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Mael M’baye, Responsable régional Afrique du Nord de Bpifrance : « pour réussir en Tunisie, les entreprises françaises doivent devenir tunisiennes »

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Avec une couverture sur le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, la Lybie et la Mauritanie, un bureau régional Afrique du Nord du groupe Bpifrance vient de voir le jour à Casablanca. A travers cette antenne, l'organisme français de financement et de développement des entreprises souhaite poursuivre ses activités déjà initiées sur la région. Pour en savoir davantage sur la stratégie du Groupe, ilBoursa a profité de la visite qu'a effectuée en Tunisie M. Mael M'baye, Responsable régional Afrique du Nord de Bpifrance, pour lui poser quelques questions sur les priorités stratégiques du nouveau bureau dans le développement de son activité en Tunisie, particulièrement dans la Tech.

Dans quel cadre s'inscrit votre visite en Tunisie ?

C'est la deuxième visite du nouveau Bureau régional d'Afrique du Nord de BPI France. Pour nous, ces visites sont importantes car elles permettent de prendre le pouls de l'état du marché et de l'écosystème. C'est un fait, la Tunisie et la France sont des partenaires historiques depuis plusieurs années, surtout d'un point de vue économique.

Nous comptabilisons plus de 1.200 entreprises françaises en Tunisie et il y a également de plus en plus d'entreprises tunisiennes qui investissent en France. Un récent rapport de Business France Invest place la Tunisie à la tête des pays de la région en termes de nombre d'investissements en France.

L'objectif de cette visite est de tâter le pouls du marché et des acteurs économiques. Nous rencontrons des responsables de banques, des fonds d'investissements, des cabinets de conseils, des entrepreneurs tunisiens ainsi que des opérateurs français établis en Tunisie. Au-delà d'alimenter cette feuille de route, cela nous permet aussi de pouvoir comprendre dans quelle mesure aujourd'hui BPI France peut mettre en place des outils de soutien aux entreprises françaises.

Nous réfléchissons continuellement à favoriser la collaboration entre les entreprises françaises et tunisiennes, dans le cadre du soutien à l'international, avec une approche qui nous est propre, centré sur le co-financement et le co-investissement. La complémentarité de nos dispositifs, nous permet d'étudier ce que propose l'écosystème et s'il existe un levier supplémentaire permettant de favoriser la croissance des entreprises.

Historiquement, la Tunisie est pour BPI France un partenaire important, notamment pour nos activités de fonds de fonds. En effet, nous avons investi aux côtés de Proparco dans différents fonds partenaires tels que AfricInvest, SPE ou autres pour constituer un portefeuille d'entreprises tunisiennes gérées par ces fonds.

Dans le cadre de nos activités d'expertise, nous avons également des liens avec des agences publiques et des institutionnels qui nous sollicitent pour un accompagnement sur des dispositifs particuliers. Je pense notamment à la mise en place du Startup Act, au fonds de fonds ANAVA, qui a été une étape importante pour consolider l'écosystème des Startups en Tunisie.

Pour nous, il est intéressant de voir comment nous pouvons aller au-delà de ces activités qui sont déjà très importantes mais qui peuvent probablement amener à d'autres opportunités de collaboration et de mise en place de partenariats durables, notamment avec des opérateurs bancaires.

Nous avons eu un échange d'introduction avec la BIAT. L'idée est de voir comment faire fructifier des fonds dans un contexte de crise mondiale où l'ensemble des opérateurs économiques, publics comme privés, est dans une logique de recomposition de leur stratégie de soutien aux entreprises.

Quelles sont les principales raisons qui ont motivé l'ouverture d'un bureau régional en Afrique du Nord ?

L'ouverture du bureau régional part d'un constat très simple. La crise sanitaire a eu un impact que l'on connait et a complétement chamboulé l'organisation de la chaîne de valeurs dont nous anticipons une réorganisation globale pour maintenir un cap pour les prochaines années dans un contexte souhaité de relance.

Comme le disait notre directeur exécutif, Pedro Novo, nous sommes un acteur contracyclique. Nous sommes principalement présents lorsque les entreprises en ont besoin. Les liens économiques entre les entreprises françaises et nord africaines, notamment tunisiennes, sont forts. Il nous paraissait donc important d'apporter ce complément d'outils pour sécuriser davantage la pérennité de ces relations d'affaires entre les entreprises des deux rives.

Nous avons une approche très Business. C'est ce qui fait l'ADN de BPI France. Nous aimons dire que nous sommes la banque des entrepreneurs. Nous souhaitons aussi développer et entretenir une proximité avec les entreprises que nous accompagnons. Cette proximité justifie le fait que nous soyons ici cette semaine car nous voulons être au plus près du terrain pour ne pas faire de fausses promesses par rapport aux outils de financement ou autres que nous proposons.

Il faut s'assurer que si l'on peut continuer à financer les entreprises et les soutenir dans leurs projets qu'on puisse le faire dans le meilleur des cadres. Nous sommes en phase sortie de la crise de Covid-19 et il y a maintenant la guerre en Ukraine alors que la situation économique de la Tunisie présente certains enjeux.

Pensez-vous qu'il s'agit d'un moment opportun pour intervenir au niveau des entreprises ou bien vous prévoyez des obstacles au niveau des autorités tunisiennes ?

Il est difficile de me prononcer sur la partie de la relation de la banque avec les autorités tunisiennes car ce n'est pas le rôle et la position de BPI France. Nous sommes très orientés vers le Business. En revanche, ce qui est sûr et certain c'est qu'il est vital d'assurer aux entreprises françaises qui ont investi ou qui souhaitent investir en Tunisie, les outils nécessaires pour pouvoir continuer à le faire dans les meilleures conditions.

C'est à ce niveau que nous avons un rôle à jouer en tant qu'assureur de l'État puisqu'aujourd'hui nous avons des dispositifs comme la " Garantie des projets à international " qui permet de garantir à hauteur de 50% l'apport en fonds propres qu'une entreprise française réaliserait dans sa filiale tunisienne. C'est une garantie sur sept ans et peut s'étendre à 1,5 million d'euros.

Depuis plusieurs mois, nous constatons une augmentation des demandes des entreprises françaises qui souhaitent garder leurs actifs et leurs investissements en Tunisie et qui se tournent vers ces dispositifs pour les sécuriser davantage et diminuer au mieux le risque de pertes éventuelles. Cela nous amène à un autre point que nous essayons de pousser auprès des entrepreneurs français.

Nous sommes convaincus qu'il faut qu'elles deviennent locales. La vieille époque de cette logique très import/export est révolue. Aujourd'hui, il existe en Tunisie des besoins d'investissement, une expertise indéniable avec des talents, une expertise locale du marché et des marchés voisins et africains.

Nous sommes persuadés que pour réussir en Tunisie, les entreprises françaises doivent devenir tunisiennes. C'est en ce sens que nos dispositifs les amènent à pouvoir s'initier dans cette démarche, d'autant plus que les diasporas tunisienne et française jouent un rôle important. Cette communauté a envie d'investir dans les deux pays et de développer des projets qui font un pont entre ces deux rives.

Quelle est la manière avec laquelle vous accompagnez les entreprises sur le marché tunisien et dans la région plus globalement ?

Le bureau de BPI France en Afrique du Nord est le petit dernier de notre réseau de bureaux. Son ouverture s'inscrit pleinement dans la stratégie Afrique de BPI France. Nous avons un bureau à Dakar pour le Sénégal, à Abidjan pour l'Afrique de l'Ouest et un bureau à Nairobi pour l'Afrique de l'Est.

Le nouveau bureau d'Afrique du Nord couvre la zone allant de la Mauritanie jusqu'en Libye. Nous sommes basés à Casablanca et tout l'intérêt est de pouvoir " dérisquer " la lecture du marché au maximum pour les entreprises que nous accompagnons. Il s'agit d'initier un déclic auprès des entreprises françaises.

Nous accompagnons près de 80 mille entreprises par an. Nous les accompagnons en financement et en garantie mais nous sommes conscients qu'il est nécessaire de les rassurer davantage. Cependant, il faut aussi que ces entreprises acceptent de convertir leurs doutes en confiance. En tant que bureau régional, nous conduisons cette approche en collaboration totale avec les acteurs locaux et la Team France Export afin de pouvoir développer un filet de sécurité pour que les entrepreneurs acceptent ce déséquilibre.

Il est question d'une nécessité dans un cadre de relance tout en sachant que même si elles tombent, elles pourront rebondir sans trop de difficultés. Ces motivations et raisons expliquent pourquoi il est important pour nous de venir ici et d'échanger avec les acteurs économiques locaux pour repartir avec une vision qui soit la plus claire possible, la plus pragmatique et réaliste.

Ça alimente notre volonté de réunir les entrepreneurs. Nous organisons chaque année à Paris BPI Innov Generation (BIG). Cet évènement a rassemblé entre 50 et 60 mille entrepreneurs en une journée. L'année dernière la Tunisie y était présente à travers ses Startups.

Par ailleurs, en 2021, nous avons internationalisé le BIG avec un évènement qui s'appelle " Inspire Connect Africa " à Abidjan. Cette année, nous organiserons la deuxième édition de cet évènement sur l'Afrique du Nord et la Méditerranée à Casablanca. Il se déroulera début juillet et traduira la volonté de mettre en avant l'esprit d'entreprendre, les porteurs de projets afin de pouvoir accélérer, fluidifier et faciliter les connexions entre l'ensemble des acteurs de l'écosystème. Cela permet de construire un narratif optimiste.

Auparavant, la Tunisie était vue comme étant une zone offshore où les entreprises délocalisent leurs activités. Aujourd'hui, une réelle volonté de devenir un acteur économique compétitif est exprimée. L'Afrique du Nord est une zone avec un gros potentiel de marché pour les entreprises mais aussi une porte d'entrée vers les marchés d'Afrique de l'Ouest, l'Europe ainsi que vers certains marchés des Proche et Moyen-Orients. Ainsi, l'objectif de cet évènement est de pouvoir refléter la réalité actuelle de la région.

Qu'en est-il de votre orientation vers les entreprises Tech ?

BPI France est un acteur important de la French Tech. Aujourd'hui, les Startups sont les nouveaux viviers économiques qui répondent à des enjeux socio-économiques. Des jeunes créent leurs emplois et leurs entreprises. Les entrepreneurs veulent intégrer dès le départ l'international pour des raisons propres au marché tunisien mais qui le sont aussi pour le marché français.

Par rapport à cela, nous sommes un opérateur qui finance uniquement les entreprises enregistrées en France. En cela nous ne pouvons pas apporter de financements directs aux startups tunisiennes, mais nous collaborons avec les acteurs locaux, ainsi que les opérateurs français (AFD et Proparco) qui apportent du financement aux startups.

Néanmoins, nous avons participé dans des programmes soutenus par l'Union européenne comme Innov'i. Nous avons une plateforme qui s'appelle Euroquity qui permet de pouvoir mettre en relation les porteurs de projets et les Startups avec des investisseurs. Au-delà de cela, il y a un grand nombre de jeunes pousses tunisiennes qui souhaitent s'adresser au marché français et plus largement au marché européen au bout de deux ou trois ans de croissance.

La nuance est que lorsqu'elles s'installent en France, elles deviennent éligibles aux aides françaises, donc nous pouvons les financer et les accompagner. Nous les encourageons à venir en France pour exporter, pour investir et pour s'adresser au marché européen tout en gardant la richesse de talents tunisiens, car c'est comme ça que nous créons des partenariats durables. Et la Startup InstaDeep s'inscrit dans cette logique-là.

Il y a également eu la deuxième promotion du " Pass Africa ". Il s'agit d'un label qui est un programme co-construit avec le Conseil Présidentiel pour l'Afrique (CPA) qui propose un parcours unique et prioritaire aux dispositifs de financement de Bpifrance, de l'accompagnement et des services de formations.

Nous sommes la banque des " Cos ", dans le sens où nous co-finançons et co-investissons dans des entreprises avec nos partenaires. De facto, les entreprises sont dans cette logique, même si des difficultés subsistent quant à l'ancrage local des entreprises françaises. Il est judicieux de profiter de la propension de la population nord-africaine à l'ouverture du digital et des nouvelles technologies de manière globale.

Propos recueillis par Omar El Oudi

Publié le 04/04/22 09:40

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