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Coronavirus : Comment éviter à la Tunisie un chaos social ?

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La Tunisie fait face au COVID-19, un mal qui s'ajoute à une économie structurellement malade, un Etat en manque de moyens, un chômage persistant et un système de couverture social totalement aride. Les mesures prises par les autorités sont-elles suffisantes pour éviter le Chaos social ? Comment éviter la spirale crise économique-tensions sociales ?

Par Moez Hadidane

La Tunisie compte actuellement 11,77 millions d'habitants. La population active au 4ème trimestre 2019 est de 4,19 millions dont 3,6 millions en activité et 623,9 mille en chômage (INS 4ème trimestre 2019). Sur les 3,6 millions d'actifs on estime à 700 mille le nombre de fonctionnaires de l'administration publique.

Selon les statistiques de l'INS arrêtés à fin 2018, la Tunisie compte ; 1,1 million de salariés formels dans le secteur privé et 635 mille entrepreneurs individuels. Sur les 1,1 million de salariés formels du secteur privé, 137 mille salariés travaillent dans des entreprises employant entre 1 et 5 salariés. Potentiellement, plus de 300 mille personnes (salariés et entrepreneurs individuels) du secteur formel risquent de se trouver au chômage.

La taille de l'économie tunisienne mesurée par son PIB 2019 est de 115,9 milliards de dinars (35,2 Milliards d'Euro). Compte tenu des revenus nets reçus de l'étranger, le RNDB s'établit en 2019 à 117,8 milliards de dinars, soit l'équivalent de 35,9 Milliards d'Euros. Rapporté à la population, le RNDB annuel par habitant est de 3.071 euros, soit l'équivalent de 256 euros en moyenne par mois. Le taux d'épargne moyen national est de 8,9% en 2019 (contre 21,1% en 2010). Le taux d'investissement (FBCF/PIB) est de de 18,5% (contre 24,6%) en 2010).

Le Salaire Minimum Interprofessionnel garanti mensuel est actuellement (depuis le 1er mai 2019) de 403,104 dinars (126,7 euros) pour le régime de 48 heures et de 343,9 dinars (108,2 euros).

Au 31 décembre 2019, les crédits à l'économie accordés par le système financier ont totalisé 87,64 milliards de dinars (+3,4% par rapport à 2018), dont 74,5 milliards de crédits des banques, 4,3 milliards de crédits du leasing et 8,9 milliards de crédits des banques mobilisés sur ressources de refinancements auprès de la BCT.

Les particuliers détiennent le quart de la dette envers le système financier contre trois quarts pour les professionnels et les entreprises. Au total, l'encours des crédits des banques et du leasing sur les entreprises et les particuliers représentent 74,4% du RNDB. Ce qui attribue à l'économie tunisiennes le statut d'économie d'endettement par excellence. Une crise économique sévère mettra à genoux aussi bien les entreprises que les particuliers mais également les banques par effet d'entrainement.

Il n'y a plus aucun doute que l'impact de la pandémie du COVID-19 provoqué par le virus SARS-CoV-2, sur les économies mondiales sera catastrophique. Partout dans le monde, la crise sera marquée par la chute de la croissance économique, une contraction de la production des biens et des services, tarissement des échanges commerciaux et de la circulation des flux de capitaux.

Toutefois, les populations des pays les plus pauvres, en particulier ceux dont le système de répartition de richesses et de sécurité sociale sont les moins performants, souffriront le plus.

L'économie tunisienne caractérisée par un Etat appauvri, une forte dépendance du commerce extérieur et des flux de capitaux étrangers, une dominance des TPE et PME, un système de couverture sociale, peu généreux, en difficulté et non préparé à une menace sociale de telle ampleur, peut en souffrir beaucoup plus que ses voisins de la méditerranée.

Le secteur du tourisme et activités connexes, le transport, la restauration, la consommation sur place, commerce (hors alimentation et sanitaire) et tant d'autres métiers, devront faire face à leur destin.

Séparément de la méthode de calcul du PIB par la méthode d'agrégation des valeurs ajoutées par branche, la construction du PIB à partir de la relation de l'équilibre général annuel des ressources et des emplois (méthode dite des dépenses) dévoile que notre PIB est dominé (en 2018, faute de disponibilité de données 2019) par la consommation privée à hauteur de 72,3% suivie par l'investissement à raison de 20,9%. Ces deux composantes de dépenses seront réduites à epsilon en 2020.

Le chômage technique, la fermeture des espaces de commerces, l'arrêt total des petits métiers et des services d'intérêt général ou de divertissements, risquent de mettre des milliers de Tunisiens en banqueroute. La majorité des Tunisiens sont largement endettés et loin de disposer d'une épargne réservée pour les temps durs.

La priorité des Tunisiens serait d'allouer ses revenus aux biens de subsistances et de première nécessité ainsi que pour s'approvisionner en articles de santé et d'hygiène. Rembourser ses dettes ou payer ses fournisseurs passera en dernier lieu. Une dette, qui elle-même, est une source de revenus pour des tiers. Toute la chaîne économique risque de s'arrêter.

Persuadé de la gravité de la situation, le gouvernement a annoncé, le 22 mars 2020, une série de 23 mesures d'ordre fiscales et financières visant à préserver les postes d'emploi et la pérennité des entreprises économiques. Parmi ces mesures on cite principalement : 

  1. Réduction des délais de restitution des crédits d'impôts et taxes à un maximum d'un mois. 
  1. Permettre aux entreprises les plus touchées de rééchelonner leurs dettes fiscales sur une période pouvant atteindre 7 ans ;
  2. Faciliter la restitution du crédit de TVA, sans l'application de la condition de 6 mois, dans un délai maximum d'un mois. 

Pour les PME 

  1. Création d'un fonds de soutien aux PME d'un montant de 300 MDT pour consolider les ressources des lignes de crédits dédiés au support et au soutien des PME ;
  2. Activation des mesures de prise en charge par l'Etat jusqu'à 3% d'une partie du taux d'intérêt sur les crédits d'investissements.
  3. Création par la CDC d'un fonds d'investissement de 500 MDT, dont 100 MDT pour les souscriptions de création. Ce fonds sera destiné au renforcement des fonds propres des entreprises pour la sauvegarde des emplois. 

Pour les secteurs les plus sinistrés 

  1. Institution d'un mécanisme de garantie des nouveaux crédits de gestion, d'exploitation et d'entretien accordés par les banques jusqu'au 31 décembre 2020 remboursables sur 7 ans avec deux ans de grâce pour une enveloppe totale de 500 millions de dinars réservés au secteur de l'hôtellerie, agences de voyages, restaurants touristiques, artisanats, transports, activités culturelles

De son côté, la Banque Centrale de Tunisie a décidé le 17 mars 2020 de baisser son taux directeur de 100 points de base à 6,75%. En parallèle, la BCT a invité les Banques à prendre toutes les dispositions nécessaires leurs revenants pour soutenir, les entreprises, les professionnels et les particuliers. Plus formel, la BCT a ordonné aux banques et aux établissement financier (circulaire N° 7-2020 du 19 mars 2020) de reporter les tombés (en principal et intérêts) des crédits accordés aux entreprises et aux professionnels qui arrivent à échéances durant la période allant du 1er mars aux jusqu'à fin septembre.

Cette prescription concerne uniquement les crédits accordés aux entreprises et professionnels classés 0 et 1. Les banques et les établissements financiers peuvent accorder des nouveaux crédits aux bénéficiaires de ces mesures. La circulaire en question donne également la possibilité aux banques d'appliquer cette mesure aux clients classés 2 et 3 et ce au par cas et selon la situation du client.

Cette instruction ne concerne pas seulement les banques, mais aussi les établissements financiers dont notamment les sociétés de Leasing.  Ce secteur est déjà en difficulté et en assèchement de liquidité et qui n'arrive pas parfois à honorer, dans les délais, ses fournisseurs

Le 25 mars 2020, la BCT a étendu cette mesure aux particuliers, (circulaire n 2020-6) dont les tombés des crédits non professionnels, arrivent à échéance durant cette même période. Toutefois cette mesure ne concerne que les clients dont le revenu mensuel est inférieur à 1000 dinars (étendu le 1er avril 2020 aux salariés de plus de 1000 dinars) et qui sont classés 0 et 1 à fin décembre 2019. En parallèle, la BCT a donné aux banques une marge de manœuvre pour les clients dont le revenu est également inférieur à 1000 dinars mais et qui sont classés 2 et 3 à fin décembre 2019 et ce, au cas par cas et selon l'évaluation de la situation du client.

L'obligation de report des échéances de crédits prévue par la circulaire BCT 2020-06, s'applique donc au même titre que les banques aux sociétés de leasing et de factoring. Or ces derniers n'ont pas accès au refinancement de la BCT. De même, les banques ne peuvent présenter des titres de créances sur le leasing comme collatéral de refinancement. La BCT doit, en urgence, faciliter le refinancement des sociétés de leasing ou au moins réserver des lignes de refinancement des banques strictement réservées aux leasings, afin que ce dernier puisse honorer ses engagements vis-à-vis de bailleurs de fonds (remboursement d'emprunts obligataires, et lignes de financement étrangères) et leurs fournisseurs (en particuliers les concessionnaires d'automobiles). Les banques doivent également apporter leur soutien aux institutions de microfinances.

Bien entendu, il est hors de question de geler le système de télécompensation, au risque de bloquer toute la chaine économique. Toutefois, la majorité des banques continuent à facturer des commissions de préavis de rejet de chèques même si le client provisionne son compte dans les heures qui suivent.

Il est à signaler, puisque des banques ont continué à prélever les échéances dues, que le report des échéances de crédits bancaires et de leasing n'est pas systématique, les débiteurs doivent déposer au préalable une demande par tout moyen laissant une trace écrite. Les intérêts continuent à courir durant la période de report.

Mais est ce que ces mesures sont suffisantes pour éviter une crise sociale en Tunisie ? Dans le monde, La directrice générale du FMI a déclaré le 27 mars 2020 que l'économie mondiale est entrée en récession, qu'elle a qualifié de profonde. Si les gouvernements prennent les mesures adéquates, l'économie mondiale pourrait connaitre la reprise dès 2021.

Quelques jours plus tard, le Programme des Nations Unis pour le Développement (PNUD) a alerté le 30 mars 2020 sur la prolifération d'une crise sociale et économique dévastatrice dans les mois et les années à venir qui risque de ruiner les économies et de creuser les inégalités. Le PNUD a appelé à un soutien d'une ampleur sans précédent pour lutter contre le COVID-19 à long terme dans les pays vulnérables. Avec 55 pour cent de la population mondiale n'ayant pas accès à la protection sociale, ces pertes auront une incidence sur toutes les sociétés, et des répercussions se feront sentir sur l'éducation, les droits de l'homme et, dans les cas les plus graves, la sécurité alimentaire et nutritionnelle de base.

Le FMI a estimé le besoin de financement aux pays émergents, avoisinant les 2.500 milliards de dollars. La Tunisie reçoit, certes des aides, que ce soit de l'intérieur (Banques et groupe financiers, groupes industriels etc.) ou de l'étranger (FMI, UE, Italie etc.). Nous sommes proche d'une manne financière de 2 000 millions de dinars. Cet argent va couvrir en priorité les besoins du système sanitaire, mais sera-t-elle suffisante pour couvrir les nécessités de subsistance des plus démunies. Voilà, que le Conseil de sécurité Nationale a décidé de prolonger de deux semaines la période de confinement total et ce, à compter du 5 avril 2020.

Les questions qui se posent : Combien de temps les Tunisiens (les plus démunis) peuvent se tenir en confinement ? les mesures et décisions prises par les autorités gouvernementales sont-elles suffisantes pour éviter un chaos social ?

Il faut dire que la plupart des tunisiens, n'ont ni la capacité ni la culture de l'épargne. Comme évoqué ci-haut le taux de l'épargne en Tunisie s'est divisé par 2 en 10 ans, passant de 21,1% en 2010 à 8,9% en 2019.

Dans un contexte de conjoncture économique difficile avant même l'avènement du coronavirus, une grande partie des entreprises et professionnels, gèrent leur trésorerie au jour le jours ou au mieux à la semaine, sont largement engagés avec les banques et ne sont pas classés dans la catégorie 0 et 1.

Pour les particuliers, une grande majorité des tunisiens bancarisés, se trouvent dans une fourchette de revenus supérieure à 1000 dinars, et qui sont par la même occasion les plus engagés avec les banques dans des crédits logements, autos ou de consommation. Leur priorité de dépenses est orientée vers les biens alimentaires et sanitaires. Cette frange, noyau dure de la société a plus que jamais besoin de report des tombés de crédits.

Dans ce sens, j'emprunte un écrit de mon collègue Anis Wahabi : " Ces êtres humains ne sont pas des fourmis, faute de moyens pour la grande partie d'entre eux, ils n'ont pas de réserves pour les temps difficiles, ils doivent donc sortir pour travailler et gagner de quoi acheter à manger, ces êtres humains, ne sont pas tous fonctionnaire de l'Etat, qui depuis des années, se libèrent des bijoux de la patrie pour nourrir ses protégées "

Voilà qu'au moment même où nous rédigeons ces phrases, nous apprenons, que la BCT vient de décider en ce 1er avril 2020, d'étendre, aux particuliers, dont le revenu mensuel net dépasse 1000 dinars, le bénéfice des mêmes mesures que les salariés dont le revenu est inférieur à 1000 dinars, mais pour une période de 3 mois. Cette mesure concerne les tombées en principal et en intérêts des crédits à échoir durant la période allant du 1er avril 2020 jusqu'à fin juin 2020. L'application de cette mesure est automatique. Toutefois, les clients qui ne veulent pas bénéficier de ces mesures doivent en faire la demande par tout moyen laissant trace écrite.

Certes la Banque Centrale fait de grands efforts. Toutefois, une baisse supplémentaire du taux directeur et un suivi rapproché des banques quant à leur prédispositions à soutenir les entreprises et les particuliers sont un passage exigé.

Les mesures prises par les autorités gouvernementales sont encore loin d'être suffisantes. Il est impératif que l'Etat prend des décisions plus adaptées à la réalité, et que les banques appuient un peu plus sur le frein des commissions, notamment en matière de découvert.

Pour les entreprises

L'Etat doit créer un Méga fond d'appui, qui garantira les crédits de gestion et facilités de caisses contractés auprès des établissement de crédits toute catégories confondues (banques, leasing, microfinances) pour toutes les PME et les entreprises individuelles et non seulement des secteurs jugés sinistrés par le gouvernement. La chaîne économique ne se limite pas à tel ou tel secteur, nous sommes face à un château de carte qui peut s'écrouler à tout instant et sur tout le monde.

Pour les secteurs menacés

En sus de la mesure précédente, le gouvernement doit prendre en charge les cotisations patronales et suspendre tous droits et taxe due à l'Etat.

Pour les salariés des entreprises sinistrées

L'Etat doit, dans l'immédiat, verser une indemnité mensuelle de chômage technique équivalente à au moins 50% de salaire durant au moins 3 mois pour toute personne qui se trouve au chômage technique. A terme, la règlementation tunisienne du système de sécurité social doit profondément, changée. Les caisses de sécurité sociales doivent désormais prendre en charges et verser une pension de chômage techniques à toute personne ayant contribué durant un certain nombre d'année à ces caisses. De même, les aides du ministère des affaires sociales, ne doivent pas se limiter aux titulaires des cartes sociales. Beaucoup qui se trouveront en chômage n'auront même pas le luxe d'avoir cette carte, puisqu'ils n'ont jamais éprouvé le besoin, par le passé.

Publié le 01/04/20 20:41

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