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Expo : Une belle auberge espagnole

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Bien que trop éclectique dans ses choix et elliptique dans son propos, au regard du grand public, l'expo espagnole qu'abrite actuellement le MMVI vaut largement le détour. L'amateur d'art y trouvera de quoi nourrir son regard et élargir son horizon, sachant qu'il s'agit d'œuvres peu visibles ailleurs.

C'était fatal ! Après les très ambitieuses et impressionnantes expositions monographiques consacrées, successivement, à César, Giacometti et Picasso, par le Musée Mohammed VI d'art moderne et contemporain — en quatre ans d'existence, seulement —, “De Goya à nos jours, regards sur la collection Banco de España”, l'exposition thématique qu'abrite actuellement l'institution rbatie fait, par comparaison, quelque peu pâle figure. On peut, d'ores et déjà, constater qu'elle ne fera pas foule, encore moins date. Elle est loin d'être inintéressante pour autant. Ses défauts, au regard du grand public — consistant en un choix d'œuvres trop éclectiques, ratissant trop large, aboutissant ainsi à un récit trop elliptique alors qu'il se voulait didactique —, pouvant même se révéler comme une qualité pour des visiteurs plus familiers de l'histoire de l'art. Ils y trouveront quelques repères et jalons, peu visibles en d'autres occasions, des principaux mouvements plastiques ayant marqué la scène espagnole durant les XIXe et XXe siècles.

Un lancement raté

D'un autre côté, indépendamment de sa qualité intrinsèque, il faut bien reconnaître que si l'exposition n'a pas bénéficié du tapage médiatique habituellement réservé aux events Made in MMVI, c'est bien parce qu'elle n'a pas eu droit à l'inauguration doublement royale que beaucoup attendaient, car placée sous le haut patronage de Mohammed VI et de Felipe VI — la visite officielle de ce dernier à l'empire chérifien étant attendue, alors. Visite reportée pour le premier trimestre de 2018 — nous dit-on —, eu égard aux événements nationaux respectifs, tout autant imprévisibles : le Hirak d'un côté, la Catalogne de l'autre.

De flamboyants portraits d'apparat dont un unique Goya

Les murs et cloisons des deux premières salles accueillant le visiteur sont peints d'ocre rouge, cette couleur palatiale — inaugurée par le Louvre, il y a quelques années déjà, lors de sa dernière rénovation, et devenue, depuis, la norme pour faire écrin, par effet de contraste, à la “grande” peinture classique, avec sa palette chatoyante et sa facture léchée, enchâssée dans ses cadres baroques, dorés à l'or fin.

Dès nos premiers pas, nous faisons, donc, connaissance avec quelque neuf grands d'Espagne, comme on dit, dont des monarques (Carlos III, Ferdinand VII, Alphonse XIII), une reine (Isabel II), des princes des Asturies et autres marquis. Où éclate la fameuse “morgue des Bourbons”, exacerbée par le décor somptuaire, les savants et raffinés drapés des velours et taffetas, inhérents au rang des personnages, posant pour la postérité. Il en ressort quelque chose d'indéfinissablement mais d'assurément espagnol : cette solennité dans la pose, cet ultra-académisme dans l'exécution, somme toute tardifs, par rapport à ce qui se pratiquait, au même moment, dans une Europe déjà secouée, au niveau des codes de la représentation, par les interrogations préfigurant l'art moderne. À une exception près, certes discrète, mais s'imposant clairement à l'œil averti : l'unique œuvre de l'immense Goya présente à l'exposition. Peint en 1787, le portrait de “Miguel Fernandez Duran, marqués de Tolosa” (gouverneur de la Banque de San Carlos, ancêtre de Banco de España).

Bien que respectant, apparemment, les codes du genre, elle se démarque par sa “remarquable simplicité, la captation instantanée du personnage et le reflet magistral de la sensibilité qui émane de son visage, compensant de la sorte le stéréotype plus formel d'autres portraits. À cette époque, l'artiste avait déjà transformé le portrait officiel et froid en quelque chose de plus intime et personnel, profondément naturaliste et direct ; dans ce cas-ci, le modèle semble dialoguer avec son peintre par ce regard légèrement teinté d'humour et par la moue ironique de la bouche”, comme il nous est si bien explicité dans le bel ouvrage-catalogue édité à l'occasion.

Les autres portraits en question sont signés de différents peintres de cour dont le plus célèbre, Mariano Salvador Maella. Ils s'étalent de 1783 à 1906. S'ensuivent les portraits officiels de cinq gouverneurs s'étant succédé, de 1905 à 1987, à la tête de la banque nationale espagnole. Intéressant d'un point de vue purement documentaire.

Un art contemporain si proche et si lointain

Et puis, murs blancs. Nous passons à l'art moderne et/ou contemporain espagnol. Nous voici, il faut bien l'avouer, en terre inconnue. Certes, il y a bien là deux monochromes gestuels d'Antonio Saura, fin des années 1950. Deux Tàpies de la fin des années 1960. Plus loin, une belle huile semi-figurative de Miquel Barceló, datée de 1986. Mais là s'arrête, à notre grande honte, nos repères en matière d'art moderne espagnol. Quant au contemporain, c'est un véritable saut dans l'inconnu. Heureusement que les textes accompagnant l'exposition, élaborée par les commissaires Yolanda Romero et Isabel Tojeda, sont là pour nous fournir quelques éléments de compréhension. Où l'on mesure la distance et les frontières — artificielles, mais curieusement étanches — que nous imposent, à notre insu, les univers  linguistiques dont nous avons hérités et dont nous restons prisonniers…

Au hasard, Balthazar

Au hasard d'une visite — forcément trop rapide —, quelques coups de cœur — forcément trop subjectifs. Nous avons été très séduits par les lithographies, en bichromie, de Rafael Canogar, dont l'esthétique très graphique, très “affiche politique”, serait aujourd'hui des plus actuelles, pour ne pas dire tendance — elles ne sont pas sans rappeler une certaine production post-Guerre du Golfe, type Shepard Fairey. Entre 1967 et 1974, cet artiste, né à Tolède, se fait remarquer par un travail à partir d'une iconographie de figures anonymes, sans visages, découpées sur fond neutre et décontextualisées. Souvent des personnages groupés, emprisonnés, sans défense. Un travail qu'il faut, évidemment, contextualiser dans le cadre de la lutte antifranquiste de beaucoup d'artistes espagnols de cette période. Dans le même goût graphico-politique, nous avons été frappés par les détournements des couvertures du fameux magazine masculin de consommation, Uomo, opérés par Rogelio López Cuenca, et datant du début des années 1990. Où l'artiste remplace les effigies médiatiques de l'époque par les portraits d'un Eisenstein ou d'un Maïakovski (poète et dramaturge russe).

De l'intérêt de fréquenter les musées

Un grand montage photographique (140 x 100 cm) nous happe, au passage, par la férocité jouissive, orgiaque, de son chromatisme décomplexé. Et par l'anecdotisme, quasi existentiel, de ses motifs (un pied de lampe de travail, une bribe de guitare électrique, une chaise de bureau). La photographie, signée du Catalan Txomin Badiola, fait partie d'un ensemble multi-support, intitulé “SOS Script”. La petite histoire veut que l'inauguration de l'exposition présentant ce travail a eu lieu, à Madrid, un certain 11 septembre 2001… Il est de ces résonnances qu'aucun metteur en scène n'oserait imaginer. Ayez foi en l'art. Sous toutes ses formes. Du plus officiel au plus subversif, en passant par l'apparemment anodin. N'ayez pas peur de vous ennuyer dans un musée. Allez-y. Si une seule œuvre vous touche, vous gagnerez en humanité. C'est beaucoup, par les temps qui courent.  

PAR Jamal Boushaba

Publié sur Telquel N° 788 du 24 au Novembre 2017

Publié le 29/11/17 16:46

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