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Energie : Le Maroc est-il vraiment en marche vers le nucléaire ?

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Alors que de nombreux pays développés sont engagés dans la dénucléarisation, le Maroc, comme d'autres pays africains, envisage le chemin contraire. La question prend une dimension nouvelle avec la signature, le 11 octobre, d'un accord avec la Russie sur l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire.

Dans un pays qui importe encore environ 95% de ses besoins énergétiques, “toute énergie est bienvenue, si elle est sûre et permet de garantir un approvisionnement énergétique fiable, abordable et durable”, considère Hamid Marah, directeur des études et de la recherche scientifique au CNESTEN (le Centre national d'énergie des sciences et des techniques nucléaires).

Créé en 2003, ce centre, situé entre Salé et Kénitra, abrite le seul réacteur nucléaire du royaume. Destiné à la recherche scientifique dans l'application des techniques nucléaires, il est doté d'une puissance de 2 mégawatts et emploie environ 250 personnes.

L'intérêt du Maroc pour l'énergie nucléaire ne date pas d'hier, puisqu'une étude de faisabilité avait déjà été menée en collaboration avec la France au début des années 1990. Elle avait abouti à déterminer un site potentiel pour l'installation d'une centrale répondant aux normes internationales, situé entre Safi et Essaouira. Pour l'heure, la stratégie énergétique, qui fixe 52% d'énergies renouvelables à l'horizon 2030, n'inclut pas l'énergie nucléaire. Cela ne signifie pas pour autant qu'elle n'est pas sérieusement envisagée pour répondre aux besoins énergétiques croissants du pays.

Pas avant 2030

“Pour le long terme, au-delà de 2030, cette stratégie prévoit plusieurs alternatives, dont l'option électronucléaire, si les conditions économiques et technologiques et les critères de sécurité de leur approvisionnement et de leur compétitivité sont remplis”, indique Hamid Marah.

Plusieurs sources nous confirment que la décision politique n'a pas encore été prise et le ministre de l'Energie, Aziz Rabbah, joint par TelQuel, ne laisse pas filtrer davantage les intentions gouvernementales. Avec un délai minimum de 20 ans entre la décision politique et la distribution, une centrale nucléaire marocaine n'est donc pas pour demain. Mais les premiers jalons scientifiques réglementaires ainsi que le cadre de coopération internationale sont déjà posés.

Politique des petits pas

C'est en 2009 qu'une nouvelle impulsion est donnée, avec la création du Comité de réflexion sur l'électronucléaire et le dessalement de l'eau de mer (CRED). Objectif : “Examiner les conditions d'ordres réglementaires, techniques, environnementaux, de sûreté et de sécurité nucléaires et radiologiques, nécessaires à l'introduction de l'option électronucléaire conformément aux exigences nationales et internationales, en vue de préparer les éléments de prise de décision, le moment opportun, en connaissance de tous les éléments et enjeux stratégiques”, explique Hamid Marah.

En collaboration avec l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA), le comité a rendu un rapport en 2016 évaluant la faisabilité d'une implantation électronucléaire selon 19 critères, et formulant des recommandations. Alors que l'AIEA avait “encouragé le Maroc à mettre en place un plan d'action pour mettre en œuvre les recommandations de l'Agence”, le ministre de l'Energie de l'époque, Abdelkader Aâmara, avait confirmé le nucléaire comme “une option dans le mix énergétique national à long terme”.

Parmi les “points forts” identifiés du Maroc, un cadre réglementaire solide. Toutes les conventions internationales en la matière ont été ratifiées… ou presque. “Seule la convention relative à la sûreté nucléaire a été signée mais pas encore ratifiée”, précise Khammar Mrabit, directeur de l'Agence marocaine de sûreté et de sécurité nucléaires et radiologiques (AMSSNuR).

La loi 142-12, adoptée en 2014 et portant sur la sûreté et la sécurité nucléaires et radiologiques, est venue renforcer le dispositif, en créant l'agence qu'il dirige, et qui garantit l'indépendance du contrôle de sûreté et de sécurité nucléaires - ces responsabilités étaient auparavant partagées entre les départements ministériels concernés, la Santé et l'Energie.

L'AMSSNuR, devenue opérationnelle en 2016, est présidée par le Chef du gouvernement et travaille actuellement sur une quinzaine de projets de décrets de mise en œuvre de la loi. Son directeur nous indique travailler “en collaboration avec l'AIEA mais aussi avec l'Union Européenne”, et mettre en place des mémorandums d'entente avec des organismes étrangers similaires, notamment aux Etats-Unis, en Hongrie, en France et en Espagne. Un projet de renforcement de la sûreté nucléaire et de préparation aux situations d'urgence, mis en place avec l'AIEA, est également prévu pour janvier 2018. “Même en l'absence de centrale, tous les pays ont des applications radiologiques et doivent avoir un minimum de contrôle pour se protéger. S'il y a des rayonnements dans l'air par des pays voisins, nous devons être capables d'y faire face”, explique Khammar Mrabit.

La Russie dans les starting-blocks

Trois ans après l'accord de coopération avec l'Algérie, en septembre 2014, la Russie a signé le 11 octobre dernier un accord similaire avec le Maroc, en marge de la visite du Premier ministre russe Dimitri Medvedev à Rabat. Artem Tsinamdzgvrichvili, représentant commercial de la Russie au Maroc basé à l'ambassade de Rabat, considère que “c'est un premier pas très important, qui montre l'intérêt des deux parties. Nous avions commencé à parler de centrale nucléaire au Maroc dès 2006, maintenant nous sommes prêts à travailler dès demain avec notre entreprise étatique Rosatom. Nous attendons simplement la décision politique”.

Si le mémorandum jette les bases d'une collaboration bilatérale dans divers domaines de l'énergie atomique comme la coopération scientifique, la sécurité nucléaire, l'application des technologies nucléaires dans l'agriculture ou la santé, “en pratique il n'y a presque rien”, avoue le responsable russe. Il confie ne pas avoir encore de rendez-vous avec le gouvernement marocain afin de mettre en œuvre un plan d'action concret.

L'Afrique à rebours ?

Si le nucléaire présente l'avantage de produire de l'énergie en continu, d'être économe en CO2 et d'avoir un coût d'exploitation relativement faible, le coût prohibitif de la mise en place et du démantèlement, la gestion complexe des déchets nocifs mais surtout les risques d'accidents aux conséquences imprévisibles et dramatiques poussent de nombreux pays à se dénucléariser. Début octobre, l'ONG de défense de l'environnement, Greenpeace, a rendu public un rapport sur la sécurité des centrales françaises et belges, réalisé par sept experts indépendants, dont les conclusions sont alarmantes concernant le risque d'attaques terroristes.

Alors que la France, pays le plus nucléarisé au monde avec 75% d'énergie nucléaire, s'est fixé pour objectif  une réduction à 30% d'ici 2030, de nombreux pays africains s'engagent quant à eux dans la voie inverse. L'Afrique du Sud est pour l'instant la seule du continent à disposer d'une centrale de 1800 mégawatts, mais l'Egypte a déjà signé la construction de sa première centrale nucléaire avec Rosatom en 2016.

Le Nigéria et le Kenya sont également sur la ligne de départ, et l'Algérie, la Tunisie, le Soudan, le Ghana, le Niger, l'Ethiopie et la Zambie pourraient leur emboîter le pas, avec le soutien de la Russie mais également du Japon, de la Chine ou encore de la Corée du Sud. Un intérêt pour le nucléaire porté par les besoins du continent africain d'assurer son développement, mais qui pose la question fondamentale de la sécurité des populations, dans un contexte géopolitique hétérogène et mouvant.

Par Elsa Walter 

Publié sur Telquel N°785 du 3 au 9 Novembre 2017

Publié le 08/11/17 18:48

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