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Blanchiment : Lotfi Hachicha démystifie l'inclusion de la Tunisie dans la blacklist de l'UE

ISIN : TN0009050014 - Ticker : PX1
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Accusée d'avoir causé l'inclusion de la Tunisie dans la liste noire de l'Union Européenne (UE) des pays tiers susceptibles d'être fortement exposés au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme, la Commission Tunisienne des Analyses Financières (CTAF) a décidé de briser le silence. Une première.

Son Secrétaire Général, M. Lotfi Hachicha, a accordé à ilBoursa une interview exclusive dans laquelle il a démystifié les faits sur le sujet depuis la première évaluation de la Tunisie par le GAFI.

L'évaluation des pays trouve son origine dans un programme d'évaluation du secteur financier qui s'appelle le FSAB (Financial Standards Accounting Board). Ce programme adopté en 2011 par la Banque mondiale, exige qu'un pays soit évalué sur le volet du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.

L'évaluation de la Tunisie a été faite en février 2015 sur la base de l'ancienne loi de 2003 telle que modifiée par la loi de 2009 sur le blanchiment de capitaux, et a concerné la période allant de 2011 à 2013.

Il est noté que sur la période 2011-2015 on travaillait en Tunisie sur la nouvelle Constitution et la mise en place des institutions de la deuxième république. Par conséquent, la nouvelle loi sur le blanchiment d'argent n'a été publiée qu'en août 2015, six mois après notre évaluation par le GAFI de la Région MENA. Le rapport a été par la suite discuté en avril 2016 à Doha (Qatar) à l'occasion de la 23ème plénière du MENA GAFI.

"Malgré l'amélioration de nos textes dans la loi de 2015, le rapport, lorsqu'il est sorti et discuté, a donné à la Tunisie un score qui nous a mis dans ce qu'on appelle le suivi renforcé. Ce dernier, a été relayé immédiatement par un suivi du GAFI lui même à travers un groupe qui s'occupe des juridictions qui ont une déficience stratégique appelé International Co-operation Review Group (ICRG)".

Ce groupe a examiné une année après à Kampala (Ouganda) la nouvelle loi qui a été bel et bien publiée ainsi que toutes les améliorations faites depuis l'évaluation de notre rapport. Ainsi, le groupe d'experts a remis à la CTAF les conclusions suivantes : la Tunisie devrait réaliser un plan d'actions composé de 5 points dans un délai d'une année, c'est-à-dire jusqu'à fin 2018, lequel plan d'actions a été entériné par la plénière de Buenos Aires (Argentine) le 3 novembre 2017 demandant à la Tunisie de s'engager sur le plan politique par une lettre d'engagement de haut niveau.

"A ce moment là, nous avons formulé la lettre et accepté le plan d'actions. Nous avons été ainsi notifiés par le président du GAFI dans ce sens et nous commencions le travail".

Les 5 points composant le plan d'action

La CTAF n'a jamais considéré la notification comme étant une punition ou une sanction contre la Tunisie. Au contraire, l'esprit de ce plan d'actions du GAFI est de donner à la Tunisie les moyens qui vont lui permettre de réaliser ce plan, qui comprenait les cinq points suivants :

1 - Revoir le Registre de Commerce pour pouvoir identifier le bénéficiaire effectif.

2 - Modifier la loi sur le blanchiment d'argent et d'introduire la lutte contre le financement de la prolifération. C'est une exigence dans les standards du GAFI. Et ce sont là les deux grands chantiers qui ne relèvent pas de la compétence de la CTAF qui n'a qu'informé la présidence du gouvernement et des ministères concernés pour qu'ils travaillent sur un projet de loi que le gouvernement doit présenter.

"Le Chef du gouvernement a réuni le 22 décembre 2017 un certain nombre de ministres, en présence de la CTAF, et il a donné ses instructions pour que les amendements de la loi soient présentés au gouvernement au plus tard fin mars et au GAFI en mai 2018".

3 - Mise en place d'une approche basée sur les risques au niveau des intermédiaires en Bourse et du Comité Général des Assurances (CGA).

4 - Le gel des avoirs des terroristes puisque chaque pays membre de l'ONU doit, sans délai, geler les avoirs et les comptes des personnes listées. Pour réaliser ce point, il a fallu que les ministères concernés travaillent sur un décret gouvernemental qui permettra de mettre en place un mécanisme de gel des avoirs des terroristes.

"Avant qu'il ne soit inclus par le GAFI dans le plan d'actions et quand bien même ce n'est pas notre affaire, la CTAF a travaillé durant l'année 2017, en collaboration avec l'instance nationale de lutte contre la corruption et avec l'assistance du FMI, sur le projet du décret qui a été signé par le Chef du gouvernemental le 4 janvier 2018".

5 - Renforcer les ressources humaines et les moyens techniques de la CTAF. "Le rapport dit clairement que malgré ses ressources insuffisantes, la CTAF a fait un bon travail, qu'elle a commencé le travail sur l'évaluation nationale des risques, et qu'elle a fait de bonnes analyses".

Contactée par nos soins, une source au sein de la présidence du gouvernement a tenu à préciser que depuis la première évaluation de la Tunisie par le GAFI, la CTAF n'a jamais demandé au Chef du gouvernement de réunir un CMR pour statuer sur les décisions à prendre.

S'agissant du renforcement des ressources humaines de la CTAF, la source gouvernementale tient à rappeler que la BCT, dont relève la CTAF, jouit du statut d'une institution totalement autonome, entre autres, en matière de recrutement et de son financement et ce depuis avril 2016. "Ce n'est plus au gouvernement de recruter des agents pour le compte de la BCT", explique notre source.

Le GAFI envoi un signal négatif à l'Europe via son site web

Après avoir notifié la Tunisie, le GAFI a mis, le 4 novembre 2017, sur son site web les pays "sous surveillance" et qui ont présenté un engagement et un plan d'actions, dont la Tunisie, dans une rubrique dite "Juridictions à haut risque et non coopératives", ce qui n'est pas du tout le statut de la Tunisie. "La CTAF s'est rendue compte de cela et a demandé au GAFI des explications sachant que c'est pour la première fois dans l'histoire du GAFI qu'un pays lui demande des explications".

Après avoir consulté les experts en la matière et s'être assuré du droit de la Tunisie de demander des explications sur ce sujet, le Gouverneur de la Banque centrale, M. Chedly Ayari, en tant que président de la CTAF, a adressé en décembre 2017 une lettre officielle de contestation au président du GAFI lui demandant des explications. "La CTAF a informé le Chef du Gouvernement en lui disant clairement que le GAFI a envoyé un message négatif aux Européens à travers son site web".

En attendant la réponse du GAFI, elle vient, entre temps, de l'Europe le 13 décembre avec un projet d'acte où elle inclut la Tunisie dans sa propre liste.

"Pour la CTAF, l'Europe est une juridiction comme d'autres qui a le droit de prendre des mesures de vigilance à l'encontre de pays, de personnes ou de sociétés qui ont un risque plus élevé, mais aller jusqu'à élaborer une liste et l'appeler indument "pays tiers à haut risque", je trouve que c'est une aberration", estime M. Hachicha.  

La CTAF obtient gain de cause

La CTAF et le ministère des affaires étrangères sont entrés en contact avec les parlementaires européens pour discuter de cette histoire. "Nous avons fouillé dans la directive européenne et nous avons trouvé que la Commission européenne ne peut mettre un pays dans cette liste que sur la base d'évaluation et des informations externes vérifiables, tangibles et mises à jour".

De plus, une semaine avant la publication de cette liste, le MENA GAFI a rendu public le re-rating de la Tunisie avec un résultat de 26 recommandations conformes sur 40. Avec ce re-rating, la Tunisie ressort mieux conforme que la Hongrie, le Danemark et la Norvège.

Alors que la Tunisie est en pleine négociation avec les Européens, le GAFI introduit un changement sur son site web en modifiant le libellé de la rubrique deux jours avant la réunion du 27 janvier à Bruxelles. La rubrique où se trouve la Tunisie s'appelle désormais "Les Juridictions sous surveillance" en supprimant aussi "non coopératives", ce qui est juste et c'est ce que la CTAF a demandé au GAFI de corriger.

Pourquoi la Tunisie est-elle passée sous surveillance de l'ICRG ?

En matière de conformité technique, la Tunisie se trouve mieux classée que plusieurs pays comme la Suisse au niveau de ce qu'on appelle les Big Six ou les six principaux aspects techniques de conformité.

Cependant, le manque en matière d'effectivité au niveau du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en était la cause de mettre la Tunisie sous surveillance de l'International Co-operation Review Group (ICRG). Les évaluateurs ont ainsi identifié dans le rapport 6 situations sur 11 où l'effectivité de la mise en œuvre des mesures de lutte est faible.

Cette faiblesse en matière d'effectivité au niveau du dispositif de lutte s'explique par l'absence de la volonté politique qui se traduit par un manque de moyens techniques et humains mis en place par les différentes parties prenantes. "L'effectivité doit être approuvée au niveau des déclarations de soupçons émises par des avocats, des experts comptables et des établissements financiers, de l'analyse de la CTAF, passant par une justice qui enquête et enfin des avoirs qui sont gelés. L'effectivité c'est aussi des instances de régulation qui contrôlent et infligent les sanctions".

C'est tout un système qui doit bouger pour que ce dispositif soit efficace. "La CTAF, qui n'est qu'un point focal dans tout le sujet, a émis et adressé ses recommandations, elle a formé des cadres et organisé des journées de sensibilisation".

Pour conclure, M. Hachicha a dénoncé la compagne de dénigrement dont fait l'objet la CTAF. "Elle envoi un très mauvais signe au GAFI parce que, lui, il sait très bien que nous avons fait un grand travail", a-t-il estimé.

Propos recueillis par Omar El Oudi et Ismail Ben Sassi.

Publié le 13/02/18 14:31

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