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Tunisie : Déséquilibres microéconomiques et construction démocratique

ISIN : TN0009050014 - Ticker : PX1
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Par Dr. Achraf AYADI, Expert bancaire et financier, Paris

Nous nous sommes trop focalisés, ces dernières années, sur le suivi et le commentaire des variables macroéconomiques pour traiter le cas tunisien. Ce fût réducteur. Nos problèmes relèvent -quasiment tous- de la microéconomie (décisions et choix d'optimisation pris par l'État, les ménages et les entreprises) et leurs impacts macroéconomiques ne sont que la partie visible de l'iceberg.

Achraf AYADI est Expert bancaire et financier auprès d'institutions financières européennes, qu'il conseille depuis Paris (France)

La prise de décision des acteurs économiques obéit à un jeu complexe de rationalités limitées de par les égoïsmes antagonistes des acteurs, qui sont dépourvu de toute motivation d'ordre moral et qui sont basés sur une forme de rapport de force toujours défavorable au consommateur (électeur). Ce dernier -le consommateur- voit se multiplier les contraintes autour de sa courbe d'utilité. La marge de manœuvre des ménages est étroite, excluant tout surplus. L'épargne s'annule alors même que chaque unité monétaire achète, chaque jour, moins de biens et de services.

Le producteur, au mieux, gèle toute évolution du niveau de sa production. La productivité étant faible et décroissante, il se contente de suivre la demande des hausses de salaires en parallèle à l'inflation, la compensant par des hausses de prix. Les rendements d'échelle étant inaccessibles dans l'état de la productivité actuelle et l'étroitesse du marché faisant, l'investissement est stoppé net. La situation sectorielle est variable : là où la contrebande est active, le nombre de consommateurs possibles diminue et le marché se rétrécit encore plus et là où les circuits de distribution sont accaparés par quelques détenteurs de capacités frigorifiques, la pression sur les marges est considérable.

Tous les marchés sont en déséquilibre ou en équilibre instable et personne ne sait prévoir les quantités, les prix et les marges qui donnent un sens aux verbes "produire" et "investir". L'incertitude fiscale croissante, avec des contributions exceptionnelles successives, réduit la volonté de préparer un avenir pour l'entreprise et finit par impacter l'emploi.

Maintenant, la situation du marché -au sens large- est absolument chaotique : d'un côté, un État qui détient plusieurs monopoles économiques coûteux et inefficients et de l'autre côté, plusieurs oligopoles privés qui se partagent l'essentiel de la valeur ajoutée créée par le travail et les transactions sur le marché. Les oligopoles dont il est question ici ne sont pas nécessairement des individus personnes physiques. Il y a des corporations puissantes qui veillent à des intérêts et à des privilèges qui relèvent du tabou. Derrière ces oligopoles rentables, des accumulations de richesses non imposées (ou de facto, non imposables), trouvent le moyen d'exploiter les failles du système de non convertibilité pour transférer une part de la richesse à l'étranger ou, d'étendre des patrimoines immobiliers déjà immenses.

L'accroissement rapide du prix de l'immobilier n'étant en rien un problème pour les oligarques patrimoniaux et les évadés fiscaux, vu qu'il leur coûte moins cher que de payer un impôt sur la fortune. Les externalités négatives de cette situation sont légions, j'en citerais que deux : la négation même du concept de justice sociale, inapplicable en l'état et l'incapacité à rendre les équilibres subis par les consommateurs satisfaisants.

L'État, pourtant acteur principal, est prisonnier d'un dilemme : comment peut-il continuer à financer ses monopoles hérités de l'après-collectivisme, tout en étant inféodé aux oligarchies privées, qui paient trop peu d'impôts, pour maintenir un semblant de justice sociale ? Comment éviter que toute démarche de privatisation partielle ou majoritaire ne vienne les renforcer et creuser encore plus les écarts ?

La démocratie ne suffit visiblement pas. Dans un monde parfait, des consommateurs-travailleurs-électeurs auraient bien fait de voter pour un parlement dont serait issu un Gouvernement qui remettrait de l'ordre dans les déséquilibres éminemment microéconomiques de leur pays. Or, les troubles substantiellement culturels, historiques et religieux de l'électeur tunisien ne le conduisent pas à prendre les bonnes décisions démocratiques.

Il faut relever le niveau de la conscience collective, mettre le citoyen face à ses responsabilités et remettre l'exemplarité et la valeur travail au cœur de notre projet de société. Certainement pas avec les médias que nous avons aujourd'hui, qui exaltent la violence, la roublardise et l'abject au rang de normalité sociale. Le "buzz" est devenu le moyen quasi exclusif de drainer les revenus publicitaires d'un marché étroit et de continuer à guider le consommateur-électeur vers les feux croisés de l'incivilité et de l'inflation. Sommes-nous disposés à recréer des générations entières de consommateurs incultes lobotomisés ?

En définitive, le seul choix démocratique raisonnable, le seul projet de société qui vaille aujourd'hui, est de faire face au système. C'est d'être prêt à le détricoter patiemment. C'est l'unique voie de salut collectif qui nous reste pour inverser cette mécanique microéconomique autodestructrice pour l'État et les ménages au profit de quelques "happy few".

Publié le 24/05/18 10:41

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