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L'empire des Tajmouati renaît de ses cendres

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Un incendie, la mort du fondateur et un conflit sur l'héritage ont suffi à mettre à terre l'empire Tajmouati de la porcelaine. Une fatalité que n'a pas acceptée une partie de la famille. Kamal et Mehdi Tajmouati ont tout repris à zéro, avec la société Maraterre.

"Mes plats préférés sont les roses", décrit Abdelhak Berouaz, en tenant entre ses mains une assiette aux dessins raffinés, dont le logo bleu “Tajmouati - Peint à la main - made in Morocco” contraste avec le blanc de la porcelaine. Entre 1985 et 1987, il était chargé de la production des pièces faites main du Complexe de céramique du Maroc (Cocema). Aujourd'hui, il est l'un des trois ouvriers artisans qui peignent à la main la porcelaine de la nouvelle société Maraterre. Fondée par Kamal et Mehdi Tajmouati, membres de la grande famille, cette dernière est la petite sœur de l'illustre usine de porcelaine et de carreaux de Fès, qui a mis la clé sous la porte en 2009.

Ravagée par un incendie, Cocema s'est effondrée, faisant trois morts et détruisant la majorité des machines. Dans l'incapacité de se relever, l'usine de porcelaine de Fès a dû licencier près de 800 salariés qu'elle a indemnisés à hauteur de 60 millions de dirhams. “C'est un héritage de notre famille que nous avons perdu”, se désole Kamal Tajmouati, neveu d'El Haj El Hadi Tajmouati, fondateur de l'empire de porcelaine.

Héritage national

Le “petit génie illettré”, comme le qualifie Kamal Tajmouati, s'est construit seul à Fès. Artisan en argenterie, El Haj El Hadi Tajmouati a d'abord créé la société Ettaj pour produire des théières au début des années 1960. En parallèle de la construction de logements à Fès, il fonde la société Cocema, immatriculée en 1966. Carreaux, céramiques, visserie, vaisselle… l'usine devient rapidement une réussite. Dans un contexte d'économie protectionniste fermée à la concurrence internationale, elle est la seule société à produire de la porcelaine au Maroc. “Je travaillais avec 120 femmes sur les pièces faites main”, décrit Abdelhak Berouaz, qui se rappelle qu'El Haj El Hadi venait très souvent dans l'usine pour s'assurer de la bonne marche du travail. “C'était un homme très bon. Il est irremplaçable”, témoigne l'ouvrier-artisan devenu fondateur de coopérative à Fès.

Kamal Tajmouati, lui, a travaillé plus de 20 ans pour son oncle en tant que représentant des boutiques de l'usine dans la région sud. “Il nous répétait : ‘Il faut persévérer pour réussir'. Il était très dur au travail, très sévère. Il ne permettait pas les erreurs, mais c'était quelqu'un de très bon”, se souvient-il, ému.Le travail de celui qui “ne faisait pas de sieste” a payé.

Quelques années plus tard, ses plats en porcelaine se retrouvent dans tous les foyers marocains. Les assiettes décorées d'un croissant de lune sont connues pour être sorties à chaque grande occasion, notamment pendant le ramadan. Le service de porcelaine Tajmouati et ses célèbres assiettes est devenu le cadeau de mariage offert aux nouveaux époux, qui le transmettent de génération en génération. “Au début, nous avions un mal fou à vendre la porcelaine car les Marocains avaient l'habitude d'utiliser de la vaisselle en faïence, en poterie ou en métal. La porcelaine était rare”, explique Kamal Tajmouati. “Puis, notre porcelaine est entrée dans les foyers”, permettant au self-made-man fassi de construire un véritable empire industriel. En 2008, un an avant la fermeture de l'usine, Cocema réalisait un chiffre d'affaires de 157 millions de dirhams. En 2009, il tombe brutalement à 8 millions, puis pratiquement plus rien.

Litiges familiaux

Le fondateur de l'empire est décédé le 19 juillet 2011 à 90 ans, laissant derrière lui une famille éclatée, une société en chute libre, mais une fortune de plusieurs centaines de millions de dirhams. “Avant, nous étions unis”, raconte Mehdi Tajmouati, fils de Kamal, qui se souvient des vacances passées en famille dans la résidence de Bahia Smir dans le nord, un complexe de loisirs de 300 villas construit par El Haj en 1994 entre M'Diq et Sebta. “Il ne pouvait pas avoir d'enfants, il nous considérait tous comme les siens”, explique Kamal Tajmouati, qui fait partie des 15 cousins à hériter de la fortune, encore bloquée par des litiges familiaux. “Le jour de l'enterrement, une des cousines est arrivée avec un testament pour demander un tiers de l'héritage”, raconte Mehdi Tajmouati. Un document que la famille n'accepte pas. “Chacun voulait sa part du gâteau”, se désole-t-il.

“Il fallait que quelqu'un prenne le flambeau pour faire perdurer la tradition familiale”, témoigne le jeune homme d'affaires de 35 ans, qui s'est associé avec son père Kamal, sa mère et ses deux frères. Le jeune ambitieux aux yeux bleus est devenu directeur général de Maraterre, la société née fin 2008 où a été reprise à zéro la production de vaisselle en porcelaine, avant même que l'usine Cocema ne brûle. “Je me suis appuyé sur l'héritage du nom familial pour décoller et de l'expérience de 20 ans de mon père à Cocema”, assume Mehdi Tajmouati. Une reprise de l'affaire familiale qui “n'a pas fait que des heureux dans la famille”, confesse-t-il. 

Retour vers le présent

Sur la route d'Agadir, à une demi-heure de Marrakech, une quinzaine d'ouvriers travaillent à produire environ 1000 assiettes par jour. Les anciens modèles de Cocema se mélangent aux nouveaux de Maraterre à la sortie des fours, où des plats cuisent pendant des heures à une température pouvant atteindre 1400 degrés. “Le personnel de l'usine travaille avec de la porcelaine blanche achetée au Maroc ou importée de Corée, d'Espagne et du Portugal. Il colle dessus un film plastique où sont imprimés les motifs. Dans le four, la porcelaine devient malléable et la peinture s'incruste dans l'assiette”, explique Mehdi Tajmouati.

Beaucoup de personnes qui ont acheté des services il y a 20 ans sont alors revenus acheter les classiques que produisait Cocema. Cette production en décalcomanie représente la moitié du chiffre d'affaires, que le patron estime entre 7 et 8 millions de dirhams. “Pendant plus de 30 ans, ces modèles mythiques n'ont pas été déposés, je suis donc allé le faire à l'Ompic”, explique-t-il en manipulant une assiette aux mosaïques bleues.

Alors que la marge est assez faible sur les assiettes classiques reproduisant le célèbre “bleu de Fès”, Mehdi Tajmouati mise plutôt sur la gamme premium faite à la main. Ces services de vaisselle sont minutieusement peints un à un par les trois ouvriers-artisans, dont Abdelhak Berouaz.

L'homme de 48 ans déambule fièrement dans la boutique de Marrakech, inspectant les pièces colorées et incrustées d'or qu'il a dessinées. “Le rose, le violet et le vert pistache sont mes créations”, affirme celui qui garde jalousement son secret. Ces services finement décorés avec des arabesques en or, des croissants de lune et des couleurs originales sont vendus à plus de 6000 dirhams. Une gamme dont est friand le Palais, l'un des clients les plus importants de Mehdi Tajmouati. Tout comme chez son aïeul, les princes et princesses se fournissent en vaisselle pour décorer leurs tables. Mais le jeune homme d'affaires, qui exporte déjà 40% de sa production, cherche aussi à séduire au-delà des frontières. Il compte parmi ses clients étrangers Ali Bongo, le président du Gabon, et un cheikh du Koweït. “Après l'Europe, la région Moyen-Orient-Afrique du Nord est ma deuxième zone d'exportation, surtout pour les modèles chargés en décoration”, explique-t-il.

Il s'appuie sur un réseau de revendeurs pour écouler sa marchandise, mais il espère pouvoir ouvrir des franchises Maraterre d'ici deux ans. Pour l'instant, une grande partie de son stock est écoulée sur commande, notamment dans les grands hôtels marrakchis, comme le Four Seasons, le Grand Hôtel Savoy, le Royal Mansour et le Mandarin Oriental, mais aussi dans des restaurants et des hôtels à Londres, Dubaï et aux Émirats arabes unis. “Cocema était un mastodonte, nous sommes plus petits. J'espère devenir aussi connu, mais nous n'en sommes qu'à nos débuts”, rêve le jeune héritier.

PAR Théa Ollivier

Publié sur Telquel N° 759 du 7 au 13 avril 2017

Publié le 09/04/17 16:52

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