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Le Maroc a annoncé officiellement sa volonté d'intégrer la Communauté économique des pays d'Afrique de l'Ouest. Une intégration qui impliquera une ouverture de ses frontières aux biens et aux populations de la région, voire la création d'une monnaie unique. Décryptage.
Vendredi 24 février, le Maroc pose un nouveau jalon dans son processus d'intégration africaine. Après le retour à l'UA entériné fin janvier, le royaume annonce sa volonté d'intégrer la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest, la Cedeao, où il jouit déjà d'un statut d'observateur. Une annonce qui n'a pas surpris grand monde, Mohammed VI ayant déjà émis des signaux en ce sens dans son discours devant les Chefs d'État africains à Addis-Abeba. Un discours où le souverain a fait le constat de l'échec de l'intégration maghrébine, dont “la flamme s'est éteinte”, la comparant avec l'expérience réussie de la Cedeao, où le commerce inter-régional s'élève à 10%, contre moins de 3% entre les cinq pays de l'UMA, et qui offre, comme l'a signalé le souverain, “un espace fiable de libre circulation des personnes, des biens et des capitaux”.
Composée de 15 pays d'Afrique de l'Ouest, cette communauté n'est pas totalement inconnue pour les Marocains. C'est là où les banques, les compagnies d'assurances, les promoteurs immobiliers et autres PME marocaines sont les plus actifs. C'est dans cette zone également que Mohammed VI, souvent accompagné de ses champions économiques, s'est le plus rendu ces dernières années, enchaînant pas moins de 23 visites dans 11 pays de la région. Une région qui brasse au total un PIB de 630 milliards de dollars, représentant la 20e puissance économique du monde, grâce notamment au poids du Nigéria, qui participe à lui seul à 65% des richesses créées dans la zone, et à 75% des échanges commerciaux. Un poids lourd qui se trouve de facto dans une position dominante, face à des pays comme le Sénégal ou encore la Côte d'Ivoire, certes influents politiquement, mais au faible impact économique. “L'arrivée du Maroc au sein de cet ensemble va certainement changer cette géopolitique, mais chacun y trouvera son compte”, avance Abdou Diop, président la Commission Afrique de la CGEM.
Avec ses 100 milliards de dollars de PIB et une grande offre exportable, le royaume, si sa demande est acceptée, donnera à cette communauté une nouvelle dimension, la hissant automatiquement au rang de 16e puissance économique mondiale. Une intégration qui lui permettra également d'améliorer ses échanges commerciaux Sud-Sud, un des maillons faibles de la stratégie marocaine au sud du Sahara.
Car, s'il est aujourd'hui le premier investisseur africain de la région, le Maroc n'arrive pas à percer commercialement au sud du Sahara, le poids de l'Afrique subsaharienne dans les échanges du pays ne représentant aujourd'hui que 3,4%, contre 56,7% pour l'Europe ou encore 15,3% pour la région Mena.
Une distorsion que nos opérateurs économiques justifient souvent par les contraintes logistiques, mais surtout par les barrières douanières. Un alibi qui n'aura plus de sens une fois l'intégration actée, ouvrant la voie pour les entreprises marocaines à un marché de plus de 300 millions d'habitants sur un territoire de 5 millions de km2, bien plus vaste que l'espace européen. Mais, selon une source diplomatique, ceci n'est pas l'objectif premier de la démarche marocaine. “La portée politique de la demande du Maroc est plus importante. Nous ne cherchons pas de marchés, nous cherchons l'enracinement politique et stratégique”, précise notre source.
Si le Maroc cherchait uniquement une amélioration de sa balance commerciale, il aurait pu, comme nous l'explique Abdou Diop, opter pour de simples accords de libre-échange. Une piste qui “consacre davantage l'aspect échange de biens et services puisqu'elle privilégie les relations purement commerciales”, confirmant ainsi la volonté du pays d'aller au-delà des aspects mercantiles, pour “s'inscrire dans une logique d'intégration régionale, pour contribuer aux politiques économiques structurantes de la Cedeao”. L'exemple qui illustre le mieux cette démarche reste à ce jour le méga-projet de gazoduc ouest-africain porté par le royaume et le Nigéria qui, une fois l'intégration du Maroc actée, sera inscrit dans l'agenda de la Cedeao.
La fin du dirham ?
Cette intégration pose également de nombreuses questions d'ordre stratégique. Prendre le train de la Cedeao, c'est accepter toutes les conditions d'une intégration, comme la mobilité des personnes, mais également, et surtout, le projet de monnaie unique. Un projet non encore abouti que les 15 pays de la Cedeao comptent entériner pour 2020.
Le Maroc laissera-t-il tomber son dirham, ou fera-t-il une intégration à la british ? “C'est au Maroc de déterminer souverainement, le moment venu, s'il va rejoindre cette zone en termes de monnaie unique, ou s'il fera comme ce qui se passe dans l'Union européenne : être membre sans forcément adopter la monnaie unique”, explique Abdou Diop.
Un débat prématuré, explique pour sa part l'ancien ministre des Finances, Fathallah Oualalou : “Une intégration, c'est un processus qui se crée et qui va durer dans le temps”. Autrement dit, même si la demande marocaine est acceptée — une décision qui sera prise lors du prochain sommet de la Cedeao qui se tiendra en mai au Libéria —, l'intégration complète et parfaite prendra du temps. “Le Maroc a déjà un poste d'observateur. Si tout se passe bien et qu'on a les soutiens nécessaires qui nous permettent d'intégrer la Cedeao, il y aura un horizon temporel à respecter qui nous permettra d'ajuster un certain nombre de choses”, précise Abdou Diop. “Certains éléments de convergence restent à parfaire, mais, en principe, cela ne devrait pas poser de problème compte tenu de la solidité macroéconomique du Maroc”, rassure le Monsieur Afrique du patronat.
L'intégration du Maroc dans l'espace Cedeao implique automatiquement l'ouverture de ses frontières à la population ouest-africaine, considérée comme l'une des populations les plus mobiles intramuros dans le monde. Environ 7,5 millions de migrants ouest-africains, fuyant les guerres et les conflits, habitent en effet dans les pays d'une zone autre que la leur. Le Maroc, déjà plébiscité par les populations du sud du Sahara, risque ainsi de connaître une grosse vague de migration qui sera difficile à gérer tant sur le plan socio-économique que sur le plan diplomatique.
PAR Hayat Gharbaoui
Publié sur Telquel N° 754 du 3 au 9 mars 2017
Publié le 06/03/17 14:44
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