ilboursa arabic version ilboursa

Route de la soie, quel intérêt pour le Maroc ?

ISIN : MA0000000050 - Ticker : MASI.ma
La bourse de Casablanca Ferme dans 3h22min

Le Maroc vient d'intégrer la nouvelle route de la soie lancée en 2013 par la Chine. Qu'y gagnera concrètement le royaume ? Réponses.

A Pékin, Nasser Bourita pose tout sourire aux côtés de son homologue chinois, Wang Yi. Les ministres des Affaires étrangères ont signé le 17 novembre un mémorandum d'entente sur l'initiative chinoise “La Ceinture et la Route”, plus connue sous le nom anglais “One Belt, One road” (OBOR). D'une poignée de main, les deux ministres scellent l'intégration du Maroc dans la“nouvelle route de la soie” lancée en 2013 par le président Xi Jinping et directement inspirée de l'ancienne et mythique route qui reliait la Chine à l'Europe.

“Le Maroc sera parmi les premiers pays africains à signer un tel document”, s'était réjoui Nasser Bourita juste avant la signature de l'accord. Après l'Egypte, l'Ethiopie et l'Afrique du Sud, le Maroc est le quatrième pays africain à faire officiellement partie de la liste de 69 pays de ce corridor économique terrestre et maritime. Son but : fluidifier les échanges commerciaux avec l'Europe et étendre la demande pour ses produits à l'étranger alors que le pays est en surcapacité. Passant à l'origine par les pays “eurasiatiques” grâce à des routes ou des chemins de fer financés par des entreprises chinoises, le projet d'infrastructures tentaculaire de près de 1000 milliards de dollars s'est étendu en Afrique et au Maghreb.

“La Chine a décidé d'investir uniquement dans les pays sur cette liste. C'est essentiel d'en faire partie”, nous assure Moulay Hafid Elalamy, ministre de l'Industrie et de l'investissement. Il mentionne même des investisseurs chinois dont l'argent a été bloqué tant que le Maroc ne faisait pas partie des pays de l'OBOR. “C'est un geste politique avant d'être économique, estime pourtant Thierry Pairault, spécialiste des relations entre la Chine et l'Afrique, qui rappelle que les Etats-Unis, première destination des investissements chinois, ne font pas partie de cette route. “Dans le communiqué de quelques lignes du service des Affaires étrangères chinois, ce n'est pas l'exaltation telle qu'observée au Maroc. Ils insistent sur le fait que c'est l'affirmation d'une convergence sans aucun engagement qui lie les parties”, explique le sinologue et économiste français. “Faire partie de la route de la soie est une construction du soft power marocain et d'une image qu'ils vont pouvoir brandir aux autres pays africains”, poursuit-il.

Le hub tangérois

“Avec cet accord, le Maroc adhère à la stratégie de la Ceinture et de la Route à partir de son propre statut afro-euro-méditerranéen”, estime Fatallah Oualalou, ancien ministre de l'Economie et des Finances et auteur du livre La Chine et nous. L'atout principal du Maroc repose sur Tanger Med, troisième hub le plus important au monde après Shanghai et Panama. Une étape intéressante pour atteindre le Vieux continent. “Depuis l'Europe, acheter de Chine demande d'attendre la marchandise entre 3 à 6 mois. Depuis le Maroc, le délai descend à 48 heures. Alors que la compétitivité des entreprises chinoises s'est érodée, elles préfèrent se délocaliser et garder leur portefeuille clients”, explique Moulay Hafid Elalamy, qui espère récupérer au Maroc entre 0,5 et 1% des 85 millions d'emplois qui sont en train de quitter la Chine. Cette production chinoise au Maroc en direction de l'Europe est une stratégie qui colle avec le concept développé par la CGEM, “Made by China in Morocco”. “Désormais, c'est au privé d'agir”, estime alors Taoufik Joundy, spécialiste des relations Maroc-Chine à la CGEM, qui explique que les portes ont surtout été ouvertes lors de la suppression des visas pour les Chinois. “Il faudrait maintenant développer des vols directs entre le Maroc et la Chine”, explique-t-il.

La délocalisation et l'installation des entreprises chinoises au Maroc sont aussi facilitées par le soutien de leurs partenaires occidentaux déjà implantés dans le royaume. “Peugeot, qui s'installe à Kénitra, a regroupé ses sous-traitants chinois pour organiser leur expatriation au Maroc”, prend pour exemple Thierry Pairault, qui explique que cela rassure les entreprises chinoises frileuses aux nouveaux environnements juridiques et de management.

L'ami chinois

“Le mémorandum ouvrira la voie aux investisseurs, secteur par secteur, pour identifier et mettre en œuvre les projets”, anticipe Nasser Bourita. De quoi accélérer une dynamique lancée depuis la visite de Mohammed VI à Pékin en mai 2016. D'après les chiffres de l'Office des changes, les investissements en provenance de Chine au Maroc, qui ne représentaient en 2011 que deux millions de dirhams, sont passés à 393 millions en 2015. “Les investissements ont augmenté de 60%, le tourisme de 450% et le commerce de près de 20%, de mai 2016 à aujourd'hui”, résume Nasser Bourita. Une trentaine d'entreprises chinoises sont implantées sur le sol marocain, opérant pour la majorité dans l'informatique et les télécommunications, comme Huawei et ZTE. Divers grands projets sont actuellement en cours comme la Cité Mohammed VI Tanger Tech ou la zone industrielle de Fès. “Les discussions sur la ligne à grande vitesse Marrakech-Agadir sont en cours entre l'ONCF et les autorités chinoises”, poursuit le ministre des Affaires étrangères. Son collègue du ministère de l'Industrie et de l'investissement annonce la signature de plusieurs mémorandums entre les deux pays avant janvier 2018.

Entre temps, ce même ministère va organiser le China-Africa Investment forum à Marrakech, le 27 et 28 novembre, afin de développer des investissements encore trop faibles en Afrique par rapport à l'activité commerciale chinoise - 190 milliards de dollars en 2016 sur le continent. “La Chine a seulement investi 2,4 milliards de dollars en Afrique, soit 1,2% de son investissement mondial”, explique Thierry Pairault.

Un mois plus tard, une société chinoise basée à Abu Dhabi, MIE Events DMCC, organise à Casablanca la China Trade Week (CTW), avec le soutien de la Chambre de commerce chinoise. “Le gouvernement chinois pousse les entreprises chinoises à venir au Maroc et offre des subventions aux 100 exposants qui viendront à la CTW”, nous confie Michelle Meyrick, directrice internationale des événements de la société, qui explique que cet événement est “inspiré de l'initiative OBOR”. Une “petite première édition” d'un concept qui a déjà été développé dans plusieurs pays d'Afrique. “Vingt de nos clients ont installé leurs bureaux au Kenya. L'un emploie 200 locaux”, se targue Sean Xiao, vice-président de MIE Events DMCC.

Perspectives africaines

“Pour le royaume du Maroc, ce mémorandum va ouvrir de nouvelles perspectives en termes d'investissement et de commerce, mais aussi renforcer l'ancrage africain du Maroc puisque la route de la soie inclura d'autres pays africains à partir du royaume”, nous déclare Nasser Bourita. Les Chinois peuvent alors s'appuyer sur le large réseau de banques et d'assurances marocaines à travers l'Afrique. “Les entreprises ont besoin que les banques marocaines leur présentent des clients dont ils connaissent les crédits et dont elles se portent garantes”, explique Thierry Pairault. Plusieurs accords d'investissement avec Attijariwafa bank et BMCE Bank Of Africa avaient d'ailleurs été signés lors de la visite royale de mai 2016, après que la Bank of China a ouvert un bureau au Maroc.

L'autre avantage marocain se trouve du côté des phosphates, seule matière première à avoir un véritable potentiel d'exportation, alors que les réserves chinoises sont trop faibles. “Le Maroc, avec les accords signés par l'OCP au Nigeria et en Ethiopie pour mettre en place des complexes de production d'engrais, répond à la stratégie de la Chine, qui est le premier partenaire des pays africains sur l'alimentaire et l'agroalimentaire”, ajoute Fatallah Oualalou.

Sur le continent, la Chine a déjà puisé dans les réserves de matières premières africaines, mais a aussi investi dans les terminaux portuaires afin de développer sa marine marchande, comme en Tanzanie, en Algérie et à Dakar, bien que ces pays ne fassent pas partie de la liste des pays de la “route de la soie”. À l'échelle africaine, le cas de l'Éthiopie est devenu l'exemple même de la politique chinoise de la route de la soie, où la Chine est devenue la “locomotive de son industrialisation”, comme le note Le Monde. Au total, 297 entreprises chinoises ont investi en Éthiopie pour 3,4 milliards d'euros en vingt ans.

Le risque de cette stratégie est de tomber dans une dépendance économique et financière au géant chinois. Le déséquilibre de la balance commerciale est pourtant inévitable face à la deuxième puissance mondiale. Pour y faire face, Taoufik Joundy de la CGEM insiste sur le fait que les entreprises chinoises doivent s'installer au Maroc en joint-venture avec des Marocains.

Interrogé sur une chaîne de télévision anglophone chinoise sur son avis à propos des allégations contre la Chine qui pratiquerait un “néocolonialisme” semblable à celui de l'Europe, le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita répond avec un sourire : “Je pense que c'est une insulte aux Africains eux-mêmes. L'Afrique a changé et elle choisit ses partenaires librement”. A voir si le Maroc va transformer l'essai.

PAR Théa Olivier

Publié sur Telquel N°788 du 24 au 30 novembre 2017

Publié le 30/11/17 16:31

SOYEZ LE PREMIER A REAGIR A CET ARTICLE

Pour poster un commentaire, merci de vous identifier.

jRIN9ntm4y1-GucdSkfCgwaMCOzfU27QqC9LTwPg11Q False