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Emplois Industriels : Moulay Hafid Elalamy tiendra-t-il ses objectifs ?

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Le ministre de l'Industrie s'est engagé en 2014 sur la création de 500 000 emplois d'ici 2020. Une mission qui paraît presque impossible au vu des chiffres sur l'emploi publiés par le Haut commissariat au plan. Décryptage.

A mi-parcours de la période 2014-2020 prévue pour le Plan d'accélération industrielle (PAI), ses réalisations n'atteignent pas pour autant 50% des objectifs finaux. Le ministère de l'Industrie s'est en effet assigné deux missions principales à l'horizon 2020: la création de 500 000 emplois industriels d'une part, et l'accroissement de la part industrielle dans le PIB de 9 points, passant de 14 à 23%. Il dispose pour cela d'un véhicule d'environ 3 milliards de dirhams par an, soit 20 milliards sur sept ans.

Or, à en croire les chiffres du Haut commissariat au plan (HCP), la création nette d'emplois dans l'“industrie y compris l'artisanat”, entre le deuxième trimestre de 2014 et le troisième trimestre de 2017, atteint seulement 43 000 emplois. Car des emplois effectivement créés, notamment sous l'impulsion du PAI, on soustrait les pertes d'emplois d'un tissu industriel vieillissant. Quant à la part de l'industrie dans le PIB, elle tourne à présent autour de 16%.

Le département de Moulay Hafid Elalamy, qui porte cette stratégie visant à faire du Maroc un pays émergent, affiche un optimisme à toute épreuve en ne déviant pas de ses objectifs. Pointant les limites de la méthode de calcul du HCP, le ministère assure que les réalisations se feront sentir dans les chiffres dès 2019. Bataille des chiffres ou méthode Coué ?

Interrogé le 21 novembre sur les avancées chiffrées du PAI, Moulay Hafid Elalamy n'a pas souhaité s'exprimer, réservant ses arguments pour les Assises de l'industrie qui se tiendront en 2018. En homme d'affaires sous sa casquette de responsable politique, le ministre est partisan de l'action plus que de la parole. Le jour même, il inaugurait d'ailleurs une usine de GPC Papier et Carton, filiale de Ynna Holding, qui créera 500 emplois dans la zone franche de Kénitra. Moulay Hafid Elalamy, une paire de ciseaux dans la main droite et un ruban rouge dans la main gauche, l'image est devenue classique: Siemens Gamesa dans l'éolien, Thales et son centre de compétences, Faurecia et le groupe Leoni dans l'équipement automobile avec respectivement 1800 et 11 000 emplois créés à terme, pour ne citer que les inaugurations de 2017. Lorsque ce n'est pas une paire de ciseaux, c'est un stylo pour signer un contrat pour une future usine, comme en septembre dernier avec l'équipementier automobile italien Magneti Marelli.

Guerre des chiffres

“Deal maker”, la tendance de la perte d'emplois industriels s'est bien inversée sous MHE. Selon le HCP, entre 2009 et 2014, l'industrie perdait en moyenne 22 000 emplois chaque année. Depuis, elle en aurait gagné 10 750 en moyenne par an. Cela sera-t-il suffisant pour atteindre l'objectif de 500 000 emplois en 2020 ? Le ministère de l'Industrie assure qu'aujourd'hui 117 000 personnes ont d'ores et déjà été recrutées ou sont en formation dans le cadre du PAI, dont 43 000 rien que dans l'automobile. Impossible pour nous en revanche d'obtenir de la part du ministère le chiffre de la perte d'emplois, considérée comme une “perte d'emplois programmée”, du fait des “activités mourantes face à la compétition internationale”.

Le HCP, lui, comptabilise 161 000 créations d'emplois en incluant l'artisanat, contre 118 000 pertes, soit une création nette de 43 000 emplois. “Pour les chiffres de l'emploi, le HCP fait une enquête auprès des ménages, pas auprès des entreprises. C'est aussi une étude qui mélange l'industrie et l'artisanat. C'est un sac qui n'est pas encore précis chez eux”, pointe une source autorisée au ministère de l'Industrie. “Effectivement, l'enquête se fait auprès de 90 000 ménages tout au long de l'année. Ça se fait comme ça dans le monde entier, car ce sont les ménages qui savent s'ils travaillent ou pas. Lorsqu'on parle d'industrie, nous nous référons aux définitions de la comptabilité nationale où l'industrie comprend effectivement l'artisanat, faute d'une définition plus précise qui pourrait très bien être adoptée par le gouvernement”, réplique-t-on au HCP.

La méthode Elalamy

Un débat sur la méthode qui ne mène pas bien loin, car en matière d'emplois industriels, le HCP et le ministère de l'Industrie ne parlent pas de la même chose. “Le ministère parle de ce qu'il fait, de voitures, d'aéronautique... Ce déploiement d'industries est bel et bien créateur d'emplois nouveaux, mais toutes les industries traditionnelles ne s'adaptent pas aux nouveaux modes de production. Et la réalité, c'est que le patrimoine industriel du pays est en train de s'effondrer. Très prochainement, nous publierons une étude qui démontre le potentiel d'industrialisation du Maroc, s'il recrée les écosystèmes nécessaires pour remettre en valeur des produits traditionnels. Certains ont définitivement perdu leur compétitivité, mais d'autres —dans le textile, l'agroalimentaire – n'attendent que d'être remis en selle”, explique un économiste du HCP.

Selon les données du HCP, c'est d'ailleurs le textile qui enregistre la plus forte perte d'emplois dans l'industrie, soit 15 000 depuis 2010. “Il y a des cellules qui naissent, il y a des cellules qui meurent. Ce n'est pas pour autant que nous avons abandonné les métiers traditionnels. Sans le PAI, ce serait même bien pire”, se défend le ministère. Le président de l'Association marocaine des industries du textile et de l'habillement (AMITH), Karim Tazi abonde : “Le volet textile du PAI fonctionne. Nous venons de réaliser nos deux plus grosses années à l'export. La création d'emploi se fait ressentir sur le marché dédié à l'export. Si les mesures prises s'inscrivent dans la durée, elles porteront aussi leurs fruits sur le marché local, une fois assaini de l'informel et la contrebande.”

Le département de Moulay Hafid Elalamy avance aussi que les entreprises et les fédérations se sont d'ores et déjà engagées à créer 487 000 emplois d'ici 2020. Il ne resterait donc que 13 000 emplois à trouver pour atteindre l'objectif, puis s'assurer que les acteurs économiques tiennent bien leur engagement pour que la création soit effective à l'échéance. Un chiffre plus qu'encourageant, mais invérifiable. Des chiffres ultra-optimistes pour booster les équipes et atteindre ses objectifs : une autre application de la méthode de management d'Elalamy, qui a fait ses preuves chez Saham au prix de palpitations cardiaques parmi les collaborateurs ? À son tour, le ministère y croit dur comme fer, puisqu'il assure que l'objectif de 500 000 emplois sera atteint “sans les Chinois”, avec lesquels le Maroc a signé le 17 novembre un mémorandum d'entente pour intégrer leur stratégie des “nouvelles routes de la soie”, et devrait en signer davantage d'ici la fin de l'année. 

Une question de temps

Pour le ministère, c'est en 2019 que les effets du PAI devraient se faire sentir dans les chiffres. “La première année, c'était la mise en place. Les deux années qui ont suivi, c'était les constructions d'usines. Les gens ont mis du temps pour y croire, mais aujourd'hui toutes les fédérations sont en ordre de bataille pour porter le PAI”, assure notre source au ministère, rappelant que les contrats de sourcing, annoncés au cours de l'année passée, n'ont pas encore commencé : 2 milliards d'euros de pièces détachées avec Renault, un milliard avec Peugeot, et autant avec Boeing pour l'aéronautique. En plus de créer de l'emploi chez les sous-traitants de ces grands constructeurs, les pièces détachées produites pèseront dans la balance commerciale, qui reste négative même si, deux années de suite, les exportations de l'automobile ont détrôné celles de l'OCP.

Pour l'heure, les chiffres restent têtus. Et un autre objectif du PAI est bien que l'industrie atteigne 23% du PIB. “Avec une contribution de 13 à 14%, nous ne pouvons pas dire que nous soyons une économie émergente, comme certaines économies asiatiques où la part de l'industrie dans le PIB dépasse les 22%. C'est justement cela l'objectif du Plan d'accélération industrielle”, déclarait de ministre de l'Économie, Mohamed Boussaïd, dans une interview à TelQuel. En la matière, le collègue d'Elalamy au gouvernement et au RNI est plus sévère que le HCP, qui mesure la part de l'industrie à 15,8%. 7,2 points à gagner donc. En trois ans.

Par Thomas Savage

Publié sur Telquel N° 788 du 24 au 30 novembre 2017

 

Publié le 30/11/17 16:41

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