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Nizar YAICHE : Le plan de restructuration des entreprises publiques co

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Posté le 23/07/2020 11:56:26
restruction = injection de fonds dans des gouffres financiers... des entreprises publiques gérées par des agens nommés sur la base des interets politiques plutot que de competences!
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Posté le 23/07/2020 11:56:26

Dans cette période marquée par une instabilité politique, le ministre des Finances, Nizar YAICHE, assure la continuité indispensable de son département. Le lundi 20 juillet à 6h30 du matin, et malgré une semaine qui s'annonce très active, il nous a reçu dans son bureau pour un entretien qui s'est accentué autour de plusieurs sujets touchant les différents aspects des finances publiques. La retenue à la source, l'impôt sur la fortune, la pression fiscale, les entreprises publiques et l'instabilité politique… tant de questions auxquelles le ministre des Finances essayera de répondre dans cette interview.

 

IlBoursa : La crise sanitaire a eu un impact négatif sur la productivité, le budget de l'Etat et l'endettement de la Tunisie. Pouvez-vous nous donner un aperçu sur les répercussions que la pandémie a causées ?

Nizar YAICHE : Economiquement parlant, la Tunisie était déjà en souffrance en termes de croissance depuis la révolution. Avec notre potentiel, il est inacceptable de réaliser un taux de croissance moyen sur dix ans en-dessous de 2%. Il faut clairement dire que les aspects économiques n'ont pas bien marché ces dernières années, encore plus les quelques dernières années, durant lesquelles le rythme a fortement baissé. Déjà, sur les deux derniers trimestres de l'année écoulée on était à 0% et 0,1% de croissance respectivement. Et ce, en dépit d'une récolte exceptionnelle d'olive et d'une augmentation de la masse salariale.

Même le démarrage de cette année était en-dessous des attentes et l'hypothèse, qui date d'août dernier, tablant sur une croissance de 2,7% sur l'ensemble de l'année n'était pas réalisable. Même si on réajuste par rapport aux vrais paramètres de la Tunisie, on sera à moins de 1% cette année, voire même à une croissance nulle.

A ces soucis de croissance, s'ajoute la crise sanitaire de la Covid-19, un coup dur encaissé par notre pays qui souffrait économiquement. Nous nous attendons, ainsi, à une forte baisse des recettes fiscales estimée à 5,4 milliards de dinars et à des dépenses supplémentaires. Sans parler de notre volonté de payer certaines dettes de l'Etat moyennant de nouveaux mécanismes, entre autres, la possibilité de payer certains privés, sous certains critères, avec des BTA qui seront achetés par les banques. Au total, nous avons prévu 800 millions de dinars cette année pour payer des prestataires de l'Etat et certains privés prestataires des entreprises publiques.

A travers le paiement de ces arriérés au profit de plusieurs secteurs on espère créer un effet domino positif. La priorité c'est qu'on n'injecte pas de l'argent qui soit complètement inflationniste. L'idée c'est de payer les dus et éviter les effets inflation. Et tant qu'on respecte cette règle-là, je pense qu'on sera en coordination avec la Banque centrale.

 

Pouvez-vous nous donner un aperçu sur les emprunts extérieurs obtenus par la Tunisie jusqu'à présent ?

Sur ce sujet, il faut vraiment être très précis et factuel pour qu'on ne bâtisse pas les rêves sur des faux chiffres. Les données sont publiées par le ministère des Finances et mises à jour chaque mois. La dernière en date, fait état de 3 milliards de dinars de ressources d'emprunt en devises mobilisées à mi-juin dernier, soit très en-dessous des chiffres avancés par plusieurs parties.

J'ouvre une parenthèse ici pour noter et constater qu'avec ce genre de commentaires et d'analyses, on induit en erreur les Tunisiens. Il faut vraiment que les économistes prennent leur place dans le débat économique. C'est bien qu'on échange et qu'il y ait un débat qui s'installe, mais il faut qu'il soit bien cadré pour qu'on puisse avancer. Et là, on parle de choses sérieuses et la meilleure stratégie passe par le meilleur diagnostic possible. Et c'est pour cela que c'est très important d'avoir la réalité des chiffres et de les croiser.

 

Peut-on s'attendre à une pression fiscale supplémentaire d'ici la fin de l'année ?

Au-delà de ce qui a été annoncé comme mesures fiscales, il n'y aura pas de pression fiscale supplémentaire pour cette année. Bien au contraire, à partir de l'année prochaine, notre souhait c'est de commencer le chemin inverse et d'alléger la pression fiscale et c'est un engagement qu'on va essayer de tenir.

A quel rythme ? on attend de voir. Car tellement il y a d'incertitudes qu'il faut rester très humble par rapport aux projections. Néanmoins, si on respectera nos prévisions, ce sera une baisse significative l'année prochaine.

 

La genèse de l'idée de l'institution d'une retenue à la source de 35% sur les comptes à terme a créé beaucoup de confusion. Quel est l'objectif de cette mesure et quel sera son apport pour les recettes de l'Etat ?

Il y aura des recettes supplémentaires, je ne le cache pas. Mais ce n'est en aucun cas notre objectif premier. Le point de départ était de corriger le structurel par le conjoncturel. Une bonne économie seine, c'est lorsqu'on encourage la prise d'initiative, la prise de risque et l'innovation, et c'est lorsque la rémunération du travail est nettement au-dessus de tout autre type de rémunérations.

Partant de ce principe-là, il s'avère que la situation est, aujourd'hui, plutôt inversée. Aucune personne ayant des produits de placement entre 10 et 15% va oser prendre le risque et investir. C'est dire qu'il ne faut pas qu'il y ait des placements sans risque à ces taux-là et avec un niveau de risque pays comme le nôtre. Cependant, il ne faut pas prendre cette mesure-là comme une mesure stand-alone mais plutôt comme mesure globale.

De plus, les montants placés en dépôts à terme deviennent, malheureusement, très significatifs avoisinant les 20 milliards de dinars au 31 décembre 2019. J'espère qu'on atteigne l'équilibre entre l'endettement et le capital et que celui-ci prenne sa place. Les pays les plus développés et les plus innovants, qui ont un bon climat d'affaires, encouragent les gens à investir et à prendre le risque. D'ailleurs, tous les pays qui ont réussi ce défi ont des taux (inflation, taux directeurs, etc.) compris entre 1 et 3%.

Il importe de souligner que même les banques ont approuvé cette mesure. Pourquoi ? parce que les coûts des ressources doivent être en-dessous du TMM voire du taux directeur. Il faudrait qu'elles aient des marges d'intermédiation assez bonnes pour qu'elles puissent travailler. On aimerait donc aider les banques structurellement.

Par ailleurs, il faut qu'on sache que 70% des dépôts à termes sont des montants placés par des personnes physiques qui sont, pour la majorité écrasante, censées être sur la tranche de 35% d'imposition. Normalement, ceux qui font correctement leur déclaration ne seront pas touchés par la hausse de la retenue à la source.

Pour les entreprises, on peut discuter. En fait, la vocation principale d'une entreprise c'est de créer de la richesse. Je comprends qu'on ne va pas investir tout de suite et qu'il faut constituer du capital, mais encore une fois c'est pour leur bien. Parce que quand on ramène, conjoncturellement et d'une manière plus seine, les coûts des ressources pour les banques en-dessous du taux directeur, ces ressources iront, à terme, au financement avec des coût plus abordables. Et c'est ça le structurel dont je parle.

On a l'obligation collective de corriger le structurel. On ne peut pas être dans un monde qui avance, qui se dynamise et qui invente alors que nous voulons que l'argent ramène de l'argent sans travail et sans prise de risque. C'est seulement avec la prise d'initiative qu'on va changer la donne. Le fond du débat c'est d'encourager la valeur travail et l'investissement, d'améliorer le climat des affaires et aussi d'accepter que c'est le travail qui ramène la richesse et la création de valeurs.

 

La mise en place d'un impôt sur la fortune reste-t-elle d'actualité ? Et l'emprunt national solidaire n'est-il pas un substitut à cet impôt ?

Pour le moment, ce n'est pas l'option privilégiée bien qu'elle ait été étudiée parmi d'autres. Pour un pays comme le nôtre, il faut préparer une batterie de mesures bien avant l'instauration d'une taxe sur la fortune qui n'est pas, actuellement, dans notre roadmap.

Quant à l'emprunt obligataire national, il n'est pas un substitut à l'impôt sur la fortune, mais plutôt une contribution à l'effort national dans une période critique et unique par laquelle passe notre pays.

Nous avons rencontré plusieurs hommes d'affaires tunisiens qui ont montré à quel point ils sont des patriotes. Nous avons échangé avec eux sur plusieurs sujets et beaucoup d'entre eux ont exprimé leur volonté d'investir plusieurs millions de dinars malgré leur inquiétude quant au climat des affaires et à la situation politique du pays.

Toutefois, beaucoup d'entre eux se disent prêts à participer volontairement à cet emprunt obligataire malgré des contraintes relatives à un effort supplémentaire d'à peu près 1 point de pourcentage par rapport au rendement des dépôts à terme et un blocage de leur argent pendant 10 ans. J'ai beaucoup apprécié que la majorité des hommes d'affaires que nous avons rencontrés ont montré leur disposition à y participer. Et au final, ça reste leur argent qui vont le récupérer.

 

D'après le document publié par votre ministère sur les entreprises publiques, le moins que l'on puisse dire c'est que la situation financière de celles-ci est catastrophique. Face à ce constat, quelle est la stratégie à mener par le ministère des Finances envers ces entreprises ? 

Il faut avouer que l'Etat a très mal géré ses entreprises ces dernières années. L'Etat, pour beaucoup d'entre elles, fixe les tarifs, intervient dans leur stratégie, leur impose de recruter, alourdit leur process de décision et d'achats et paie en retard. Il n'y a qu'à voir les dettes de l'Etat vis-à-vis de ses entreprises et leur montée exponentielle. Quel gâchis ! De l'autre côté, les chiffres ne sont pas clairs et pour certaines entreprises on ne connaît même pas leurs états financiers de 2018.

Notre vision à court et moyen termes est de traiter ces entreprises au cas par cas, notamment les plus critiques, et d'être clair par rapport à ce que l'on attend de chacune d'elles. Clairement, nous ne demandons pas une rentabilité financière mais plutôt un minimum d'équilibre financier et un apport par rapport à la stratégie et la vision de l'Etat.

Nous avons aussi un grand chantier en termes de gouvernance, de choix des dirigeants et de leurs profils. Il faut tout remettre à plat. A titre d'exemple, nous avons préparé un programme pour la RNTA qui sera annoncé dans les deux prochains mois dont une bonne partie devrait être exécutée d'ici la fin de l'année.

Pour ce qui est de la restructuration financière des entreprises publiques, le plan coûterait à l'Etat plus de 10 milliards de dinars. Néanmoins, pour certaines entreprises, ce n'est pas le financement de leur plan de restructuration qui me préoccupe le plus, parce qu'avec la bonne vision et la bonne approche on trouvera certainement le financement.

 

Et pour la masse salariale de la fonction publique ?

A mon sens, le problème ne réside pas dans les 19 milliards de dinars relatifs aux salaires des fonctionnaires, mais plutôt dans les 47 milliards de dinars représentant le budget de l'Etat. Si ce dernier s'accroît convenablement, la question de la masse salariale ne sera plus posée. La seule issue est donc de faire augmenter le dénominateur en poursuivant la voie de la croissance.

 

La Tunisie tardait à mettre en place plusieurs réformes recommandées par le FMI. Aujourd'hui, avec la crise du Coronavirus et ses répercussions sur les équilibres budgétaires de la Tunisie, les relations avec le FMI sont-elles devenues plus compliquées ?

Tout d'abord, je considère que mes prédécesseurs ont fait ce qu'ils devaient faire avec tous les bailleurs de fonds y compris le FMI et ce, malgré les contraintes imposées par le contexte général du pays. En ce moment, nous avons de bonnes relations avec le FMI. Et c'est vraiment des relations de confiance avec un débat bâti sur les chiffres, la vision, l'approche économique et la nécessité d'avoir une grande dimension sociale dans le nouveau programme.

Ce qui est nouveau dans notre relation avec le FMI c'est que le point de départ est la vision du gouvernement. D'après les retours que j'ai eus jusqu'à présent, il y a beaucoup de réalisme dont ce qu'ils veulent faire.

Néanmoins, l'instabilité politique est, sans doute, le plus grand mal de la Tunisie en ce moment. Et elle dérange les marchés. Avec ce qui s'est passé récemment, le spread de la Tunisie a pris 150 points de base en une semaine. Alors que nous avons beaucoup travaillé avec les marchés et les bailleurs de fonds internationaux pour ramener le spread de la Tunisie progressivement de 1100 points de base à moins de 700 points, même si on ne compte pas sortir sur le marché international d'ici la fin de l'année. Mais c'est très important pour l'image du pays et pour se préparer à une sortie l'année prochaine.

Je le dis et redis, l'instabilité politique perturbe les bailleurs internationaux, les investisseurs tunisiens et étrangers et tous les leviers de la croissance économique. Une dispute dans un plateau télévisé ou dans le parlement, on pourrait la quantifier en plusieurs millions de dinars d'impacts négatifs sur l'économie tunisienne.

Propos recueillis par Omar El Oudi 


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