude présentée, réalisée par le cabinet Boston Consulting Group (BCG) pour un montant de 7 millions de dirhams, "ne révèle pas grand-chose", nous ont confié plusieurs sources qui étaient présentes à la réunion. "Les recommandations qui ont été faites par BCG évoquent des actions prioritaires. Mais elles n'ont encore été validées ni par le ministère ni par les professionnels", nous explique Fouzi Zemrani, vice-président de la Confédération nationale du tourisme (CNT).
Quelle voie Mohamed Sajid compte-t-il donc emprunter pour tirer le secteur de sa léthargie ? Tout est encore flou.
Un pilote dans l'avion ?
Le mode de gouvernance, qui vacille au gré des mandats, figure parmi les priorités de Mohamed Sajid. Un point du diagnostic de BCG qui fait l'unanimité auprès des professionnels. "Le problème de gouvernance a toujours été admis mais n'a jamais été débattu", nous dit un opérateur. Vaste chantier auquel le patron de l'Union constitutionnelle devra s'atteler au fur et à mesure de son mandat.
Pour commencer, il entend d'abord mettre en place un comité du tourisme "moins formalisé qu'une haute autorité mais plus formel que ce qu'il y a eu jusqu'à présent", nous dit un responsable du secteur. Selon nos informations, le Chef du gouvernement a été sollicité pour un décret créant ce nouveau comité "composé de quatre ou cinq ministères d'un côté et de quatre ou cinq responsables du privé", confie une source proche du dossier. Mais ce n'est là qu'un pis-aller pour remplacer, du moins momentanément, la Haute autorité du tourisme, instance prévue dans la Vision 2020 et censée garder un œil sur le suivi de la stratégie touristique, mais dont la création a été remise aux calendes grecques depuis sept ans.
Côté gouvernance encore, BCG ne manque pas de rappeler que le ministère du Tourisme doit être le fer de lance de la stratégie. "Il doit défendre la cause du tourisme. Il doit aussi faire des arbitrages et fédérer, quand il le faut, plusieurs ministères autour de lui : le Transport, l'Intérieur, les Finances, l'Education…", explique un responsable, résumant la recommandation du cabinet.
Ce qui est sûr, c'est que Sajid et Boutaleb n'entendent pas faire cavalier seul, puisqu'un comité d'experts sera constitué dans les trois prochains mois pour établir une feuille de route où seront fixées les priorités du secteur. "Nous sommes conscients qu'il faut aller très vite parce qu'on a perdu beaucoup de temps", commente, confiant, Fouzi Zemrani. "On donnera une période de grâce de 100 jours au ministre, au-delà, il faut qu'il y ait des actions. Si on se laisse enrober, comme ce fut le cas avec Haddad, on est cuit", explique de son côté le responsable d'une fédération.
On se jette à l'eau
Autre nouveauté : BCG recommande de donner un coup d'accélérateur à Marrakech et Essaouira d'un côté, et à Agadir et Taghazout de l'autre. La raison invoquée est que les deux destinations, disposant d'une capacité litière suffisante et d'un arrière-pays attirant, sont d'ores et déjà prêtes à accueillir plus de touristes. "Selon l'étude de BCG, Marrakech peut capter rapidement 800 000 nouveaux clients sur nos différents marchés. Pareil pour Agadir, qui peut accueillir aussi rapidement 600 000 nouveaux touristes", précise un opérateur.
Qu'en est-il du Plan Azur qui peine encore à sortir la tête de l'eau ? Rien de nouveau sous le soleil. "Le sujet a été survolé par le cabinet", nous dit-on. Une chose est sûre : Agadir et sa station balnéaire Taghazout, avec deux hôtels déjà opérationnels, sera prioritaire. "Cela ne veut pas dire que les autres destinations seront délaissées mais, à court terme, il faut mettre à profit la capacité de croissance de ces deux villes", nuance le vice-président de la CNT.
Même topo en ce qui concerne l'aérien : priorité aux principaux marchés émetteurs, c'est-à-dire la France, l'Espagne, l'Allemagne et le Royaume-Uni. "Il faut développer des lignes point à point sur des bassins émetteurs qu'on connaît, car ça ne sert à rien de cibler de nouvelles destinations alors que les marchés traditionnels ne sont pas pleinement exploités. Je préfère doubler ou tripler les dessertes sur des marchés demandeurs plutôt que d'aller chercher des clients ailleurs", détaille Fouzi Zemrani, en référence à une autre recommandation du cabinet de consulting.
Quant à la promotion, il faut entrer dans l'ère du digital, domaine dans lequel la destination Maroc fait pâle figure. "Quand vous faites un commentaire désobligeant sur une destination en Turquie, vous avez une armée d'internautes pour couvrir votre commentaire par d'autres commentaires positifs. Ici, il se passe le contraire, les gens noircissent encore le tableau", compare notre source. Le Maroc aura-t-il aussi son armée digitale ? Selon notre interlocuteur, la mesure est envisagée.
Une vision de l'esprit ?
A moins de trois ans de l'échéance de la Vision 2020, seuls 10 millions de touristes (dont la moitié est composée de MRE) foulent le sol du royaume annuellement. Quant au Plan Azur, vaisseau amiral de la stratégie touristique depuis dix-sept ans, il est devenu pour ainsi dire un sujet à éviter. Les recommandations de BCG ne suggèrent-elles pas une redéfinition de la Vision de Yasser Zenagui ?
"Aucun objectif de la Vision 2020 ne sera revu. Certains ont mal compris ou alors ils ont volontairement véhiculé cette lecture", nous déclare Hamid Bentahar, président du Conseil régional du tourisme (CRT) de Marrakech.
Même écho auprès de Fouzi Zemrani : "L'étude n'est pas venue pour apporter une alternative ou contredire la Vision 2020. Ce n'était pas l'objectif." Sauf que le Plan Azur n'est plus cité comme priorité et que les plus importants outils de gouvernance — la Haute autorité du tourisme et les Agences de développement touristiques — sont à peine évoqués.
"On n'abandonne aucun objectif de la Vision 2020. Il y aura des arbitrages à faire mais, pour l'instant, il faut être opportuniste pour avancer rapidement", conclut le vice-président de la CNT.
Bilal Mousjid
Publié le 20/06/17 13:50
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