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Le ministre de l'Economie et des Finances défend son projet de budget pour l'année 2018, explique pourquoi la croissance du PIB reste toujours liée à la pluie et aux céréales, et expose les options économiques d'avenir pour inscrire le pays sur la voie de l'émergence.
Mohamed Boussaïd nous reçoit dans son bureau au ministère de l'Economie trois jours après sa présentation du projet de Loi de Finances devant le parlement. Et 72 heures après le zilzal politique provoqué par Mohammed VI. Un sujet que l'argentier du royaume déclare d'entrée de jeu ne pas vouloir évoquer. Même pas un commentaire sur les limogeages ou sur leur impact sur la coalition gouvernementale ? “Non. Pas un mot”, nous lance-t-il.
Zappons donc toutes les questions d'ordre politique et concentrons-nous sur l'économie et les finances, un département que le ministre RNI dirige depuis 2013. Conjoncture, croissance, budget, fiscalité, emploi, modèle de développement… Boussaïd répond à tout, avec un langage technique, carré, digne de l'ingénieur qu'il est. On sent dans ses réponses une patte très libérale, doublée d'un penchant social quand il s'agit de parler d'éducation, de santé ou de service public. N'attendez surtout pas de lui qu'il cite Keynes ou Stiglitz pour appuyer son raisonnement. Un pur technicien en somme, pas du tout idéologue, comme sait en produire le RNI.
Première question que nous avons envie de poser au ministre de l'Economie et des Finances : quel regard portez-vous sur la conjoncture économique ?
Au regard des chiffres, la conjoncture est bonne. Tout est au vert. Les exportations continuent sur leur lancée. Tous les secteurs, hormis le BTP, se portent bien. La consommation des ménages aussi.
Les opérateurs économiques parlent pourtant de “crise non dite”. Pourquoi la perception des opérateurs ne colle pas aux chiffres ?
Nous ne pouvons pas parler de crise. Bien au contraire. Mais je comprends cette perception négative que certains peuvent avoir et qui provient surtout du monde politique. Le politique a donné des signaux qui n'étaient pas bons. Ce qui a entamé la confiance des opérateurs qui ont adopté une position d'attentisme. Mais aujourd'hui plus que jamais, le Maroc, au niveau de ses fondamentaux, est solide. Et ce n'est pas moi qui le dit, ce sont toutes les institutions internationales.
On va atteindre cette année 4,6% de croissance, tirée certes par la bonne campagne agricole, mais aussi par la reprise des activités non agricoles. Le tout dans une situation macro-économique saine avec une inflation maîtrisée. Parler de crise n'a donc pas lieu d'être. Surtout que l'économie mondiale se porte de mieux en mieux. Une reprise qu'il faut anticiper et préparer dès à présent. Et c'est aujourd'hui qu'il faut travailler, investir…
Dans votre projet de Loi de Finances, vous prévoyez pourtant une croissance d'à peine 3,2%
pour l'année 2018...
C'est une prévision réaliste, qui se base sur des hypothèses réalistes qui ont trait à la campagne céréalière où nous tablons sur une année moyenne, avec une récolte de 70 millions de quintaux. On prévoit aussi une poursuite de la reprise des activités non agricoles.
L'agriculture s'est largement diversifiée depuis le lancement du Plan Maroc Vert. La croissance du PIB reste pourtant très liée aux céréales et donc au bon vouloir du ciel. Comment expliquez-vous cela ?
Notre agriculture a complètement changé ces dix dernières années, avec l'émergence de nouvelles filières, tels que l'arboriculture, les agrumes, le maraîcher ou encore l'olivier. Sur ce dernier par exemple, nous avions 660 000 hectares en 2008.
Nous sommes aujourd'hui à un million d'hectares, avec une prévision de production de 1,6 million de tonnes, soit 48% de plus que l'année dernière. C'est dire si la contribution actuelle du secteur agricole en termes de valeur ajoutée n'a rien à voir avec celle d'il y a dix ans. Notre PIB s'est aussi relativement autonomisé par rapport au secteur agricole. En 2016 par exemple, nous avons fait 1,2% de croissance malgré la sécheresse. Si on transposait cette situation aux années 1990, on obtiendrait certainement une croissance négative.
Pourquoi donc cette forte dépendance aux céréales, alors qu'elles ne représentent qu'une petite partie de la production agricole ?
Les céréales ne représentent certes que 15% de la valeur ajoutée agricole, mais une mauvaise campagne induit des effets sur la consommation des ménages dans le monde rural, qui représente 46% de la population active du pays. Il y a aussi un effet psychologique, certainement. Quand la pluie est là, ça donne envie de consommer, même dans les zones urbaines.
Est-ce qu'on va arriver un jour à dépasser le plafond des 5% de croissance ?
Notre pays a aujourd'hui un potentiel de croissance estimé entre 4 et 5% maximum. La première chose à faire, c'est atteindre ce potentiel et s'y stabiliser. Et pour cela, il faut continuer de moderniser l'agriculture pour autonomiser le PIB par rapport aux variations de la campagne céréalière. Et d'un autre côté, diversifier l'économie pour améliorer le PIB non agricole. C'est ce que le Maroc entreprend en investissant dans les filières industrielles. Pour dépasser ce potentiel de croissance, il n'y a pas d'autre solution que d'investir massivement dans l'économie du savoir, de la connaissance et des technologies à forte valeur ajoutée. Il faut investir également dans l'économie verte, qui est une niche d'avenir. Cela renvoie à un changement de notre modèle de croissance.
Mais avant cela, il faudra d'abord augmenter la part de l'industrie dans le PIB. Avec une contribution de 13 à 14%, nous ne pouvons pas dire que nous soyons une économie émergente comme certaines économies asiatiques où la part de l'industrie dans le PIB dépasse les 22%. C'est justement cela l'objectif fixé par le Plan d'accélération industrielle. Et nous avons mis tous les moyens pour y arriver.
Dans son dernier discours devant le parlement, le roi a appelé à un changement de modèle de développement. Le gouvernement a répondu par la création d'une commission qui doit se pencher sur la question. Comment va être gérée cette transition ?
Il faudrait d'abord préciser que le modèle de développement est pris ici au sens large. Si le modèle de croissance concerne les aspects de production de richesse, le modèle de développement inclut également la question de la redistribution de cette richesse. Sa Majesté l'a signalé à plusieurs reprises dans ses discours : nous avons doublé notre PIB entre 2000 et aujourd'hui, mais est-ce que cette croissance a été ressentie par tout le monde ? C'est cette équation qu'il faut résoudre. La réflexion qui sera lancée doit y répondre. Et la première clé de redistribution des richesses, c'est d'assurer aux citoyens un accès égalitaire à un enseignement de qualité, à des soins de santé convenables et à un marché de travail dynamique et transparent, tout en leur assurant les filets sociaux nécessaires.
C'est donc un nouveau projet de société qu'il faut concevoir, qui s'attaque à la fois aux aspects humains et sociaux, mais aussi à l'amélioration de notre système de production. Car, au final, si vous ne produisez pas de richesse, vous allez distribuer de la pauvreté.
Le projet de Loi de Finances de l'année 2018 ne répond à aucune de ces questions. Peut-on dire que c'est un budget de transition ?
C'est un budget qui tient compte des priorités du moment, mais qui ne répond pas à la question du changement de modèle de développement. La réflexion va prendre quelques mois et sa mise en place des années. Il faut être réaliste. Un modèle, ça ne s'invente pas du jour au lendemain. Ce serait prétentieux de dire que ce projet de Loi de Finances répond à la question du changement de modèle de développement. Loin de là.
Quelles sont alors les priorités du moment auxquelles il répond ?
Tous les secteurs sociaux où il y a des besoins pressants. Nous avons fait dans ce projet un effort considérable pour les soutenir sur le plan budgétaire, mais également sur le plan des ressources humaines. Dans l'éducation, nous avons créé 55 000 postes budgétaires entre 2017 et 2018. C'est du jamais vu dans l'histoire du pays. Et cela répond à une aspiration légitime des citoyens : nous ne pouvons pas avoir une éducation de qualité si nos classes sont en sureffectif ou si nous avons trois ou quatre niveaux dans une même classe.
Même chose pour la santé où il y a un manque chronique de personnel médical. Nous allons également poursuivre le soutien direct aux populations vulnérables à travers les programmes Tayssir, Ramed, l'INDH, les bourses aux étudiants, les aides aux veuves, un million de cartables… Tous ces mécanismes seront maintenus et renforcés.
L'emploi des jeunes est l'une des grandes problématiques sociales du moment. Comment comptez-vous y remédier sachant que la croissance ne dépassera pas 3,2% en 2018, selon vos prévisions ?
Créer de l'emploi, ça ne se décrète pas. Et ça ne se fait pas dans les bureaux du ministère, mais principalement à travers le secteur privé. Et le privé ne peut créer de l'emploi qu'en investissant. C'est ce que nous avons essayé de promouvoir dans ce projet de Loi de Finances en accordant des incitations au privé pour lui redonner le goût d'investir.
Sur le plan fiscal notamment, le package est relativement attractif : IS progressif, exonération des droits d'enregistrement en cas d'augmentation de capital, amélioration des services de l'administration fiscale, règlement des arriérés de la TVA… Notre objectif est d'améliorer la trésorerie des entreprises et leurs capacités financières pour relancer l'investissement. Ce n'est pas suffisant bien sûr, parce que la relance de l'investissement est liée aussi à d'autres chantiers aussi importants que la fiscalité, comme la réforme de l'administration, le marché du travail, le fonctionnement des CRI, la lutte contre la corruption… Si nous voulons dynamiser l'emploi des jeunes, il faut jouer sur tous ces leviers. Et également améliorer leur employabilité et développer leur esprit entrepreneurial.
L'Etat accuse toujours un manque à gagner de 33,4 milliards de dirhams à cause des différentes exonérations fiscales accordées ici et là. Ne comptez-vous pas en finir avec ces avantages dont on ne mesure même pas l'impact économique ?
La politique fiscale doit être au service de l'économie et de la politique sociale. Si vous prenez ces dépenses fiscales par impôt, vous allez trouver que des secteurs et des produits en bénéficient plus que d'autres. Les produits alimentaires de base sont à TVA nulle par exemple : c'est un soutien à la consommation et au pouvoir d'achat.
Pour l'IS, ces décisions ont été prises à un moment donné pour soutenir certains secteurs et utilisées comme levier pour accompagner une politique économique. Mais tout cela, c'est du passé. Je ne vous cache pas que je ne suis pas adepte de cette école, je privilégie le soutien direct à certains secteurs, comme c'est le cas pour le fonds de développement industriel, plutôt que d'accorder des exonérations fiscales qui créent des distorsions dans l'économie et des dysfonctionnements dans la collecte de l'impôt.
Notre politique fiscale doit évoluer vers la suppression graduelle de ces avantages, tout en travaillant sur l'élargissement de l'assiette et la réduction de la pression fiscale.
C'est pour cela que vous vous êtes opposé au plan du logement à 400 000 dirhams destiné à la classe moyenne, qui prévoyait justement une exonération de l'IS ?
Je ne me suis pas opposé à ce plan, la classe moyenne doit en bénéficier. Mais est-ce que la réduction du coût de ces logements doit relever uniquement de la fiscalité ? Et est-ce que ça doit relever de l'IS ? Cet impôt est payé quand vous gagnez de l'argent. Si vous en perdez, vous ne le payez pas. Je suis pour le soutien des citoyens, mais l'argent doit aller dans la poche des citoyens, pas dans les comptes d'exploitation des promoteurs immobiliers.
Ceci dit, je suis toujours en discussion avec les professionnels du secteur. L'objectif c'est d'arriver à produire un logement pour la classe moyenne à 400 000 dirhams. Et pour cela, il faudrait explorer toutes les solutions pour y aboutir, y compris celles liées à l'urbanisme. Les promoteurs me disent d'ailleurs que si nous leur accordons plus de hauteur dans certaines villes, ils peuvent faire ce logement sans avoir recours aux avantages fiscaux.
Vous dites qu'il faut en finir avec les exonérations fiscales. Mais vous exonérez en même temps plusieurs types d'opérations financières dans ce projet de Loi de Finances, comme les opérations de haut de bilan en cas d'augmentation de capital ou de fusion…
Quand nous supprimons les droits d'enregistrement pour les augmentations de capital, nous n'instaurons pas une exonération fiscale, mais nous mettons juste fin à un non-sens financier et économique. Nous ne pouvons pas demander à un entrepreneur qui cède des actions pour intégrer un nouveau partenaire dans son tour de table, ou qui revend carrément son entreprise à un nouvel investisseur en vue de la développer, de payer 4% de droits d'enregistrement. Ce n'est pas logique, sachant que quand vous achetez des actions en Bourse, vous ne payez rien. C'est vrai que ça nous coûtera au niveau des recettes, mais cet impôt ne devait pas être là à la base.
Vous avez instauré l'IS progressif, mais le taux plein de cet impôt au Maroc reste très élevé comparé à d'autres pays de la région. Etes-vous adepte d'une baisse de cet impôt ?
Je crois que nous avons abouti aujourd'hui à un système de l'IS qui est correct et qui doit rester inchangé sur les prochaines années. Je suis pour une stabilité fiscale et nous n'allons pas chaque année nous amuser à changer de grille. Si changement il y a, ce sera effectivement une baisse des taux. C'est une tendance mondiale à laquelle nous ne pouvons pas échapper.
Cette baisse est-elle possible “budgétairement” ?
Si nous arrivons à élargir l'assiette fiscale et à éliminer les exonérations, oui nous pouvons baisser le taux de l'IS.
PROPOS RECUEILLIS PAR Mehdi Michbal
Publié sur Telquel N° 785 du 3 au 9 novembre 2017
Publié le 12/11/17 18:59
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